À la Busserine, la colère des quartiers Nord plus forte que Macron

Reportage
par Coralie Bonnefoy & Clara Martot Bacry
le 27 Juin 2023
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Le premier jour de la visite du chef de l'État a fait halte, notamment à la Busserine. L'occasion de rencontrer des habitants, d'évoquer avec eux leurs problématiques quotidiennes, principalement en matière de sécurité et (parfois) d'y répondre.

Emmanuel Macron face à une habitante au bout de plus de deux heures de débat dans le gymnase de la Busserine. (Photo : capture images Élysée)
Emmanuel Macron face à une habitante au bout de plus de deux heures de débat dans le gymnase de la Busserine. (Photo : capture images Élysée)

Emmanuel Macron face à une habitante au bout de plus de deux heures de débat dans le gymnase de la Busserine. (Photo : capture images Élysée)

Deux grands drapeaux blancs frappés des armoiries de l’OM et un public qui sue à grosses gouttes. Il est presque 19 h, lorsqu’Emmanuel Macron fait enfin son entrée dans le gymnase de la Busserine (14e) qui borde les pelouses synthétiques du stade Hamada-Jambay, dont les abords ont été particulièrement briqués. Environ 350 personnes y ont pris place depuis quasiment 3 heures. Des élus locaux, la présidente de la métropole et du département Martine Vassal (DVD), le maire de Marseille Benoît Payan (DVG) ainsi qu’une quinzaine d’adjoints et de conseillers municipaux, plusieurs parlementaires, des membres des corps constitués, mais aussi de nombreux représentants associatifs.

A l’extérieur, une maman ironise devant la propreté inédite des environs :“Ça fait une semaine qu’ils astiquent le quartier.” Avant l’arrivée d’Emmanuel Macron, le sujet anime toutes les conversations au pied des immeubles de la Busserine. “C’est vraiment nul. Il ne verra pas comment on vit vraiment, ici”, lâche Assiati, une mère de famille effarée devant l’habituel point de deal vidé, nettoyé et repeint. Les trottoirs portent encore la trace des barrages du réseau et des encombrants enlevés dans la nuit.

Associatifs triés sur le volet

Tandis que dans le gymnase, une participante regrette en aparté que les leaders associatifs ont été “triés sur le volet”, à l’extérieur, les habitants de la Busserine ont compris l’agenda : ils ne sont pas invités à échanger avec le président. Des barrières imposantes séparent la petite foule de l’entrée des lieux, avec le concours de nombreux policiers en tenue de maintien de l’ordre. La situation déborde. Des jeunes s’énervent. Planté au soleil, l’un d’eux se tamponne le front avec un torchon humide. Il crie : “C’est que des gens qui vont parler pour nous mais qui savent rien du tout, ils ont jamais mis les pieds ici ! Ils viennent que pour leurs associations, le quartier ils s’en foutent !” L’agitation amuse les enfants. Ils ne tiennent pas en place à l’ombre des arbustes, il y a trop de monde. Des jeunes collégiennes aimeraient que “Macron fasse des choses ici, on avait demandé un skate park et une piscine moins chère, par exemple”. 

Emmanuel Macron lors de son arrivée dans le quartier de la Busserine. (Photo : CMB)

Si on n’a pas le droit de parler alors qu’on est chez nous, quel est l’intérêt ?

une habitante

Des enseignants de l’école de la Busserine entament une casserolade, rejoints par une poignée de militants du centre-ville. Une mère de famille s’époumone : “Ils gâchent tout ! C’est pas des gens d’ici, nous, on n’est pas dans cette optique !” Sous les yeux de Benoît Payan, la jeune femme poursuit : “Si on n’a pas le droit de parler alors qu’on est chez nous, quel est l’intérêt ?” Après quoi, elle est finalement autorisée à se faufiler dans le gymnase.

À l’intérieur de la salle de sport, l’ambiance est plus calme lorsqu’arrive le chef de l’État. Ça ne va pas durer. Des rangées de chaises grises ont été alignées. Laurent Carrié, le préfet chargé du plan Marseille en grand joue les maîtres de cérémonie. Le débat se fait autour de trois thématiques, explique-t-il : vie quotidienne, cadre de vie puis formation et emploi. Le président de la République embraye. Il promet qu’il est là pour mettre en place “une redynamisation de notre politique dans les quartiers. Ça ne touche pas que Marseille. Mais on veut faire de Marseille un petit laboratoire.”

“Prisonniers à ciel ouvert”

Pourtant, dès les premières prises de paroles, les questions posent avec acuité, dignité et souvent franc parler, les problématiques que rencontrent, au quotidien, celles et ceux qui vivent dans les quartiers les moins favorisés. Plusieurs femmes se lancent les premières. L’insécurité que subissent les familles revient dans chacune de leurs interventions. “Nous sommes prisonniers à ciel ouvert, dit une femme voilée de vert, habitante de la Busserine. Tout le monde veut partir d’ici.” Une femme enchaîne à l’attention du ministre de l’Intérieur assis au premier rang : “C’est bien de ramener la police, M.Darmanin, mais ce n’est pas la solution. Hier encore, une fille de 17 ans s’est pris une balle. On ne tolère plus de vivre comme ça.”

Un jeune homme s’alarme, lui, d’une situation sociale qui va se dégradant. Une femme dit sans fard les Marseillais qui ont du mal à se nourrir où à se déplacer. Une autre revient sur les cas de légionellose qui surviennent dans des quartiers comme à Air-Bel et mettent la vie des résidents en danger. Pour elle, c’est simple, “les bailleurs sociaux sont des assassins”. Yazid Attalah, représentant l’association Sept parle d’une autre violence, “celle de ceux qui ont renoncé aux soins par manque de moyens”. De nombreuses prises de paroles reviennent sur la puissance du réseau associatif qui pallie souvent l’absence ou “l”incurie” des services publics.

Ségrégation et discrimination

Emmanuel Macron écoute, demande des précisions ici ou là. Et une fois lancés, les habitants n’arrêtent plus de poser leurs questions qui recoupent les deux premières thématiques. Fathi Bouaroua, de l’Après-M, insiste sur “l’insécurité sociale et les difficultés à payer les charges : certaines personnes se privent de manger car elles ont peur de ne pas payer leur loyer”. Il demande la mise en place “d’un amortisseur social”. Une femme revient sur la ségrégation sociale et le discrimination que vivent les enfants de ces quartiers. Inès, médiatrice de l’association Dunes réclame une meilleure reconnaissance de ce métier essentiel qui n’est “jamais parti” des quartiers même quand la situation d’y dégradait de manière de manière manifeste. Frais Vallon, Air Bel, Le Castellas, Bassens… finalement c’est à un tour des quartiers Nord qui se sentent “abandonnés” auquel le président est convié.

Le président, entouré des ministres du Logement, de la Justice, de l’Intérieur, et des Transports dans le gymnase de la Busserine. (Photo : CMB)

Il a tombé la veste. Chemise miraculeusement immaculée après une journée sous le cagnard, micro en main, le locataire de l’Élysée finit par répondre après presque une heure de questions. Il semble se régaler de cet exercice. “Ce qui ressort de là, c’est qu’il y a un ras le bol”, entame sans trop prendre de risque le chef de l’État. La situation est le fruit de décennies où il n’y pas eu assez d’investissements, prolonge-t-il, alors que l’ambiance devient électrique. Une dame en robe rouge s’emporte. Elle est applaudie. On ne comprend pas ce qu’elle dit. “Laissez moi finir, madame”, plaide Emmanuel Macron. Ça vire un brin à la foire d’empoigne. Et le débat prend une tournure assez politique.

Est-ce que ça va assez vite pour vous ? Non. Mais est-ce-qu’on a déjà autant investi, à Marseille ? Non.

Emmanuel Macron

Cette frustration qui s’exprime, le chef de l’État dit qu’il la partage, mais refuse de laisser dire que “rien n’a été fait”. Il déroule les réponses qu’il a amenées avec le plan Marseille en grand: “Est-ce que ça va assez vite pour vous ? Non. Mais est-ce-qu’on a déjà autant investi, à Marseille? Non.” Dans 70 quartiers où les points de deal ont disparu “la vie des habitants a changé”, jure-t-il. Et l’effort doit se prolonger avec le plan quartiers 2030. Lui que l’on dit très pointu sur les questions marseillaises refuse de rentrer dans des situations particulières. Les interpellations ressemblent alors au décor de ses annonces plus qu’à un véritable échange.

“Engagements tenus”

Cette séquence de débat de plus de deux heures trente vient conclure une journée particulièrement chargée, dont le fil rouge est la sécurité. Le matin, le président a commencé son déplacement par un passage de trois-quarts d’heures à la mairie de Marseille. Puis il est allé à la rencontre des forces de l’ordre au siège de la police judiciaire marseillaise, avant de rallier la maison d’arrêt des Baumettes, pour un discours axé sur les questions sécuritaires. Il y est arrivé encadré du ministre de la Justice, Éric Dupont-Moretti et de Gérald Darmanin, pour vanter les mérite du plan Marseille en grand “dont les engagements ont été tenus”.

Il y a juste les victimes, il n’y a pas de bonne ou mauvaise victime.

Karima Meziene

Aux Campanules en début d’après-midi, comme plus tard aux pieds des immeubles de la Busserine, les habitants se montrent moins enthousiastes. Dans la petite cité du 11e arrondissement, tandis que des militants Renaissance et Horizons brandissent des pancartes favorables au président, des proches de victimes d’assassinats lui rappellent l’impératif d’agir contre la violence des fusillades. “Il y a juste les victimes, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise victime”, lui glisse Karima Meziene. Membre du collectif des familles de victimes, elle explique que son association porte un projet de loi, soutenu par le député LFI Sébastien Delogu, pour prévenir les assassinats et accompagner les familles endeuillées. Les deux ministres s’engagent à recevoir rapidement les membres de sa structure, se satisfait-elle.

“On rénove les écoles”

Au terme de la journée, dans le gymnase surchauffé de la Busserine, pour la lutte contre l’insécurité, le président l’affirme, “on ne va rien lâcher”. “Pour casser les réseaux”, il annonce le lancement de forces d’action républicaine : des policiers, des magistrats, des éducateurs, des médiateurs, même des renforts d’Éducation nationale. Il promet aussi un “grand plan de simplification de la vie associative” parce qu’il a entendu, indique-t-il, la fatigue qui s’exprime au sein de ces structures.

Pour ce qui est de l’éducation, le plan quartier 2030 visera à généraliser l’accueil des enfants dès deux ans en classes de maternelle. Ça c’est du concret, se félicite Emmanuel Macron. Il promet également un lycée avec des classes prépas dans les quartiers Nord. “Et on rénove les écoles”, dit-il. “C’est que des promesses !”, maugréent des voix dans l’assemblée. “Je vous le dis les yeux dans les yeux, on en a 182 dans le programme, on va le faire. Avec le maire maintenant on est complètement calés. On y sera”, se satisfait celui que ne veut pas endosser “les engueulades pour les décennies passées”. Avant de renvoyer dos à dos les élus de tous bords qui disaient “entendre la colère” de ces populations sans chercher à y remédier.

Quatre copropriétés reprises en main

Le président bifurque ensuite sur les charges imposées par les bailleurs sociaux : il convient qu’elles explosent et que l’État cherche à les amortir. “Mais c’est du cas par cas. On a mis en place les mécanismes nationaux et je ne peux pas faire plus”, argue-t-il. Il poursuit : “On va reprendre en main” quatre copropriétés privées dégradées. Là encore Marseille va servir de “laboratoire” de ce que l’État veut faire à l’échelle du territoire.

Le soufflet retombe alors que sont abordées les questions de l’emploi et de la formation, où la parole est donnée à des chefs d’entreprise. Chez certains intervenants, transparaissent les mots-clefs recherchés par l’Élysée : “espoir” et “solutions”. Isabelle Lonchampt, présidente de la Fédération du BTP 13, réclame que l’on réponde à l’urgence de la construction de logements. “On a un problème de nombre de permis donnés. Ce n’est pas une compétence de l’État”, pique le président. Façon élégante de remettre la pression sur le maire de Marseille sur le sujet de la construction, notamment de logements sociaux, sur laquelle la mairie de Marseille a été pointée du doigt. Emmanuel Macron ajoute que, pour accélérer la construction, des opérations d’intérêt national pourraient voir le jour et notamment à Marseille. Une manière sans le dire explicitement ce lundi soir de prendre la main sur les permis de construire, normalement délivrés par la mairie et que Benoît Payan souhaite continuer à gérer.

“Changer la vie”

De jeunes patrons prennent à nouveau le micro. Le leader de la start-up nation boit du petit lait. Mais les habitants ont encore et encore des questions qui traitent du cadre de vie et c’est le président qui finit par tenir lui-même le micro à celles et ceux qui veulent lui parler. Il revient alors qu’approche l’heure de la conclusion, sur le projet “quartiers 2030”, dont l’objectif est de “lever 3,5 milliards d’euros pour l’entreprenariat dans les quartiers”. Car l’entreprenariat n’appartient à aucun quartier, veut-il convaincre.

Emmanuel Macron veut aussi, dit-il, amener du beau. Notamment via un concours qui cherchera “des gestes architecturaux” forts pour dix quartiers dans le pays dont un à Marseille. Il promet aussi que la rénovation des piscines sera en partie intégrée dans la rénovation urbaine. Dans l’assemblée, beaucoup restent de marbre. La torpeur a gagné les esprits et la concentration n’est plus au rendez-vous. Mais le président l’assure : “Ensemble, on va changer la vie !” La phrase soulève quelques applaudissements, mais ne déchaîne pas les passions. Le président doit passer encore deux jours à Marseille. L’occasion de vendre l’acte II du plan Marseille en grand, même à ceux qui restent sur leur faim.

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Coralie Bonnefoy
Clara Martot Bacry

Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    Bravo à cell

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    • MarsKaa MarsKaa

      Bravo à celles et ceux qui ont mis quelques beaux grains de sable dans l’organisation et la comm’ politique.
      Peu de gens sont dupes. La colère et les vrais sujets devaient sortir.

      (Le grand nettoyage des trottoirs et bas d’immeubles juste avant l’arrivée de ces messieurs dames responsables politiques est juste une offense aux habitants : pourquoi cela n’est il pas fait pour eux, plusieurs fois par an ?)

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  2. Andre Andre

    “Prendre la main sur les permis de construire ” via des opérations d’intérêt national, comme dans les années 60 et 70, pendant lesquelles on a construit La Busserine puis les Flamants et La Savine?
    L’urbanisme de Marseille de nouveau soumis à la loi du chiffre de fonctionnaires d’État penchés sur leurs tableaux excell?
    Doit on payer les années d’inaction de l’équipe Gaudin et celles de la Préfecture qui a fermé les yeux? On ne construit pas une ville durable ni une architecture de qualité en accordant des permis sans discernement pour rattraper le temps perdu et encore moins avec des “gestes architecturaux” (!?)
    Je n’accorde sur le sujet aucun crédit à l’État ni à Payan qui vient de débarquer une adjointe à l’urbanisme qui n’était peut-être pas le “redresseur de torts” qu’elle prétendait être mais qui, on doit lui reconnaître, essayait de promouvoir de la qualité urbaine dans une ville où ce mot a été longtemps ignoré et risque de l’être encore plus.

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  3. Christiane Christiane

    André, d’accord avec le début mais pas avec la conclusion.
    Si M Chaboche ne s’était pas enfermée dans sa tour d’ivoire refusant de communiquer avec qui que ce soit, Payan n’aurait peut-être pas eu besoin de la débarquer (ni si violemment) et on n’en serait peut-être pas là! Le caractère de M Chaboche l’a conduite a se faire énormément d’ennemis, de toutes parts, malgré son travail remarquable. Quand on est élu, on n’est pas seulement un technicien (même de grande qualité), on doit aussi respecter son entourage, les citoyens et les engagement électoraux.

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  4. polipola polipola

    Je vous retourne la question Christiane : peut-être que si Chaboche a réussi à résister et agir c’est parce qu’elle s’est enfermée “dans sa tour d’ivoire”.
    C’est pas elle le problème, c’est le système pourri et corrompu qui découpé et vendu Marseille au plus offrant (et encore).

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  5. mada mada

    Qu’a-t-on à attendre d’un vendeur de poudre de perlimpinpin libérale.
    Trois petits jours et puis s’en va et Marseille continue dans la galère. heureusement quelques manifestations syndicales et de citoyens ont rappelé que l’on veut vivre bien ensemble et non être des rats de laboratoire de la startup nation.

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  6. Moaàa Moaàa

    Et les responsables de grosses associations et certains élus de frottent les mains sur les millions d’euros ( encore) qui vont pleuvoir et finir dans leurs poches au detriment des habitants

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