À Fos, l’industrie verte joue la carte de sauveur « de l’humanité »

Décryptage
le 12 Sep 2023
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Une quinzaine d’implantations d’industriels sont attendues sur la zone de Fos-sur-Mer dans les prochaines années. Une première concertation publique démarre ce mardi pour le projet Carbon sous l’oeil des associations locales qui, malgré le discours officiel, craignent de ne guère pouvoir peser sur les échanges.

Fos-sur-Mer, février 2023. (Photo : R.B)
Fos-sur-Mer, février 2023. (Photo : R.B)

Fos-sur-Mer, février 2023. (Photo : R.B)

Les quelques baigneurs de la plage de Fos-sur-Mer profitent des dernières chaleurs estivales. Face à eux, un horizon bleu et ensoleillé auquel se greffe près d’une dizaine de navires méthaniers. Le panorama rappelle que la ville est indissociable de sa zone industrialo-portuaire, aussi étendue que Paris intra-muros. Depuis le balcon de la Maison de la mer, plusieurs membres de la société lyonnaise Carbon apprécient le spectacle. C’est dans les bassins Ouest du grand port maritime que cet industriel veut implanter une giga-usine de production de panneaux photovoltaïques d’ici fin 2025. Un calendrier qui paraît serré puisque la concertation sous l’égide de la commission nationale du débat public (CNDP) ne démarre que ce mardi. “C’est l’étape obligatoire pour ensuite pouvoir effectuer les demandes d’autorisations”, présente Pierre-Emmanuel Martin, le président de Carbon. L’avis de la CNDP n’est que consultatif, à l’inverse de l’enquête publique qui arrive plus tard.

L’entreprise lyonnaise est la première à se lancer dans ce marathon administratif. Dans les prochaines semaines, H2V – producteur d’hydrogène vert – et Gravithy – qui utilise de l’hydrogène pour concevoir du fer de réduction directe remplaçant en partie le charbon dans la production d’acier – doivent également lancer leur concertation.

Trois nouveaux venus qui incarnent l’évolution attendue à Fos par les pouvoirs publics. L’historique bassin industriel des hydrocarbures et de la chimie est voué à jouer pleinement son rôle dans la stratégie de réindustrialisation de L’État. Une industrie à laquelle se colle désormais systématiquement l’adjectif “verte” pour signifier qu’elle sera la plus propre possible en tournant grâce à une énergie qui n’émet pas ou peu de CO2. Un objectif clair, bien que les moyens d’y parvenir ne sont pas connus. “Au total, une quinzaine de projets vont sortir”, chiffre le sous-préfet d’Istres Régis Passerieux.

Des promesses vertes

Des implantations complexes sur un territoire marqué ces dernières années par les problèmes de pollution liés à l’émission de diverses particules. “Le challenge c’est de faire gagner en compréhension les citoyens du territoire, un public qui n’est pas forcément expert de ces sujets“, dresse Nicolas Mat, secrétaire général de l’association Piicto qui réunit les entrepreneurs de la zone, tenus d’y adhérer à leur arrivée. “Mais nous n’avons pas de rôle à jouer sur la concertation publique, nous sensibilisons un peu les industriels qui veulent venir mais ils connaissent le contexte social qui est pris en compte lors des études d’intérêts pour choisir le territoire où s’implanter“, déroule-t-il. Pierre-Emmanuel Martin semble bien au courant de la situation. “Nous avons à cœur de bien présenter notre projet pour éviter les malentendus“, prévient-il, annonçant qu’il va “continuer à informer le public y compris après la concertation préalable pour être un projet accepté par tous“.

Ces nouvelles entreprises se vantent d’être propres, mais pour l’instant je n’ai rien vu.

Daniel Moutet, asociation ADPLGF

Je ne suis pas contre l’industrie“, assure d’emblée Daniel Moutet, président de l’association fosséenne de défense de l’environnement (ADPLGF). “Je ne veux pas laisser mourir ma zone industrielle mais il ne faut pas non plus tuer le village de Fos, il faut pouvoir vivre et travailler. Ces nouvelles entreprises se vantent d’être propres, mais pour l’instant je n’ai rien vu”, résume cet ancien conducteur d’engins sur le port et vigie de la pollution depuis plusieurs années.

Les trois projets pour l’instant connus ont beau promettre d’être “vert”, rien ne le garantit. Pour H2V et GravitHy, la seule notion d’hydrogène vert pose question puisque aujourd’hui cela ne représente que 1% de la production mondiale et nécessite une énorme quantité d’électricité. Avec le début du débat public, Carbon est la société qui fournit le plus d’éléments sur ses ambitions, sans être totalement exhaustive encore. Elle ne chiffre pas par exemple le nombre de camions que doit générer son activité. “Nous visons seulement 15% de camions en sortie à terme, c’est un objectif très ambitieux. D’ailleurs le garant de la CNDP nous a demandé si nous ne nous étions pas trompés“, avance Emilie Chalas, ex-député LREM d’Isère en charge de la stratégie foncière de Carbon.

Très ambitieux est un euphémisme, puisque le report modal comme on l’appelle (à savoir le trafic qui va et vient autrement qu’en camion) ne dépend pas directement de l’entreprise mais des infrastructures à disposition et de la santé du fret et du fluvial français, plutôt en difficulté actuellement. “Cela fait trente ans que j’entends parler des voies ferrées“, note, las, Daniel Moutet, pour rappeler que les mots ne sont pas toujours suivis d’actes. Raison pour laquelle il s’agit d’un objectif “à terme“.

“Si les eaux montent, Fos disparaîtra”

Des zones grises qui n’inquiètent pas le maire divers gauche René Raimondi. “Pourquoi vous dites que les promesses environnementales ne sont pas sûres d’être tenues ? Il y a un dossier ICPE qui va être déposé”, rétorque l’élu, confiant dans cette procédure prévue pour les installations classées pour la protection de l’environnement, qui induit de nombreuses réglementations de prévention des risques environnementaux.

Fos doit devenir un modèle de ce qu’il faut faire pour lutter contre le réchauffement climatique, l’immobilisme conduira à la disparition de l’humanité.

René Raimondi, maire DVG

Autrefois opposant à l’industrie, le maire est aujourd’hui le meilleur VRP de son verdissement. “Cela fait 20 ans que l’on se bat contre les émissions et nous avons devant nous l’aboutissement de ce combat”, juge-t-il avant de s’emballer : “Fos doit devenir un modèle de ce qu’il faut faire pour lutter contre le réchauffement climatique, l’immobilisme conduira à la disparition de l’humanité”. Rien que ça. “Si les eaux montent, Fos disparaîtra”, ajoute doucement Pierre-Martin Emmanuel après les mots de René Raimondi. “Sinon, nous faisons ce que veulent les chevelus [sic] et nous ne construisons plus d’usine et plus de route, je n’y adhère absolument pas“, conclut l’élu.

Du côté de l’État, le discours est moins radical. On répète à l’envi l’importance de la “souveraineté” et que la réindustrialisation ne doit pas être “verticale” mais “horizontale” ou co-construite. Des éléments de langage pour sous-entendre que ce n’est pas l’État qui décide seul mais bien en accord avec une population plus impliquée. Un discours qui ne colle pas à la réalité comme en témoigne le “laboratoire territorial industrie” lancé en début d’année. Un dispositif – très similaire aux ateliers du territoire mis en place en 2013 – réunissant élus, industriels, associations, services de l’État et citoyens autour du devenir des pourtours de l’Étang-de-Berre. “Il doit donner des réponses sur quelles industries nous voulons, pourquoi et dans quel respect du territoire“, rappelle Serge Passerieux, chargé de sa mise en place. Ce remake devait durer jusqu’à septembre, il sera prolongé.

Pourtant, après quatre réunions, les associations ne se montrent guère emballées. “C’est une initiative de plus, il n’y a rien de nouveau”, lâche un Daniel Moutet clairement pas convaincu. Stéphane Coppey, de la FNE 13, se dit plus mesuré. Il “salue l’initiative” mais souligne “que concertation ne signifie pas réunion d’information, il y a une grande réticence chez les associations et citoyens à servir de caution“. Ou quand la bonne communication se heurte aux envies d’une réelle contribution.

Une concertation publique réduite

Paradoxalement, le laboratoire territorial a peu parlé d’industrie. Ce qui est finalement assez logique puisque les projets d’implantations ne sont pas encore tous connus. Il a en revanche abordé l’aménagement du territoire, sur les transports et l’habitation notamment, pour anticiper l’arrivée des nouveaux habitants et travailleurs des futures implantations. L’industrie se présente d’ores et déjà comme un soutien pour faire avancer des sujets coincés de longue date comme la connexion Fos-Salon. “Les industriels nous aident sur les routes“, confirme René Raimondi. La co-construction prônée par l’État s’applique surtout aux entreprises, collectivités et autres services de l’administration. Ce que conteste néanmoins Régis Passerieux. “Nous réfléchissions à des critères techniques d’acceptabilités qui vont être formalisés“, illustre-t-il sans en dire plus. Le sous-préfet assure également que le laboratoire incite ses membres à participer aux futures concertations.

Des concertations qui devraient tourner court. Le projet de loi “industrie verte”, dont l’adoption définitive est prévue dans les prochaines semaines, permet en effet de raccourcir le temps de participation citoyenne avec “un débat public global” quand plusieurs projets “sont envisagés sur un même territoire délimité et homogène dans les dix ans à venir“. Une description qui ressemble à un portrait-robot de Fos-sur-Mer. “Nous devrions être un territoire pilote”, glisse d’ailleurs à Marsactu Régis Passerieux qui y voit une manière “d’éviter d’épuiser le concept de la concertation en répétant les mêmes choses sur chaque projet sans pouvoir maîtriser les connexions entre eux“. Du côté citoyen, la démarche est en revanche mal perçue. “C’est pour mieux nous noyer et aller très très vite“, s’inquiète Daniel Moutet qui craint de ne plus disposer des détails par projet. Une méthode bien éloignée de la co-construction.

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Commentaires

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  1. Jean Pierre RAMONDOU Jean Pierre RAMONDOU

    “L’avis de la CNDP n’est que consultatif, à l’inverse de l’enquête publique qui arrive plus tard.”
    Comment faut il entendre cette phrase ?
    Il me semble que l’enquête publique est aussi que consultative au sens que l’autorité qui signe l’autorisation peut s’affranchir de l’avis du commissaire enquêteur

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  2. bernard bernard

    La question n’est pas locale et “horizontale” comme on dit pour faire savant
    Cet activisme néo industriel s’inscrit dans la politique très “verticale” du président de la République.

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  3. Patafanari Patafanari

    Les co-couillons se la font mettre à l’horizontale.

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  4. Kitty Kitty

    « Raccourcir le temps de la concertation citoyenne »
    C’est décidément une obsession des pouvoirs publics ! Honte à eux !
    Avec les enjeux climatiques et sociaux qui sont déjà là , c’est sûr qu’il faut faire vite pour empêcher les citoyens d’y voir clair!
    ….et la FNE qui soutient le tram de “Martine aux Catalans”…et qui se dit “plus mesuré”…beurk!

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  5. Andre Andre

    Mais que veut on? Que les panneaux photo -voltaïques fabriqués en Chine dans des conditions apocalyptiques continuer à arriver en France après que les portes conteneurs aient parcouru la moitié des mers du globe? Quant à Fos, le site a déjà été irrémédiablement massacré y a 50 ans. Autant donc y installer les nouvelles industries plutôt qu’aller les étaler ailleurs.
    Certes, tout ne doit pas être très “vert” dans ces projets et beaucoup sera sans doute à préciser.
    Notamment du côté de l’Etat qui veut aller vite mais qui doit aussi jouer son rôle d’aménageur en équipant le site en moyens de communication adaptés au projet d’ensemble, autres que la route: fluvial, ferroviaire. Là, par contre, j’ai un doute. Ces éléments, indissociables des nouvelles implantations, seront ils dans l’enquête publique?

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  6. Marc13016 Marc13016

    Très vertueux, ce projet d’industrie verte. je veux y croire, tout en restant vigilant sur la sincérité des démarches de concertations.
    Mais puisqu’il s’agit de verdure, parlons verdure globale … Fos, c’est un port, au départ. Je reste très interrogatif sur la répartition des activités portuaires entre Marseille et Fos. Pourquoi y a t il encore des produits chimiques, des minerais en vrac, des conteneurs et des bagnoles qui se font embarquer/débarquer à Marseille, en pleine Ville, là où l’on a besoin de foncier pour des activités citadines et où l’air est respiré par 800 000 habitants ? (ça ne dispense pas de veiller à la qualité de l’air respiré à Fos ou dans la zone industrielle avoisinante, soyons clairs).
    Un terminal multi-modal, digne de ce nom (allez, rêvons à Singapour !), implanté à Fos plutôt qu’à Marseille, ça c’est du vert, aussi. Moins “flashy” que l’industrie verte et la reconquête de la souveraineté etc. Mais tellement efficace en terme de vrai verdissement.

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  7. Jean Pierre RAMONDOU Jean Pierre RAMONDOU

    “Du côté de l’État, le discours est moins radical. On répète à l’envi l’importance de la “souveraineté” et que la réindustrialisation ne doit pas être “verticale” mais “horizontale” ou co-construite. ”
    Qui peut m’expliquer la signification de cette phrase ?

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