À Bonneveine, le projet immobilier BAO, victime des dérives du fossoyeur de Go Sport

Enquête
par Mediapart & Mathias Thépot (Mediapart)
le 27 Jan 2023
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L’homme d’affaires Michel Ohayon, qui a envoyé Go Sport et Camaïeu en redressement et en liquidation judiciaire, est aussi à l’origine d’un scandale immobilier à Marseille. Une centaine de personnes lui ont acheté depuis 2016 des logements sur plan. Jamais livrés.

Le chantier de la résidence en novembre 2020. Image: Google Street View
Le chantier de la résidence en novembre 2020. Image: Google Street View

Le chantier de la résidence en novembre 2020. Image: Google Street View

“On a consacré les économies de toute une vie pour acheter cet appartement. Mais le chantier est à l’arrêt depuis plus de deux ans et on ne sait pas si on pourra un jour l’habiter, ni même récupérer notre argent…” Bernadette et Lucien Soisson, jeunes retraités bucco-rhodaniens, ne cachent pas leur désarroi face à l’arnaque immobilière qu’ils sont en train de subir. En 2019, lors d’une balade à Bonneveine, quartier résidentiel paisible du 8e arrondissement, ils ont flashé sur un projet immobilier en cours de construction, il est vrai des plus attrayants.

Un vendeur représentant du promoteur qui tenait un stand au pied de l’immeuble leur a détaillé cette opération nommée « Bao » située à quelques encablures du bord de mer : l’immeuble de huit étages au design moderne devait contenir entre autres une centaine de logements, une salle de sport, une piscine chauffée, une résidence pour seniors et une galerie marchande de 10 000 m2. Le tout à deux pas des cafés-restaurants et d’un magasin Carrefour. Quoi de mieux pour bien profiter de sa retraite ?

Promoteur douteux

Hélas, ils ne savaient pas qu’ils avaient affaire à un promoteur peu fiable : la société foncière FCT Marseille SNC, société ad hoc créée par la Financière immobilière bordelaise (FIB), propriété du sulfureux magnat de l’immobilier Michel Ohayon. C’est lui qui a racheté successivement les enseignes de textile Camaïeu, Go Sport et Gap France pour un euro symbolique durant la crise du Covid-19, et qui a envoyé les deux premières respectivement en liquidation et en redressement judiciaire. Le tout sur fond d’impayés et de transferts de liquidités suspects. Ce qui a conduit l’État, les banques et les tribunaux à se méfier de lui comme de la peste.

C’était rassurant de voir que le projet était piloté par l’une des 500 premières fortunes de France.

Mais au moment où Bernadette et Lucien ont réservé leur futur logement, la cavalerie financière de l’homme d’affaires n’avait pas éclaté au grand jour. Il leur inspirait même confiance. “C’était rassurant de voir que le projet était piloté par l’une des 500 premières fortunes de France”, confie Bernadette.

En mai 2020, un représentant de la FIB leur demande de verser 90 % de la somme de l’appartement, soit environ 400 000 euros. Normalement, les promoteurs immobiliers ne demandent une telle mise à leurs clients qu’une fois la construction du logement achevée. “Mais comme l’appartement devait être livré en septembre 2020, c’est-à-dire quelques semaines plus tard, on s’est dit que c’était normal”, ajoute la retraitée.

Toutes leurs économies y passent… et c’est aussi le début de l’embrouille permanente. “Depuis lors, tous les six mois, la date de livraison du Bao est régulièrement décalée”, déplore Bernadette. Certes bien avancé, le chantier est en réalité à l’arrêt. “Les entreprises du bâtiment ont stoppé les travaux début 2021, car elles n’étaient plus payées par la FIB”, ajoute-t-elle. Contacté, l’entourage de Michel Ohayon n’a pas souhaité répondre à nos questions, ni nous mettre en contact avec ce dernier.

Les entreprises du BTP pas payées

Voyant que les règlements de la FIB ne tombaient pas, les entreprises du bâtiment concernées par le chantier ont d’abord essayé de négocier à l’amiable. Mais “le maître d’ouvrage restait toujours très rassurant vis-à-vis de nous quant à sa capacité à payer. Nous n’avons en fait compris que très tardivement qu’il ne nous paierait pas du tout”, explique un dirigeant de l’une d’entre elles. Certaines sont allées en justice pour réclamer leur dû. Et elles ont obtenu gain de cause.

Sur le site Infogreffe.fr, on peut ainsi constater qu’entre la fin 2021 et le début 2022, quatre décisions de justice ont condamné la société foncière FCT Marseille SNC, et solidairement la FIB, à payer au total 6,3 millions d’euros aux entreprises du bâtiment lésées sur ce chantier, selon nos calculs. Affaire réglée ? Non, car, selon nos informations, même après les décisions de justice, la FIB rechigne toujours à payer la totalité de ce qu’elle doit à ces entreprises, arguant aux huissiers mandatés qu’elle n’a plus d’argent sur ses comptes bancaires ! Étrange pour une société qui se targue de disposer d’un patrimoine de 1,5 milliard d’euros…

À plusieurs reprises, des démarches ont abouti à des protocoles d’accord transactionnel. Mais à chaque fois, le promoteur n’a pas respecté ses engagements.

La situation est à ce point tendue qu’en juin dernier, la fédération départementale du bâtiment et des travaux publics des Bouches-du-Rhône (FBTP 13) a organisé une conférence de presse à la Maison du bâtiment de Marseille pour dénoncer publiquement les méfaits de la FIB. “Certaines entreprises ont fait 70 à 80 % de leurs prestations sans être payées. À plusieurs reprises, des démarches ont abouti à des protocoles d’accord transactionnel. Mais à chaque fois, le promoteur n’a pas respecté ses engagements”, expliquait Isabelle Lonchampt, présidente de la FBTP 13, dans des propos rapportés par Le Moniteur.

Elle a aussi dénoncé “les pratiques déloyales du maître d’ouvrage”, déplorant que cette situation inextricable “mettait en péril des entreprises et des emplois”. Une mise en lumière qui n’a pas fait avancer les choses. “On sait bien qu’on ne percevra jamais les montants dus”, confie, résigné, un dirigeant d’une entreprise arnaquée. Sans un effort substantiel de la FIB, il y a donc peu de chances que le chantier reprenne.

Les habitants coincés

Dès lors, les acquéreurs des logements se retrouvent coincés. En effet, ils ne peuvent pas revendre car, malgré leur mise de 90 %, ils n’ont pas “le titre de propriété”, se plaint le couple Soisson. Ils sont contraints d’attendre que le chantier se termine. Attente qui aura des implications négatives certaines. Financières d’abord : Bernadette a par exemple été contrainte de décaler son départ à la retraite – elle a enfin cessé son activité professionnelle la semaine dernière, à 69 ans – pour payer le loyer du logement provisoire qu’ils occupent avec son mari, et s’assurer un pécule supplémentaire pour l’avenir.

Implications morales, ensuite : “Mon mari de 75 ans a peur de mourir avant que l’on puisse démêler cette situation”, s’attriste Bernadette. Et encore, il y a plus mal loti : Golnaz Montagné, 66 ans, aidante familiale de son mari, 67 ans, atteint d’une maladie du système nerveux paralysante, est aussi une des victimes de la FIB. Le couple a acheté en 2016 un appartement voisin de celui des Soisson dans l’immeuble Bao, et attend donc d’être livré depuis près de six ans ! Au gré des appels de fonds du promoteur, ils ont également avancé 90 % du prix à la société ad hoc de la FIB, soit plus de 400 000 euros.

Dans l’attente d’une issue favorable, le couple vit dans un appartement de fortune qui n’est pas aux normes d’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite (PMR). “Mon mari est contraint de dormir dans le séjour, et il n’a pas accès aux sanitaires en fauteuil roulant”, témoigne Golnaz Montagné. Il a du mal à tenir le coup. “La situation physique et mentale de mon mari s’est aggravée. Il ne sort quasiment plus jamais de son lit. Il n’a plus confiance en rien… Il faut savoir que Bao, c’était un projet de fin de vie pour nous : on avait tout vendu pour cela”, ajoute-t-elle.

L’opération Bao semblait en outre parfaitement conçue pour le handicap de son mari : “On nous avait promis un concierge qui nous aurait aidés pour les déplacements, le courrier, etc. Il y avait aussi une piscine intérieure accessible aux personnes handicapées. Pareil avec le parking qui répondait aux normes PMR. Croyez-moi, c’est rare de trouver un tel package, c’était impeccable !”

C’est dire la déception qu’ils vivent en ce moment. Mais Golnaz Montagné reste positive. Elle espère qu’au pire, si la FIB se défausse, les assurances financeront la fin du chantier. Et, de toute façon, dit-elle, elle gardera des liens d’amitié indéfectibles avec les autres acquéreurs lésés – beaucoup sont aujourd’hui défendus par un avocat qui n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations – avec qui elle avait noué contact. “Voyant que le projet battait de l’aile, on s’est contactés pour se serrer les coudes et on se voit désormais régulièrement. C’est incroyable : avec Bao, on connaît ses voisins avant d’y habiter.” Ou comment faire contre (très) mauvaise fortune bon cœur.

Enquête du parquet de Grenoble

Reste à savoir si la FIB va réagir sur ce dossier. “À un moment donné, je veux croire que même les hommes d’affaires les plus importants ont une âme”, prêche Golnaz Montagné. Rien n’est moins sûr, car en ce moment, Michel Ohayon et ses équipes ont d’autres chats à fouetter. La veille de la mise en redressement judiciaire de Go Sport le 19 janvier, Libération a en effet révélé qu’une enquête pour « abus de bien social » concernant le Groupe Go Sport avait été ouverte en novembre 2022 par le parquet de Grenoble, après que “les commissaires aux comptes ont transmis plusieurs révélations de faits délictueux”.

En cause notamment : 36 millions d’euros de trésorerie remontés de Go Sport à la filiale spécialisée dans la grande distribution de la FIB, Hermione People & Brands (HPB), sans aucune justification crédible. Autant dire que les avocats de Michel Ohayon ont du pain sur la planche. Et c’est compter sans l’étrange montage financier mis en place pour le rachat de Gap France par Go Sport.

Mathias Thépot 

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Les coulisses de Marsactu
Sur tous les points évoqués dans cet article, Mediapart a interrogé l’entourage de Michel Ohayon. Mais il n’a pas souhaité répondre et a renvoyé à une conférence de presse prévue la semaine prochaine.
Mediapart
Mathias Thépot (Mediapart)
Journaliste

Commentaires

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  1. Benjamin Ribeil Benjamin Ribeil

    C’est le meme ohayon du chateau des alpines qui veut saccager la forêt en construisant 4 immeubles dans le parc sous les alpilles ?

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    • Malleus Maleficarum Malleus Maleficarum

      Il me semble bien, oui.

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  2. Alceste. Alceste.

    Amis marseillais, regardez bien les “Galeries Lafayette” de Marseille, elles appartiennent au même individu .
    Le personnel de cette en seigne est trés inquiet , il y a de quoi vu le sort de CAMAIEU et de GO SPORT. Méfi

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  3. BRASILIA8 BRASILIA8

    On peux penser que les autorisations d’occupation du Domaine Public, occupation bien visible sur la photo, n’ont pas été renouvelées et que par conséquent le Maire dans le cadre de ses pouvoirs de police devrait procéder à l’évacuation et à la remise en état, aux frais du promoteur, de la chaussée et des trottoirs sur l’Avenue de Hambourg .

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    • jasmin jasmin

      La mairie est parfaitement en droit de faire évacuer la chaussée. Toutefois, elle pense que le promoteur profitera de cette “intrusion” de la mairie pour dire qu’on l’empêche de travailler et de bouder en arrêtant encore le chantier pour une durée indéterminée. Le promoteur attend tout prétexte.

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  4. Un urbaniste Un urbaniste

    Je trouve ce genre d’histoires incroyables. Ce mec devrait être en prison. Il devrait y avoir des garde-fous contre ce genre d’arnaque, au grand jour !!

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  5. Dominique PH Dominique PH

    la ville de Marseille n’a-t-elle pas le droit de se porter partie civile contre cet allongement infini d’occupation de l’espace public ? Les piétons ne peuvent plus remonter ou descendre l’avenue de Hambourg depuis … 2016 !!!

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  6. syds syds

    Est-ce que ce monsieur Ohayon fait partie des “premiers de cordée” qui doivent conduire le pays vers des jours radieux? 😊

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  7. Nicolas Lzr Nicolas Lzr

    Tout va rentrer dans l’ordre !
    Ils ont installé un panneau publicitaire pour une pub contre la constipation dans la zone encore en travaux, on voit très bien le panneau depuis Hambourg quand on remonte vers le Décathlon.
    C’est surement pour nous dire que les travaux vont reprendre ! (ironie, c’est comme un gros doigt d’honneur aux gens du quartier qui passent devant tous les jours :D)

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    • Nath Nath

      ah oui je l’ai vu ce panneau, faut pas pousser quand même!

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  8. MaxMama13 MaxMama13

    “C’était rassurant de voir que le projet était piloté par l’une des 500 premières fortunes de France”, confie Bernadette.
    C’est curidux cette tendance à croire que les gens tres riches sont honnêtes et dignes de confiance.

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    • petitvelo petitvelo

      En effet, l argent des uns ne peut venir que des poches des autres

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  9. Manou M Manou M

    Question : qu’en est-il de la mise en œuvre de garantie d’achèvement des travaux que doit souscrire tout promoteur et qui figure dans l’acte de vente ? C’est obligatoire… et une solution de recours pour les acquéreurs.

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