À Arles, les pouvoirs publics voudraient voir disparaître deux campements gitans historiques

Échappée
le 16 Déc 2023
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À Arles, terre de la culture gitane, deux camps habités ont vu arriver des huissiers et agents assermentés ces dernières semaines. Ces camps historiques, installés depuis 12 et 30 ans, sont menacés d'expulsion. Une décision soudaine, sans anticipation des besoins sociaux qui vont en découler. Un article signé par nos confrères de L'Arlésienne.

Sur le terrain rom, des familles habitant maintenant en appartement viennent rendre visite. (Photo : Eric Besatti)
Sur le terrain rom, des familles habitant maintenant en appartement viennent rendre visite. (Photo : Eric Besatti)

Sur le terrain rom, des familles habitant maintenant en appartement viennent rendre visite. (Photo : Eric Besatti)

Sur le canapé en velours rouge, deux enfants se chamaillent. Ninaï, l’imposante matriarche de la famille Gorgan entre dans la cabane qui sert d’extension à la caravane de sa fille Priscillia qui fête aujourd’hui son anniversaire. En ce début d’hiver, la place à côté du radiateur électrique est toute choisie. Au-dessus de sa tête : deux grandes housses à canne à pêche suspendues. Le pêcheur, c’est Sancho, 15 ans, qui passe plusieurs fois en coup de vent, entre deux virées à vélo. “Je pêche des silures dans le Rhône !”, lance-t-il fièrement avant de faire défiler les photos de ses plus belles prises.

Le Rhône coule à côté de la caravane de Ninaï, installée chemin des Ségonnaux, à côté de la gare depuis plus de 30 ans. Cet hiver, ils sont 17 enfants et neuf adultes à vivre ici. Depuis cet été, la famille a des nouveaux voisins. Quelques dizaines de mètres plus loin, un ponton flambant neuf pour croisiéristes haut de gamme vient d’être inauguré en grande pompe.

Le traitement par les pouvoirs publics est tout autre pour le camp historique des Gorgan. Le 30 octobre dernier, des policiers accompagnés d’un huissier sont entrés sur le terrain. “Ils ont tout pris en photo, ils nous posaient des questions, ils ont voulu savoir combien on était”, raconte Priscillia. L’ambiance est conviviale, mais la perspective de l’expulsion inquiète. Quand va-t-elle avoir lieu ? Où iront-ils ? Ils ont eu des échos de celle lancée à côté d’Emmaüs en juin, avec des caravanes détruites. “C’est grave ça, si on te casse ta caravane, tu vas dormir où avec les enfants ? On est des humains quand même ! Des personnes comme les autres !”, s’exclame Priscillia.

La famille Gorgan a élu domicile sur ce terrain il y a trente ans. Il appartient à France Domaine, qui n’avait jusqu’à présent pas contesté l’occupation. (Photo : Marie Bergaentzlé)

La manière de procéder employée par les pouvoirs publics a de quoi choquer la famille. Ils sont dans une obscurité complète quant à leur futur. Aucun dispositif n’a pour l’instant été mis en place pour les accompagner. “Partir ok, mais pour aller où ? On veut pas être en galère”, rebondit Hervé Boniface, son mari. L’aire d’accueil des gens du voyage à Fourchon ? Elle est faite pour des personnes itinérantes et prévoit une durée maximale de trois mois de stationnement. “On n’est pas des voyageurs, on est sédentaires”, explique Hervé Boniface.

On voit bien que la situation se dégrade quand même au niveau sanitaire.

Cécile Lenglet, sous-préfète d’Arles

Les huissiers de fin octobre ont été envoyés par Cécile Lenglet, la sous-préfète d’Arles, pour le compte de France domaine, propriétaire du terrain, soit l’État. Le terrain devrait bientôt être intégré aux Voies navigables de France et concédé à la Compagnie nationale du Rhône. “On rentre dans une procédure pour demander ensuite l’expulsion, confirme la représentante de l’État. On essaie de faire respecter le droit sur le territoire, l’idée, c’est de ne pas laisser des campements perdurer, comme ça, sans solution, avec des enfants mineurs”. Sur le camp des Gorgan, au-delà du risque inondation, la sous-préfète avance un autre argument : “on voit bien que la situation se dégrade quand même au niveau sanitaire”. Au camp, Priscillia regrette que les camions poubelles ne s’arrêtent pas pour eux, ou encore que la voirie n’ait pas installé de ralentisseur au niveau du camp, comme elle l’a fait pour la sortie des villas une centaine de mètres plus loin.

Le calendrier pour l’expulsion n’est pas encore fixé, et se trouve aujourd’hui dans les mains de la justice. “C’est en fonction des délais du tribunal. Ensuite, on aura une décision de justice et après, on aura un temps donné pour effectivement travailler avec les familles pour les solutions de sortie”, confirme Cécile Lenglet. La sous-préfète n’en est pas à sa première action contre les campements illicites. Le 20 juin, elle ordonnait l’usage des forces de l’ordre pour l’expulsion du camp à côté d’Emmaüs. “On a réussi quand même à reloger 10 familles. On était un peu arrivé au bout. Quand on sortait une famille, une autre arrivait”, poursuit-elle.

La dernière expulsion en date a eu lieu le 20 juin dernier, sur le camp à côté d’Emmaüs. (Photo : Clémentine Morot-Sir)

Pressions sur le propriétaire d’un autre terrain

Les quelques familles du camp d’Emmaüs qui restaient ont fini par trouver refuge sur un autre terrain, appartenant à un propriétaire privé, dans le Sud de la ville, non loin de l’hôpital. Une route en terre, une haie d’arbres brise vue… Ici, des habitants roms originaires de Roumanie vivent depuis 11 ans, dans des caravanes installées autour d’une ancienne maison bourgeoise. En ce dimanche après-midi ensoleillé de novembre, l’atmosphère est joyeuse, détendue. Les enfants courent et s’amusent avec Tom, le chien. Quelques hommes se sont installés sur des chaises et discutent. Au loin, des femmes étendent du linge. On s’échange des sachets de graines de tournesol à grignoter.

Tout le monde travaille ici. On travaille, on vit tranquillement. Si on doit partir, on va partir où ?

Un habitant du terrain.

Marius Velicu est à Arles depuis 2012. Comme la plupart des hommes ici, il travaille comme intérimaire. Faute de CDI, l’accès au logement leur est particulièrement difficile. De nombreuses familles ont été relogées, mais chaque dossier prend du temps, des mois, parfois des années, avant l’obtention d’un logement social. Pour eux, ce terrain privé est la seule solution pour avoir un lieu où vivre : la plupart des familles habitant encore là sont dans l’attente d’un logement. “Tout le monde travaille ici. On travaille, on vit tranquillement. Si on doit partir, on va partir où ?”, s’interroge Marius.

Comme les autres habitants du camp, Marius Mandache fait partie de la communauté rom de Roumanie. Il travaille comme intérimaire à Port-Saint-Louis. (Photo : Eric Besatti)

Le lieu est, lui aussi, pris pour cible par les pouvoirs publics. Le mercredi 6 décembre, il est 10 h 22 quand les agents assermentés de la Ville d’Arles pénètrent dans le camp pour établir un procès-verbal d’infraction au code de l’urbanisme. La visite fait suite à une mise en demeure. Une lettre froide signée de Sophie Aspord, l’élue à l’urbanisme signale “l’occupation irrégulière par des caravanes”. Elle se réfère au Code de l’urbanisme interdisant “le caravaning” et à l’inondabilité du terrain et menace “de dresser un procès-verbal aux fins de poursuites pénales”.

Le propriétaire, Jacques Ceaglio, retraité et de bon cœur, est paniqué. “Moi je veux pas subir les conséquences, on me parle d’amende de 300 000 euros. Tant que tout le monde était d’accord, j’aidais, à but humanitaire, parce que ces terrains, on n’en faisait rien alors il vaut mieux que ça profite à quelqu’un qui en a besoin. Mais maintenant si c’est trop compliqué…” Les familles roms, elles, entendent se défendre. “On va pas se laisser faire, on est chez un privé qui nous accepte, on va prendre un avocat”, prévient Marius Velicu.

Changement de politique à la mairie

Depuis 2020, la mairie a changé et la fibre sociale n’est plus la même avec Patrick de Carolis (Horizons) aux manettes. “De manière générale, pour tous les campements illégaux, il en relève du pouvoir de police du maire, notre position est claire là-dessus”, répond son cabinet dans un courriel. “Nous demandons le respect des décisions prises par le tribunal judiciaire de Tarascon, avec l’expulsion systématique d’occupants de camp illicite”. Pour l’heure, aucune décision n’a été prise par la justice pour ces deux terrains. Concrètement, la mairie n’a pas la main : la demande d’expulsion d’un terrain est toujours à l’initiative du propriétaire. Dans le cas du deuxième terrain, la stratégie de la mairie est donc de mettre la pression sur celui-ci par l’intermédiaire des règlements d’urbanisme. “Force à la loi”, s’exclamait Patrick de Carolis suite à l’expulsion du camp d’Emmaüs en juin dernier.

Il y a des textes dont l’application est moins suivie par la mairie d’Arles. Une circulaire interministérielle du 26 août 2012 relative à l’anticipation et l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites par exemple. Selon ce document, il “incombe” aux préfets et sous-préfets “de proposer des solutions d’accompagnement en initiant le travail le plus en amont de la décision de justice”. Pour le camp de Roms à proximité de l’hôpital, avec la pression sur le propriétaire sans aucune autre forme de procès, ces consignes de bonne conduite ne sont pas respectées. Aucun diagnostic social ni proposition de relogement. Le risque : simplement déplacer la problématique.

Le respect du schéma départemental en pleine vase

L’histoire est un peu différente pour le camp des Gorgan sur les bords du Rhône. Si la préfecture a envoyé les huissiers, premier pas pour la procédure d’expulsion, la question du relogement est théoriquement prévue par le schéma départemental d’accueil et de logement des gens du voyage. Dans sa dernière version, datée de 2022, le document prescrit la construction d’un terrain familial pour six foyers sur la commune d’Arles.

Un terrain familial qui pourrait bénéficier aux Gorgan ? “Oui”, confirme Lucien Limousin, vice-président délégué aux gens du voyage de la communauté d’agglomération et responsable de l’application du schéma sur le territoire d’Arles.

L’élu apprend pourtant par nos questions l’envoi des huissiers par la sous-préfecture. Alors concrètement, s’ils doivent partir de là, où se situera le terrain familial ? Le vice-président renvoie la balle : “c’est à la commune d’Arles qu’il faut poser la question”. La mairie d’Arles, elle, répond en listant les difficultés : “La rareté du foncier disponible”, “la qualité du terrain qui ne doit pas être inondable (ce qui est complexe)”, “l’éloignement suffisamment nécessaire d’habitations pour éviter les conflits d’usage”. La sous-préfète, quant à elle, assume un autre chemin qui ne correspond cependant pas aux prescriptions du schéma. “On n’a pas de terrains mais ça n’empêche pas d’avancer aussi sur des solutions autres comme la résidentialisation […] mais il faudra qu’ils abandonnent effectivement la caravane”.

Priscillia Gorgan, en compagnie de sa fille Taïciana et de son amie Déborah, devant chez elles, chemin des Ségonnaux. (Photo : Marie Bergaentzlé)

Le long du Rhône, Priscillia raconte des anecdotes sur ses cinq années passées en appartement. “Plus jamais ! Je veux pas être en appartement, je veux un terrain”, insiste-t-elle. Un cadeau pour son anniversaire ? Elle regarde une parcelle de l’autre côté de la route. Juste en face du camp des Gorgan, un délaissé SNCF qui a la chance d’être constructible. “Qu’ils nous mettent là, on s’installe là, la mère de ce côté, moi là, puis voilà, pas de problèmes”.

Clémentine Morot-Sir et Éric Besatti

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Commentaires

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  1. jacques jacques

    Concernant le terrain privé ça peut se jouer avec une donation (moyennant du cash) aux occupants de la part du propriétaire. Plus de préemption possible, mais il faudrait qd même respecter les règles d’urbanisme. Cette solution est couramment employée en région parisienne pour faire pièce aux préemptions systématiques des maires qui pensent encore que les gitans sont encore des voleurs d’enfants.

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  2. jacques jacques

    Concernant le terrain occupé depuis 30 ans -au moins-sans opposition du propriétaire, on peut invoquer l’usucaption ce qui veut dire qu’on en devient propriétaire. Plusieurs cas ont été jugés en cassation sur ce motif. A voir avec des avocats qui s’occupent des gens du voyage.
    Et à bas les schmitt.

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    • Patafanari Patafanari

      À condition d’avoir payé chaque année la taxe foncière en lieux et place du propriétaire. ( Un narvalo a embrassé un schmitt).

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  3. MarsKaa MarsKaa

    Merci Marsactu de relayer cette info. Ce qui se passe à Arles interroge. La municipalité semble vouloir modifier la composition sociale de la ville. Au lieu de développer la ville avec ses habitants et pour ses habitants, la mairie semble vouloir faire d’Arles un produit, une marque, un lieu residentiel et touristique de magazine, sans ses habitants, pour des nouveaux venus uniquement.

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    • julijo julijo

      oui, c’est étonnant et à la fois pas du tout ! qu’attendre d’autres d’une municipalité dirigée par de carolis.
      ce qui continue à m’étonner c’est qu’il ait eu suffisamment d’électeurs….
      il veut faire d’arles un endroit très à la mode et largement mieux fréquenté à son goût.
      nier cette culture et cette présence, d’arles aux saintes marie est d’une bétise historique sans nom, et prouve une inhumanité certaine.
      vouloir appliquer la loi, c’est effectivement d’abord se l’appliquer à soi même.

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  4. jacques jacques

    @patafanari: êtes vous sur de votre info? A priori, tant que l’on n’a pas demandé l’usucapion, on n’est pas propriétaire du terrain et c’est donc au propriétaire en titre de la payer me semble t’il. D’autant plus qu’il s’agit d’un terrain appartenant à France Domaines donc à l’état. Merci de me tenir informé de vos recherches. Amicalement.

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    • Patafanari Patafanari

      Cour d’appel de Saint-Denis (Réunion), 29 Octobre 2021, RG n° 20/015521
      Pour un terrain appartenant à l’état ce n’est pas possible ( ou alors un petit malin, très patient est peut être sur le point s’approprier le camp de Canjuers …)

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  5. petitvelo petitvelo

    Il serait intéressant de développer ce qui semble retenir la préfecture de reloger très en amont : “On a réussi quand même à reloger 10 familles. On était un peu arrivé au bout. Quand on sortait une famille, une autre arrivait”

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