FINANCEMENT DES ÉCOLES PRIVÉES, DE L’ABROGATION AU COMPROMIS

Billet de blog
le 16 Fév 2025
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FINANCEMENT DES ÉCOLES PRIVÉES, DE L’ABROGATION AU COMPROMIS
FINANCEMENT DES ÉCOLES PRIVÉES, DE L’ABROGATION AU COMPROMIS

FINANCEMENT DES ÉCOLES PRIVÉES, DE L’ABROGATION AU COMPROMIS

Par le Collectif des écoles de Marseille, le CeM, prononcez le seum…

Nous tenons à remercier les organisateurs de l’exposé de Paul Vannier suivi d’un débat concernant le financement des écoles privées sous contrat. Cette question, quoique revenue sur le devant de la scène grâce, bien malgré eux, aux récents ministres de l’éducation et du rapport parlementaire sur le sujet, a toujours été éludée par les différents gouvernements qui se sont succédé, par conviction ou par électoralisme.

L’école privée occupe pourtant une place de plus en plus importante tant en volume financier qu’en contribution à la ségrégation sociale et scolaire, à tel point qu’elle menace aujourd’hui l’égalité promise par l’école républicaine.

Lors des questions du public, M. Paul Vannier semblait ignorer que La France Insoumise  proposait en 2017 la suppression progressive du financement privé des écoles publiques alors qu’il était l’un des principaux rédacteurs du livret thématique éducation.

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Pourtant , La France Insoumise (LFI) sous la direction de M. Jean-Luc Mélenchon adoptait une position radicale concernant l’enseignement privé : la fin progressive des financements publics pour les établissements privés sous contrat, avec l’objectif de les intégrer au sein de l’enseignement public ou de les laisser opérer sans soutien financier de l’État après une période de 5 ans.

En 2022 puis 2024, un changement notable s’opère dans la stratégie de LFI. Plutôt que de proposer une suppression totale des financements publics pour les établissements privés, elle suggère d’introduire un mécanisme de malus financier. Ce dispositif vise à réduire les subventions des écoles privées sous contrat dont l’Indice de Position Sociale (IPS) est supérieur à la moyenne des établissements publics du même secteur afin d’encourager une plus grande mixité sociale au sein des écoles privées.

Cependant, comme nous le démontrerons ensuite, nous maintenons que l’instauration d’un malus financier présenterait des risques de contournement et pourrait entrainer des effets contre-productifs, tels que des revendications accrues des établissements privés pour des financements supplémentaires.

Ainsi, nous considérons que cette proposition témoigne d’une volonté de compromis. Elle soulève également une complexité quant à sa mise en œuvre et à ses conséquences.

Proposition n° 44 de M. Vannier dans son rapport et reprise dans le programme NFP : Intégrer un mécanisme de malus diminuant le montant du forfait externat des établissements privés sous contrat dont l’IPS est supérieur à la moyenne pondérée de l’IPS des établissements publics de même rang situés dans le secteur de carte scolaire où ils sont implantés.

La proposition de M. Paul Vannier vise donc à introduire un malus sur le financement des établissements privés sous contrat dont l’IPS (Indice de Position Sociale) est supérieur à la moyenne pondérée des établissements publics de leur secteur. Si l’objectif affiché est de rétablir un certain équilibre en favorisant la mixité sociale, plusieurs objections majeures se posent quant à ses effets pervers potentiels et aux enjeux de financement qu’elle soulève.

L’application de ce malus encouragerait mécaniquement les établissements privés à recruter davantage d’élèves issus de milieux défavorisés afin de faire baisser leur IPS et éviter la sanction financière. Cependant, ce phénomène risque d’avoir un effet inverse sur les écoles publiques de secteur, notamment en ce qui concerne les élèves à fort potentiel scolaire.

Nous le constatons avec la Cité Scolaire Internationale dans le secteur d’Euromed et son recrutement dans les écoles du 3ème.

Pour réduire leur IPS, les établissements privés chercheront prioritairement à cibler des élèves issus de milieux plus modestes tout en conservant une forte exigence scolaire. Cela risque d’accélérer un déséquilibre scolaire dans les écoles publiques, qui pourraient perdre une partie de leurs élèves ayant de bons résultats et bénéficiant d’un accompagnement familial structuré. Les conditions de recrutement de la Cité Scolaire Internationale attestent encore de ce phénomène. Or, ces élèves jouent un rôle essentiel dans l’émulation au sein de leur classe. Leur départ entraînera une fragilisation du niveau général des classes et un sentiment d’abandon chez les familles qui n’ont pas les moyens d’opter pour le privé.

La proposition renforcera la ségrégation scolaire, les établissements privés continuant à sélectionner des élèves correspondant à leur projet éducatif, tandis que les publics les plus en difficulté resteraient massivement concentrés dans l’enseignement public.

La mécanique est déjà à l’œuvre. Il est souvent affirmé qu’il n’y a pas que des établissements privés élitistes, que des élèves boursiers sont accueillis dans le privé. Si on se penche sur la carte des IPS, on s’aperçoit que certes, certains établissements privés ont un IPS assez faible, mais leur écart type est plus ténu et leur moyenne est bien supérieure (en général 20 points) en comparaison aux établissements publics alentour.

L’école privée s’adapte donc à la clientèle locale de sa zone de chalandise. Ce qui a pour résultat de vider les écoles publiques voisines des élèves dont les parents sont les plus aisés et de piocher allègrement parmi leurs meilleurs élèves, ce qui enfonce encore un peu plus ces établissements déjà en difficulté.

Paul Vannier objecte que nous pourrions intégrer une pondération en fonction des résultats scolaires des élèves accueillis afin de garantir une mixité scolaire. Une telle mesure théorique pourrait en effet rééquilibrer les écoles privées et publiques. Mais nous ne comprenons pas comment cela pourrait s’appliquer concrètement, le tout en aboutissant in fine à une évaluation généralisée des élèves dès le plus jeune âge.

Et concrètement: moi, élève moyen d’une école publique à faible IPS, on me demanderait d’intégrer un établissement privé à des fins de rééquilibrage ? Je n’en ai pas forcément l’envie ni les moyens de payer les frais d’inscription, la cantine ou le périscolaire. Ou alors l’Etat subventionnerait encore un peu plus le privé en les prenant en charge ? Et même si l’on actait la fin de la liberté des établissements privés à choisir leurs élèves et que l’on les intégrait à la carte scolaire, à quoi aboutirions nous ? A une école avec plusieurs opérateurs qui nous seraient imposés ? On voit bien que ce glissement de l’exigence de la fin de l’école privée sous contrat à de simples aménagements mène à des situations qui seraient inextricables.

Un autre aspect problématique de cette proposition réside dans les conséquences financières qu’elle impliquerait en matière de prise en charge des temps périscolaires et de restauration scolaire.

Dans l’enseignement public, la restauration scolaire et les activités périscolaires sont largement financées par les collectivités locales, avec des tarifications progressives permettant un accès à moindre coût pour les familles défavorisées , voire gratuit,   pour près de 4000 enfants, nous rappelons que le plein tarif à 3,67 € la pause méridienne n’est qu’une partie du coût global, nous estimons au CeM le coût aux alentours des 8€ (aucune transparence sur le coût global, mais nous le demanderons lors du vote du nouveau barème, ils le savent, nous attendons).

Dans le privé, ces services sont généralement à la charge complète des familles, sans aucun soutien des collectivités locales. Si les écoles privées recrutent davantage d’élèves issus de milieux modestes pour échapper au malus, le coût du périscolaire et de la cantine deviendra un obstacle majeur, rendant impossible l’accueil de ces élèves sans soutien financier supplémentaire. Face à cette difficulté, les établissements privés revendiquent une extension des financements publics au périscolaire et à la pause méridienne, sous prétexte d’assurer l’égalité de traitement entre élèves du public et du privé. Philippe Delormes, patron des écoles catholiques,  a déjà évoqué le sujet dans ses interview du café pédagogique.

Lien 1 (2023)Lien 2 (2024)

Ce phénomène s’est déjà produit avec l’abaissement de l’âge de la scolarisation obligatoire à trois ans en 2019, qui a obligé les communes à financer les maternelles privées, ce qui n’était pas systématiquement le cas auparavant, bien évidemment à Marseille, le systématique était déjà la règle.

Une fois que l’État et les collectivités commenceront à financer le périscolaire et la restauration dans le privé, il deviendra très difficile de revenir en arrière, ce qui représenterait un coût public supplémentaire considérable (36 semaines x 4 jours x (8 – 3,67)€ =623€ pour un enfant soit plus de la moitié du forfait communal).

Si cette proposition venait à être appliquée, elle ouvrirait la voie à de nouvelles revendications des établissements privés en matière de financements publics, bien au-delà du forfait d’externat.

Nous assistons donc aujourd’hui à une dynamique similaire à celle de l’application de la loi “École de la confiance”, où en intégrant des élèves issus de milieux plus modestes pour éviter la sanction financière, les écoles privées pourront revendiquer plus de moyens au nom de l’équité.

Le risque est donc de voir émerger un discours selon lequel “ces élèves ont droit aux mêmes aides que ceux du public”, légitimant ainsi une demande de prise en charge par l’État ou les collectivités.

Proposition n° 34 de M. Vannier : Systématiser la prise en charge en nature en lieu et place de l’attribution d’une partie du forfait d’externat.

La proposition de systématiser la prise en charge en nature des dépenses des établissements privés sous contrat, plutôt que d’attribuer une partie du forfait d’externat sous forme de subventions financières directes, nous pose souci également.

En fournissant directement des ressources aux écoles privées sous contrat, les collectivités locales légitimeront l’idée que ces établissements font pleinement partie du service public, alors qu’ils restent des structures privées avec des règles d’admission distinctes.

Cela offre assurément un levier de communication puissant aux établissements privés, qui pourront afficher publiquement que “l’État et les collectivités reconnaissent pleinement leur rôle éducatif”, brouillant davantage la distinction avec les écoles publiques.

L’expérience du kit de fournitures scolaires à Marseille illustre bien ce danger : après avoir décidé d’offrir un kit de fournitures scolaires aux élèves des écoles publiques, la municipalité a étendu cette mesure aux élèves des écoles privées sous contrat, au nom de l’égalité de traitement.

Cette initiative, qui devait être un symbole du soutien aux écoles publiques, a paradoxalement bénéficié aux établissements privés et affaibli la distinction entre les deux systèmes.

Autre exemple récent, celui des Écrans Numériques Interactifs (ENI) : la ville de Marseille a bénéficié de plus de 5 millions d’euros d’aides de l’État pour équiper les écoles publiques en écrans numériques interactifs (ENI), dans le cadre d’un appel à projets. Or, toutes les subventions n’ayant pas été dépensées, la municipalité a signé une convention permettant aux écoles privées sous contrat d’accéder à ces équipements, au nom de l’égalité de traitement. Voilà voilà… Cette décision illustre parfaitement notre inquiétude : toute prise en charge en nature devient une porte ouverte à un financement détourné du privé, et renforce leur légitimité à demander toujours plus de ressources publiques.

Nous en concluons que de nombreux responsables politiques semblent incapables d’envisager une aide au public sans l’étendre automatiquement au privé, comme si cela ne pouvait en être autrement. C’est une réalité que nous vivons ici à Marseille et nous ne nous étendons pas ici sur les autres cadeaux faits à l’église catholique (rénovations orgues, bâti, …), et autres mises à disposition de locaux.

Seulement l’objectif des collectifs/organisations défendant l’arrêt du financement public des écoles privées est justement de rappeler que ces établissements ne font pas partie pour nous du service public. En généralisant la prise en charge en nature, cette distinction s’efface progressivement, rendant plus difficile la mobilisation citoyenne pour la fin du financement public du privé.

Le forfait d’externat repose actuellement sur un principe clair : les collectivités locales versent un montant forfaitaire par élève aux établissements privés sous contrat, basé sur les coûts des écoles publiques. Simple, basique. En remplaçant une partie de ce forfait par une prise en charge en nature, on introduit nécessairement de la complexité dans l’achat et l’attribution de ces aides en nature…

Aujourd’hui, cette proposition de prise en charge en nature traduit en réalité, encore une fois, une posture moins offensive, acceptant une forme de soutien structurel aux établissements privés sous contrat, une sorte de compromis qui affaiblit la distinction entre école publique et privée, au lieu de maintenir une ligne claire en faveur de l’école publique gratuite, et universelle.

Notre démarche ne vise pas à opposer stérilement des points de vue, mais à alerter sur les conséquences inattendues de certaines propositions, notamment celles qui risquent d’ancrer davantage le financement public des écoles privées au détriment de l’enseignement public.

Par ailleurs, nous souhaitons souligner que les besoins scolaires évoluent avec la baisse démographique importante qui s’amorce. L’argument de la loi Debré de 1959, qui visait à pallier un manque de places dans l’enseignement public en intégrant le privé sous contrat dans le financement public, ne peut plus être utilisé aujourd’hui avec la même pertinence. Ce sujet mériterait également un regard appuyé.

Tout ceci impose une réflexion approfondie sur la répartition des moyens, avec une priorité absolue à l’investissement dans l’école publique, seule garante de l’égalité et de la mixité sociale, Notre collectif le martèle : le service public de l’école doit rester la seule priorité des financements publics pour une école de qualité, gratuite, pour toutes et tous. 

Bien à toutes et à tous,

Les militants et militantes du CeM, Collectif des écoles de Marseille

(Prononcez le seum parce que …)

Commentaires

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  1. toto toto

    Alors LFI, pourquoi ce changement d’avis sur l’enseignement privé ?

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    • Citoyen-ne-s-de-marseille.fr Citoyen-ne-s-de-marseille.fr

      Ne pas avoir d’avis est pire …

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  2. Gabriel Gabriel

    Public ou privé est un faux débat, un débat idéologique. La seule question qui mérite d’être posée est : comment offrir la meilleure éducation possible aux jeunes ? L’exemple de la Cité scolaire internationale montre qu’il est possible de créer des établissements d’excellence dans le Public, et tant mieux. Et si le Privé fait pareil, tant mieux aussi.

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    • toto toto

      Etablissement d’excellence en s’inspirant du privé, en faisant un tri social et en concentrant les moyens du public… Non merci.

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  3. Patafanari Patafanari

    « Par le Collectif des écoles de Marseille, le CeM, prononcez le seum…« 
    Et si on prononce le s’aiment, iels nous envoient à la mort , prononcez l’amour…

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