NARCOBANDITISME À MARSEILLE

Billet de blog
le 7 Fév 2025
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Il semble ne pas se passer une semaine à Marseille sans que les journaux nous annoncent une nouvelle mort ou une nouvelle altercation violente liée au narcotrafic. "Marsactu" y consacre de nombreuses réflexions. Interrogeons-nous à notre tour sur cette évolution dangereuse de la ville.

Une crise de la ville et de l’urbanité

C’est d’abord de la ville que nous devons parler, pour tenter de comprendre. L’accroissement du narcobanditisme et de ses méfaits s’inscrit, à Marseille, dans une crise bien plus ancienne de l’urbanité. Marseille a, d’ailleurs,déjà  connu, dans son histoire, une crise du même ordre, menant en scène des acteurs comparables : c’était dans les années trente. Mais, de nos jours, nous semblons revenus dans les mêmes impasses, dans les mêmes invasions des quartiers de la ville par les mêmes violences. La crise contemporaine de la ville n’est pas tout à fait la même que celle des années trente, mais elle en présente certains aspects communs. De nos jours, bien sûr, redisons-le même si cela finit par devenir un véritable lieu commun, la crise de la ville, à Marseille, est d’abord, une crise économique : celle des entreprises, du travail et de l’emploi. Évidemment, si les gens avaient du travail et savaient ainsi comment trouver une place dans la société, ils ne se tourneraient pas, ou ne se laisseraient pas tourner, vers le narcotrafic et le banditisme qui l’accompagne. Mais cela ne suffit pas. Cette crise de la ville que nous connaissons à présent est liée à trois autres aspects de la vie urbaine. D’abord, il s’agit d’une crise de l’urbanisme et du logement. Nous payons, par le narcotrafic, l’urbanisme sans logique qui s’est imposé à Marseille dans les années soixante : les tours immenses sans souci  de la vie de celles et ceux qui les habitent et sans préoccupation esthétique, les quartiers périphériques sans occupations culturelles, sportives, ou, tout simplement, sociales, les véritables ghettos qui ont été construits sans souci des populations qui y vivraient, et soigneusement séparés des « beaux quartiers », cet autre ghetto du Sud de la ville. Un deuxième aspect de la crise urbaine dont le narcotrafic est un symptôme est justement lié au premier : il s’agit de la « ghettoïsation de l’emprise », pour reprendre un mot employé dans Marsactu il y a quelque temps à propos du même sujet. Clara Martot Bacry en parle de nouveau dans Marsactu d’hier, 6 février. L’emprise des stupéfiants, de leur trafic et de la violence qui les accompagne n’est pas la même partout, et elle a conduit à la constitution de véritables ghettos urbains, sans relations avec les autres quartiers de la ville, à l’enfermement des habitants de ces quartiers dans ces « cités » aux noms de fleurs sans autres possibilités de vie sociale que les attroupements au bas des tours et sans autre vie économique que celle du marchandage et du trafic. Enfin, la crise de l’urbanité tient à l’évolution même des populations des quartiers ainsi ghettoïsés. Nous en sommes à la troisième génération depuis la construction des « cités » : leurs premiers habitants se sont installés dans les années soixante, ils avaient des enfants qui ont, eux-mêmes, eu des enfants, nés dans les années soixante-dix, et ceux que l’on peut appeler « les jeunes de l’emprise » sont les jeunes adultes ou les adolescents de notre temps. La crise de l’urbanité est là, dans l’enfermement de ces jeunes sans relations sociales ailleurs que dans leurs cités, à qui rien n’a facilité de réels échanges avec les autres quartiers de Marseille et qui n’ont pas été en mesure de profiter des installations et des institutions de la ville dans le domaine culturel ou dans le domaine du sport ou des activités d’animation.

 

Que peuvent répondre les institutions ?

La véritable question à laquelle les institutions sont, à présent, sommées de répondre est celle de l’avenir qu’elles peuvent proposer à ces jeunes qui sont en déroute faute, précisément d’avenir clair. La première urgence est de faire en sorte que les quartiers de l’emprise soient pleinement aménagés autour de lieux d’habitation convenables et qu’ils ne soient plus des ghettos, qu’ils disposent, pour cela, de moyens d’échanges et de circulation les mettant en relation avec les autres quartiers et avec les autres habitants de Marseille. Le projet de la municipalité, pour commencer, devrait être de faire retrouver Marseille à tous, de permettre à tous de vivre pleinement dans la ville au lieu d’en être chassé. Une municipalité solidaire de gauche doit en finir avec les manquements des municipalités qui l’ont précédée. Une seconde urgence est de faire venir des emplois dans ces quartiers abandonnés. De nos jours, toutes sortes d’emplois peuvent être proposés sans qu’il soit nécessaire, pour cela, de réaliser de grands équipements : utilisons ce que les nouvelles technologies et les technologies d’information et de communication peuvent avoir d’utile pour rendre à tous les quartiers les potentialités d’une véritable vie économique. Enfin, les institutions peuvent répondre aux attentes, dites ou supposées, de celles et de ceux qui vivent dans les quartiers envahis par la violence du narcotrafic en leur proposant une vie culturelle qui en soit vraiment une. On ne peut pas aller au cinéma dans des quartiers qui n’en possèdent pas, on ne peut pas faire de sport dans des quartiers sans équipements, on ne peut pas prendre part à une véritable vie sociale quand les seules institutions présentes sont les regroupements de jeunes sans autres références que celles de pays éloignés aux potentialités mystiquement entretenues par des organisations comme la sinistre « DZ Mafia ». En réalité, un véritable tissu d’institutions s’est structuré dans les quartiers du narcotrafic, mais il s’agit des institutions qui l’organisent. Aux institutions rendant possible la mise en œuvre d’une véritable vie sociale répondent ce que l’on pourrait appeler des « alter-institutions », ou des « anti-institutions », qui organisent une vie sociale et des marchés parallèles à ceux qui sont légitimes. Ces anti-institutions imposent leur socialité par la violence et par la mort, dans une espèce d’idéalisation séduisant celles et ceux qui vivent dans les ghettos en leur proposant – ou en leur imposant – des idéalités leur donnant l’illusion de se libérer des nôtres et ne s’inscrivant que dans la violence des rapports de force. La véritable réponse de la société est là : dans la refonte d’un tissu d’institutions en mesure de susciter les adhésions. Mais elle se trouve aussi dans l’élaboration d’une nouvelle urbanité : nous devons repenser l’urbanisme marseillais, la construction et l’aménagement des quartiers devenus des quartiers sensibles, en faisant de la solidarité un des éléments constitutifs de la vie urbaine marseillaise et en faisant en sorte que les institutions de la ville construisent une socialité de nature à répondre aux attentes de celles et de ceux qui y vivent en ressentant, aujourd’hui, un véritable manque susceptible de créer de la souffrance et de perdre les jeunes dans les impasses économiques, sociales et culturelles qui ne peuvent les mener qu’à du vide. C’est la béance de la ville et de l’urbanité qui explique la montée des violences et l’organisation d’une économie illusoire fondée sur l’emprise.

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