Mes châteaux d’If: Un antifasciste Marseillais.

Mes châteaux d’If: Un antifasciste Marseillais.

Début janvier, une manif passe à la Plaine pour fêter la mort de Jean-Marie Le Pen. La plupart des manifestant.e.s sont jeunes. Des gauchistes, je présume. Mon sang «aryen» ne fait qu’un tour et je me rappelle que j’avais toujours eu envie qu’Yves Peyrat, un anti-fasciste Marseillais plainard me raconte sa résistance au Front National dans les années 80. Avec William Ferrari, ils  re-créent les FTP, (Francs Tireurs Partisans) comme les communistes de la Résistance intérieure en 1942.

Comme par hasard, on se rencarde au Bar de La Plaine, où l’ancien taulier Jacky avait affiché le portrait du FTP quand Yves faisait sa détention aux Baumettes.

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Yves, question tchatche, c’est une mitraillette, comme le Sten, la Titine, une arme qu’il a longtemps chéri, avec un gout prononcé pour  les explosifs. “Méche courte, méche longue comme Il était une fois la Révolution.”Le gamin est né en 59 à la Belle de Mai avant que ses parents n’habitent boulevard Eugène Pierre. Dans une cave sans eau chaude, sans frigo, «On allait acheter la glace au coin de la rue» Des gens modestes, comme on dit.

«Pur produit révolutionnaire» Yves naît chez les Rouges.Grand-père responsable politique du P.O.U.M¹, plus ou moins trotskiste et dans lequel Georges Orwell s’engage. Il raconte cet épisode dans Hommage à la Catalogne, son livre sur la guerre d’Espagne. La famille Peyrat est évacuée d’Alicante en 1939 sur le Stanbrook, un navire britannique qui sauva des milliers de réfugiés espagnols et les transporta jusqu’à Oran. «La famille d’Imothep le rappeur d’ IAM a fui sur le même bateau, avec plus de 2500 passagers, un bateau bondé.»

On n’est pas rendu à Marseille en 1990 si Yves est aussi loquace. Mais basta, le combat antifasciste et anti capitaliste est souvent histoire de famille.

Après Blida et ses camps, on se retrouve avec les Peyrat qui fondent famille et refont leur vie à Marseille après guerre. Yves va au Guignol de la Plaine et il se sent plainard. La famille est relogée dans des HLM du 9 éme. Cuba fait rêver les révolutionnaires. La révolution sandiniste au Nicaragua de 1979 aussi.

«Le punk est la bande son de ma révolte.» A Marseille, on s’ennuie. « C’est le trou du cul du monde ici, à part pour la dope.»

Yves rate son bac. Il travaille un peu à l’imprimerie Longchamp à Sébastopol, avec son père. Sa mère fait des ménages. Yves se perce l’oreille, à une coupe bizarre et donc se prend une mandale de son père. «On écoutait Radio Madrid pour fêter la mort de Franco en 1975 et l’autre jour je vois des jeunes fêter dans les rues de Marseille la mort de Le Pen.» Pour lui, Le Pen était mort il y a dix ans.

Assoiffé de combats, Yves s’engage dans les comités de solidarité avec le Nicaragua, organisés par la LCR. Il s’envole pour Managua. «Pour moi ce sont des Brigades Internationales. Un jour on nous annonce que la 92ème division américaine aéroportée décolle pour nous combattre. J’ai un béret et je suis mal rasé. Nous sommes deux Marseillais à nous engager et on me propose d’intégrer les combattants. Des Cubains me forment aux armes et aux explosifs.»

A 27 ans, pourtant Yves rentre en France avec le mal du pays. 1986 en France. Yves intègre le GAF ( Groupe d Action Anti fasciste) s’intéresse au Scalp, né à Toulouse. Il monte à Paris et se rapproche de REFLEX, des concerts des Béru. La belle époque de Porcherie. «Je travaille à la Poste en brigade alors.» Pas internationale cette fois.

En 1987, le Front National organise une grande manifestation à Marseille autour du code de la Nationalité. 20 000 personnes défilent de Puget à la Joliette.«C’était l’époque où Richard Martin² met une droite à un flic en manif.» Jean-Marie Le Pen venu à Marseille proclame « Être français, ça se mérite». Un manifestant cité par le Monde veut s’expliquer «avec tous ceux dont le teint bronzé ne doit rien un à récent séjour au ski.» Les insultes vont fuser sur la Canebière contre les étrangers. Et les coups pleuvoir sur tout ce qui n’est pas blanc.

Le Pen est en terrain conquis à Marseille. Depuis le meurtre d’un traminot Marseillais en 1973 qui a donné lieu à une série fulgurante d’assassinats racistes, la ville, où “les rapatriés” sont légion, vote à plus de 30% pour le FN. 35 députés Front National sont entrés à l’ assemblée. Le Front National foncièrement anti-communiste va basculer vers le thème de l’immigration avec Bruno Megret.

La réponse à la montée du F.N avec SOS Racisme manipulée par le PS et son fameux Touche pas à mon pote, ce n’est pas la tasse de thé d’ Yves. «Lors des collages, mon pote avait un Colt 44 et moi un fusil de 12. A Aix, meeting de l’Eurodroite en 79, un soir dans notre DS 21, on poursuit armes aux poings une 4 L de fachos.» Les rapports politiques sont plus violents qu’aujourd’hui, ma foi. La 4 L leur échappe.

Après l’assassinat du jeune Ibrahim Ali par des colleurs d’affiches du Front National en 1995, Yves Peyrat et son camarade William Ferrari décident de passer à l’action violente. Ils vont commettre une dizaine d’attentats entre 1991 et 1998 contre principalement des locaux du Front National à Marseille: Grenades, plasticages pour finir par le transformateur électrique de la salle de spectacle le Stadium à Vitrolles. Les FTP renaissent avec les noms de Manoukian, Alessandri ; pour chaque coup, une réponse: Oeil pour œil, dent pour dent, et pour Ibrahim Ali, c’est un cadre du FN qu’il a envie de flinguer. «Des armes d’une autre époque car les Kalash arrivent avec la guerre en Yougoslavie. »

Les équipées sauvages sont très minutieuses. Un commissaire politique dont Yves taira le nom leur donnera les armes théoriques de leur révolte. «Tu sais l’ambiance politique était chaude. Je me suis fait braqué au calibre au Panier par des colleurs d’affiche du FN.» Yves décollait , il est vrai, leurs affiches. Eux ne décoléraient pas.

Fin des FTP.

Un matin, six plombes du mat, on frappe chez le père de Yves qui crèche alors chez son paternel. Cela fait un an que les FTP n’ont pas d’activité. L’un des flics avait justement arrêté les colleurs d’affiche du FN. «Mon père leur propose même du café.» déclame Yves en frappant la table du Bar de la Plaine. Ils trouvent mon grenaille trafiqué d’où on peut tirer des balles. Et puis le livre d’Anne Tristan, Au Front, dont Yves avait recopié des extraits.« Les flics m’embarquent puis l’un d’eux se retourne et aperçoit mon sac à dos. » Yves leur indique de le manipuler avec précaution.A l’intérieur, une grenade, preuve supplémentaire s’il en fallait. «Au bout de 24 h, je revendique tout.» sauvant ses complices d’une peine trop lourde.

Yves pense sans regret que c’est ce qu’il fallait faire à l’époque.« Beaucoup de gens nous adressaient des messages de soutien: faites en plus!» Toujours sans s’en prendre aux individus. Des non-violents, presque..

Le comité de soutien est large, d’Emmanuel Cosse à Pierre Vidal Naquet. Les dessinateurs de Charlie Hebdo éditent des cartes postales pour les deux condamnés. Yves Peyrat sera condamné à 5 ans et sortira au bout de 3 ans et quatre mois. William fera quelques mois. Georges Ollitraut, un résistant des FTP, actif dés ses 16 ans sera de leurs soutiens. Entre FTP, ils n’avaient réclamé ni la gloire, ni les larmes et s’étaient servis simplement de leurs armes.