L’avenir toujours obscurci de la tour Bel Horizon
La grande tour de Bel Horizon (3e arrondissement) aurait bien besoin de travaux, sous peine d'être frappée d'un arrêté de péril. Les litiges entre les deux copropriétés qui la composent et les acteurs publics en charge de la rénovation empêchent cependant le grand coup de neuf tant attendu.
L’avenir toujours obscurci de la tour Bel Horizon
Sa grande hauteur et sa position en bordure de l’arrivée de l’autoroute A7 la posent en signal de Marseille. Un mauvais signal : les façades sont grêlées, le béton menace de tomber à tout moment, les balcons laissent voir des fers rouillés, les fenêtres et volets roulants datent de la construction, en 1956, et peuvent s’envoler à tout moment. Les deux copropriétés de l’immeuble, Bel Horizon I et II, doivent faire face à la menace d’un arrêté de péril si des travaux d’urgence ne sont pas réalisés à l’extérieur : notamment sur les façades qui souffrent des désordres décrits plus haut et sur les passerelles, aujourd’hui condamnées, qui relient les deux immeubles siamois.
Ces jours derniers, il y a de l’agitation sur la partie la plus proche de l’autoroute, Bel Horizon I. Depuis le toit terrasse à 60 mètres de hauteur, des cordistes jouent aux funambules verticaux. Leur travail consiste à purger les parois des morceaux de béton menaçant de tomber. Ce jeudi 28 juillet, la discussion va bon train dans la salle à manger de Florence Ballongue et Pierre-Louis Albert, son compagnon. Propriétaires occupants, ils sont très investis dans le conseil syndical de leur copropriété. Et même au-delà, puisqu’ils participent activement aux projets socio-culturels menés par l’association les Têtes de l’art avec les jeunes du quartier.
Le casse-tête des copropriétés
Nouvelle priorité de la rénovation urbaine depuis la publication du rapport Nicol, il y a un an, les copropriétés dégradées sont un casse-tête pour les acteurs publics. Elles cumulent plusieurs handicaps. Souvent impécunieux, les propriétaires ne peuvent plus faire face aux charges et notamment à l’entretien des parties communes. Les appartements eux-mêmes sont parfois laissés à l’abandon par des bailleurs négligeants ou qui font commerce de logis loués à des familles relevant du logement social mais qui n’y ont pas accès. La perception des loyers est assurée par le versement direct des aides au logement. Par essence, ces propriétés privées ne relèvent pas du champ de l’action publique pourtant en raison de leur état d’indignité, les risques qu’ils font courir aux habitants et leur rôle social la rend nécessaire.
Ils sont aussi très inquiets. Certes, leur appartement offre une vue imprenable sur la rade. Traversant, orné de poutres, il a le charme moderniste des années 50 dont André-Jacques de Dunoyer de Ségonzac, l’architecte, est un des défenseurs. Mais la bonne affaire s’est transformée en piège. Chaque nouvelle phase de travaux grève les finances du couple sans certitude sur la part des subventions publiques dans son montant.
Le balcon jusqu’où ?
Au milieu du salon, la discussion porte surtout sur les travaux en cours et l’avenir de l’immeuble. Le patron de l’entreprise de BTP et la représentante du cabinet d’architecture examinent le balcon, l’un des rares qui surplombent l’autoroute. Un de leurs voisins est aussi présent. Le sujet du débat est le niveau de travaux à entreprendre : “Faut-il se contenter de les sécuriser en attendant la prochaine phase de travaux ou les rénover pour qu’ils soient de nouveau utilisables ?”, demande l’entrepreneur en BTP. Les propriétaires se regardent, hésitent. La première option reste la meilleure.
Car Bel Horizon n’en est pas à son premier coup d’arrêt. Inscrites dans le périmètre de l’opération nationale Euroméditerranée, les deux copropriétés sont suivies par l’établissement public qui la pilote depuis 20 ans. Et, depuis le début des années 2000, Euromediterranée se casse les dents sur la réhabilitation de l’immeuble. Celle-ci a été entreprise sur plusieurs phases, afin d’étaler les paiements pour les copropriétaires. Une première phase de travaux a bien eu lieu, dans le cadre de l’opération programmée d’amélioration de l’habitat (Opah) qui englobait une grande partie du quartier. “Elle concernait l’intérieur des appartements, les cages d’escalier, l’ascenseur et le hall d’entrée”, explique Pierre-Louis Albert. S’y ajoutait également le changement de l’antique chaudière au fioul. Le tout pour 2,4 millions d’euros.
La rénovation repasse par la case “études”
La deuxième phase n’a jamais commencé. Les copropriétaires avaient jusqu’au 31 décembre 2015 pour trouver leur part du financement des travaux concernant la façade et les fenêtres avec le risque de perdre les 5 millions d’euros de financement de l’Agence nationale d’amélioration de l’habitat (ANAH) et des collectivités locales dans le cas contraire. “Cette deuxième phase a été lancée en 2008. Entre temps, la solvabilité des copropriétaires s’est passablement dégradée, explique Guillaume Kolf, directeur de la rénovation urbaine à Euroméditerranée. D’autre part, nous devions avoir un préfinancement de la Caisse des dépôts mais ce modèle financement a disparu. Les banques ont refusé de soutenir le projet pour ne pas aggraver l’endettement de certains copropriétaires.” La phase 2, réclamée par une commission de sécurité, attend toujours.
Depuis, Bel Horizon nage dans le brouillard malgré la vue dégagée qu’offrent les derniers étages. Relancée dans le cadre du plan de lutte contre l’habitat indigne, la rénovation passe par une nouvelle phase d’études qui a donné lieu à un appel d’offres pour désigner le cabinet. “Nous sommes en train d’examiner les offres, reprend Guillaume Kolf. L’étude sera lancée à la rentrée et rendue dans un an.” Mais d’ici là, il faut que les travaux d’urgence soient enfin finalisés. Surtout ceux concernant la passerelle qui passe de l’un à l’autre des immeubles mitoyens.
Une multiplicité d’acteurs
Une copropriété met en jeu de très nombreux acteurs. Les propriétaires – occupants et bailleurs – sont réunis au sein d’un conseil syndical qui élit un président en son sein. Il paie un syndic professionnel qui prend en charge la gestion quotidienne (entretien, travaux…). Viennent ensuite les locataires qui n’ont pas toujours leur mot à dire.
Ce jeudi 4 août, le président du conseil syndical de Bel Horizon II, Bernard Lepetit admire le béton frais qui bouche les trous de l’immeuble mitoyen. Justement, le patron de l’entreprise et la représentante de l’architecte ont rendez-vous pour une “pré-réception” des travaux d’urgence. “Alors quand est-ce que vous vous attaquez aux passerelles ?, interpelle-t-il. Nous avons l’argent sur le compte. Nous démarrons quand vous voulez.” Les deux interpellés font une moue gênée. La question du financement des travaux est cruciale. La part de Bel Horizon I s’élève à 190 000 euros pour 76 logements. Quant à Bel Horizon II, qui n’en compte que 57, elle possède 19 balcons en fort mauvais état. Sans compter les désordres apparents des façades. Le montant sera donc sans doute proche.
“Nous sommes prêts à payer. Les travaux pourront commencer dès septembre”, réaffirme Bernard Lepetit, attablé à un café qui donne sur l’immeuble. Le président bénévole l’assure : les comptes de la copropriété sont dans le vert et la menace de l’arrêté de péril ne sera bientôt qu’un souvenir. Les propriétaires bailleurs y mettent un certain empressement car en cas d’arrêté de péril effectif, ils ne percevront plus les aides au logement que la Caisse d’allocations familiales leur verse directement.
En revanche, le propriétaire bailleur reste très critique quant au rôle joué par Euromed dans la rénovation de la tour : “J’en veux aux sachants, aux gens qui font des études depuis dix ans sur Bel Horizon et ont décidé de faire les travaux à l’intérieur, la fameuse phase 1, avant de faire ceux qui concernent l’extérieur, la phase 2 qui n’a jamais eu lieu. S’ils avaient inversé les deux nous n’en serions pas là.” Il en veut aussi à la banque qui a fini par lâcher le conseil syndical, obligeant les copropriétaires à souscrire des emprunts individuels. “Mais pourquoi Euromed ne s’est-il pas porté garant auprès des banques plutôt que de nous poser un ultimatum ?”, attaque-t-il encore. La date du 31 décembre 2015 est tombée comme un couperet mettant fin, pour l’heure à l’espoir d’une aide publique aux travaux de la tour.
Deux copros, combien de divisions ?
“Les travaux sur la façade représentaient 40 000 euros par appartement en moyenne. Mais il y avait une fracture entre les propriétaires occupants dont les travaux pouvaient être subventionnés jusqu’à 90% et qui se sentent donc floués d’avoir perdu ces aides et les propriétaires bailleurs qui ne pouvaient espérer que 50% de subventions.” Depuis, la méfiance est de mise. Et lentement, la copropriété Bel Horizon II se dégrade.
Les aides de l’ANAH
Dans le cadre d’une opération programmée d’amélioration de l’habitat, les aides prennent la forme de subventions au pro rata du montant des travaux, plafonnés ou non. Ce pourcentage varie selon les revenus du foyer pour les propriétaires vivant sur place. Pour les bailleurs, ces aides ne peuvent dépasser 50% du montant des travaux sauf si ce dernier s’engage à conserver un loyer bas, de type HLM, pendant une longue durée. Parfois ces subventions bénéficient à des propriétaires malveillants sans rien changer à l’état général de la copropriété.
Un tour dans les escaliers suffit pour s’en persuader. Partout, ce qui aurait dû être rénové tombe en morceaux. Les faux-plafonds en polystyrène sont éventrés. Les carreaux de plâtre ont sauté autour de nombreuses portes palières. Les colonnes sèches où passent les réseaux de fluides ont servi à canaliser une fuite d’eau pendant de long mois. Une grande partie des travaux de la phase I sont à refaire : “Le conseil syndical n’était pas présent lors de la réception des travaux qui a été effectuée par le syndic professionnel, reprend Bernard Lepetit. Celle-ci n’aurait jamais dû avoir lieu.” Depuis, la copropriété a changé de syndic. Une procédure en contentieux a été ouverte avec l’entreprise, elle-même en redressement judiciaire. Mais les malfaçons sont toujours là.
C’est aussi ce qui rend nécessaire cette nouvelle phase d’études aux yeux d’Euroméditerranée. “Il faut tout remettre à plat, résume Guillaume Kolf. Nous devons connaître la situation financière exacte des deux copropriétés, faire une enquête sociale, revoir l’état général des bâtiments et connaître le poids du statut d’immeuble de grande hauteur dans les charges.” Avec ses 19 étages, ce statut d’immeuble “IGH” a des répercussions financières lourdes si ses règles de sécurité sont respectées à la lettre. C’est lui qui rend nécessaire les passerelles qui permettent de passer d’une partie de l’immeuble à l’autre. Mais elles imposent également la présence d’une personne en permanence, 24 heures sur 24. “Nous n’en avons pas les moyens, estime Bernard Lepetit. Et je ne suis pas sûr que cela soit le cas dans les autres IGH de Marseille.” Même son de cloche du côté de l’autre copropriété : “Une telle charge n’est envisageable que si nous fusionnons les deux copropriétés car nous serions plus nombreux à l’assumer, échafaude Pierre-Louis Albert. Mais ce n’est pas d’actualité.”
Des solutions existent. Habitat Marseille Provence a lancé une étude en 2015 pour envisager le déclassement des immeubles de Frais-Vallon et de Paul-Trompette, la tour jumelle de celle des Cyprès B, tombée courant juillet. “Toutes les hypothèses sont sur la table, estime pour sa part Guillaume Kolf. On peut raboter la tour ou condamner les derniers étages.” Les nouveaux travaux devront également prendre en compte l’avis de l’architecte des bâtiments de France. En effet, la tour se situe à moins de 200 mètres d’un monument historique, l’arc de triomphe de la porte d’Aix. L’architecte des bâtiments de France doit donc être consulté pour avis. Et il a rejeté la solution consistant à créer une seconde peau tout autour de l’immeuble pour mettre en conformité les menuiseries, permettre une meilleure isolation phonique et ajouter des loggias aux appartements.
Une nouvelle peau
“Au début de la rénovation, les élus et les responsables d’Euroméditerranée étaient venus avec une grande image d’architecte où la tour ressemblait à celle de la CMA-CGM, affirme Bernard Lepetit. Ils ont fait rêver tout le monde avec cette image. Au final, cela ne se fera jamais.” L’architecte des bâtiments de France pourrait avoir des exigences pour que l’aspect de l’immeuble ne soit pas dénaturé. Bernard Lepetit aimerait voir disparaître les volets roulants extérieurs, pourtant d’origine. “Nous pourrions également remplacer certaines fenêtres par des châssis fixes. Cela nous coûterait moins cher”, ajoute-t-il. Pas sûr que les locataires apprécient de voir installer des fenêtres impossibles à ouvrir.
Euroméditerranée réfléchit également à l’intervention d’un bailleur social pour tout ou partie de la copropriété. Cela déjà été le cas pour la copropriété Bellevue au début des années 2000 avec l’arrivée de Marseille Habitat et Logirem. “Trois procédures de liquidation ont amené à une vente aux enchères, reprend Guillaume Kolf. Les appartements n’ont pas trouvé preneur. Cela pourrait aussi intéresser certains copropriétaires en grande difficulté. Nous réfléchissons enfin à la mise en place de bail à réhabilitation : un organisme se substitue au propriétaire pour faire l’avance des travaux. L’ancien propriétaire devient locataire le temps que les travaux soient amortis. Ensuite, ils reprennent leur bien au bout de 10 ou 15 ans. Mais c’est une procédure à faire accepter car les propriétaires se sentent dépossédés.”
Bernard Lepetit fait une moue dubitative quand on lui présente le système. Tout ce qu’Euromed propose génère du soupçon : “Au final, leur vraie intention est de nous exproprier pour mettre un bailleur social à la place…” De part et d’autre, la méfiance est là. Elle fait désormais partie du problème de la tour.
La crèche, la cuve à mazout et les 100 000 euros
Un autre contentieux envenime les relations entre le conseil syndical de Bel Horizon II et l’établissement public. En effet, au pied de l’immeuble, Euroméditerranée a le projet d’établir une crèche neuve. “Nous avons acquis pour cela les murs de deux anciens magasins qui appartenaient encore à l’architecte Dunoyer de Ségonzac, raconte Guillaume Kolf. Pour l’emprise au sol, nous sommes copropriétaires avec Bel Horizon 2. Nous nous sommes tournés vers eux pour qu’ils nous cèdent le terrain. Ils ont refusé.”
De son côté, le président du conseil syndical, Bernard Lepetit s’offusque : “Ils nous ont proposé que nous leur donnions ! Mais ce terrain a un prix. Nous pourrions le vendre à un promoteur.” Guillaume Kolf affirme que le conseil syndical en demande donc 100 000 euros. Ce que conteste Bernard Lepetit : “Je ne connais pas ce chiffre et nous n’avons jamais donné de montant.” Pour sa part, Euromed a pris acte de leur refus mais souligne que “la cuve de fioul enterrée sous ce terrain avait pollué le sous-sol. Bel Horizon I et II en sont donc responsables.” Bernard Lepetit s’étrangle : “Mais ce sont eux qui ont autorisé la société Eiffage à entreposer à cet endroit du matériel dans le cadre de la rénovation du quartier. Cela pèse des tonnes et a pu abîmer la cuve.” L’affaire a pris un tour contentieux puisque l’établissement public a fait une demande de déclaration d’utilité publique à la préfecture en vue de faire exproprier Bel Horizon. “Nous avons un financement de l’agence nationale de rénovation urbaine pour réaliser cette crèche. Nous devons tenir les délais”, argue Guillaume Kolf. Pour l’heure, cela n’effraie guère leurs copropriétaires.
Commentaires
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C’est typiquement le genre de grande barre HLM qui détruit l’entrée de ville de Marseille.
Pourquoi ne pas la détruire et construire un immeuble moins haut à la place ?
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Ce n’est pas une barre HLM, malgré son apparence. Et puis je suis pas sûr que ce genre de solution à l’emporte-pièce soit apprécié par les propriétaires.
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Cet immeuble n’a strictement aucun intérêt architectural. Comme les tours Labourdette classés au patrimoine… On se demande qui peut classer des horreurs pareilles! Bref, “bring them down”!
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Lafcadio, Profitez donc des prochaines Journées Européennes du Patrimoine pour visiter les Tours Labourdette : Vous changerez d’avis !!!
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Le classement au patrimoine” n’a heureusement rien à voir avec le “bon goût” des uns ou des autres… Que ces tours ne plaisent pas à tous aujourd’hui n’enlève rien à leur valeur de témoignage de l’architecture d’une époque.
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Le problème, c’est que la plupart des copropriétaires, de bonne ou mauvaise foi, ne sont pas capables d’assumer la gestion et les travaux indispensables à la pérennité de leurs biens. A côté de ça, ils ne supportent pas l’intervention des pouvoirs publics, accusés, au mieux d’ingérence, au pire d’intentions malveillantes. A ce compte là, il est à craindre une décrépitude inéluctable de la tour.
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Bon article, bien documenté, clair, fouillé, bien écrit. Du journalisme rare. Bravo, Monsieur Gilles!
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