Des fuites de gaz fluorés, ombre au tableau du développement exponentiel des data centers
L’entreprise Digital Realty, qui possède quatre data centers à Marseille et s’apprête à en construire un cinquième, vient de célébrer ses dix ans de présence dans la ville. La préfecture a toutefois épinglé, l’an dernier, le gestionnaire de données numériques pour des rejets de gaz à effet de serre bien au-delà des normes.
Le data center MRS3 d'Interxion (désormais Digital Realty) était une base de sous-marins, dans l'enceinte du port. (Photo DR)
Les dorures du palais du Pharo et sa vue sur la mer offrent un cadre parfait à Fabrice Coquio, le président de Digital Realty France, pour célébrer la “progression fulgurante” de Marseille, passée en dix ans de la 44e à la 7e place parmi les hubs mondiaux du trafic internet, ces carrefours de câbles sous-marins transportant les données numériques d’un continent ou d’un pays à l’autre. C’est également le décor idéal pour mettre en lumière le développement fulgurant de son entreprise dans la ville, depuis l’inauguration de son premier data center marseillais, avenue Roger-Salengro, en 2014. “Vous aurez compris quel est notre motto (crédo) du jour : connecting the future together (relier l’avenir ensemble)”, lance-t-il avec entrain, avant de dérouler les images et chiffres pour raconter la construction des quatre data centers de Digital Realty (ex-Interxion) sur des friches de l’industrie portuaire marseillaise. Il enchaîne avec les perspectives de développement exponentiel de l’entreprise, qui prévoit de faire sortir de terre, d’ici à 2026, un cinquième data center, baptisé MRS5, à la place de l’ancien silo à sucre.
“Le MRS3, ça reste celui dont on est le plus fier”, sourit Fabrice Coquio en désignant une photo de l’ancien bunker nazi, aujourd’hui recouvert d’un “origami en acier inoxydable” couleur terre de Sienne. L’une des réalisations architecturales de Digital Realty qui a, assure-t-il, “transfiguré le « look and feel » de l’entrée du port”. Ce data center est engagé, comme ses trois voisins, dans une “démarche bas-carbone”, souligne le président de Digital Realty. “Avec un système de refroidissement inédit en Europe, le « river cooling » : on récupère l’eau d’une ancienne galerie de la mine de Gardanne pour refroidir les installations”, ajoute-t-il.
Fuites récurrentes
En termes de bilan carbone, l’ensemble des data centers français de Digital Realty — qui en compte douze en région parisienne en plus des quatre marseillais — a émis “seulement” 2 000 tonnes équivalent CO2 en 2023, “soit ce qu’émettent 200 Français”, souligne Fabrice Coquio. Mais il faut préciser que ce calcul inclut uniquement les émissions de gaz à effet de serre directes des data centers, dont celles liées à leur importante consommation électrique (les quatre sites marseillais consommant autant d’électricité que 50 000 personnes). Si l’on y ajoute les émissions “indirectes”, c’est-à-dire celles engendrées notamment par la construction de nouveaux data centers français de cette multinationale en pleine expansion, on grimpe, selon les données transmises par Digital Realty, à 17 400 tonnes, soit un chiffre plus proche du bilan carbone de 2 000 Français. Et sur l’ensemble, les data centers situés à Marseille sont responsables de 5 503 tonnes équivalent CO2, d’après les chiffres de l’entreprise.
Si le bilan carbone du leader français des data centers reste modeste face à des industries lourdes où l’on parle plutôt de millions de tonnes équivalent CO2, il peut néanmoins être entaché par des sorties de route. C’est ce qu’il semble s’être passé lors des deux premières années de fonctionnement du fameux MRS3, le data center installé dans l’ancien bunker nazi : en octobre 2023, la préfecture a mis en demeure Digital Realty pour des fuites récurrentes de gaz fluorés constatées au sein de ce data center depuis 2021. Ces gaz fluorés, ou fluides frigorigènes fluorés, sont émis par le système de refroidissement classique lorsqu’il est défaillant. Le fameux “river cooling”, que Digital Realty aime mettre en lumière, contribue en effet au refroidissement de moins de la moitié du data center, qui ne peut se passer d’un système classique, plus proche d’un climatiseur.
Pas de détecteur de fuite
“L’exploitation du site Interxion MRS3 est à l’origine de fuites récurrentes de fluides frigorigènes depuis plusieurs mois. Le plan d’action présenté en 2022 s’est révélé insuffisant pour mettre un terme aux fuites constatées”, fait ainsi savoir le rapport rédigé, en mars 2023, à la suite de l’inspection de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) que Marsactu a pu consulter. La mise en demeure préfectorale émise à l’automne suivant précise l’ampleur des émissions de gaz à effet de serre causées par ces fuites : “Les installations de production du froid du site MRS3 ont dû être rechargées, du fait de fuites, par 745 kg de fluide frigorigène R134A depuis 2021, ce qui correspond en équivalent CO2 à une distance de près de 9 millions de kilomètres effectuée avec un véhicule thermique sans malus ni bonus écologique (émissions de CO2 d’environ 120 g/km).” Étant donné que 4 500 kilomètres effectués par une voiture thermique correspondent à une tonne équivalent CO2, ces fuites de gaz fluorés représentent environ 2 000 tonnes équivalent CO2. Autrement dit : MRS3 a émis à lui seul en deux ans, entre 2021 et début 2023, autant de CO2 que les seize data centers de Digital Realty l’an dernier sur le territoire français.
Alors que ce data center n’a que quatre ans, comment expliquer cette “fuite” monumentale ? Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’installation ne disposait pas, pour son dispositif de refroidissement, d’un détecteur de fuite fonctionnel, d’après la Dreal. La mise en demeure d’octobre 2023 fait ainsi état de “l’absence de système de détection de fuite sur l’équipement, qui règlementairement alerte l’exploitant ou une société assurant l’entretien lorsqu’une fuite entraîne la perte d’au moins 10 % de la charge de fluide contenu dans l’équipement”. Interrogée sur ce point, la société Digital Realty assure qu’il y avait une “impossibilité technique d’installer l’équipement spécifique”. Et de préciser : “Malgré notre collaboration avec les leaders du secteur, ces fuites résultent de certains défauts de construction d’équipements qui n’ont pas pu être identifiés par Digital Realty, ainsi, probablement, que de quelques erreurs de maintenance.”
L’entreprise a mis en place des plans d’action avec les fournisseurs concernés pour réduire au maximum les éventuelles fuites
Digital Realty
Mais l’entreprise affirme avoir “mis en place des plans d’action avec les fournisseurs concernés pour réduire au maximum les éventuelles fuites”. En premier lieu en remplaçant le fluide frigorigène qu’elle utilisait jusque-là par un autre, à l’effet de serre moins important. Les travaux pour passer d’un produit à l’autre sont “effectifs depuis 2024”, indique Digital Realty, qui accuse donc un retard d’environ six mois par rapport à une mise en conformité dans un délai de trois mois que réclamait la préfecture à l’automne 2023.
Pour autant, le système de détection de fuites exigé par les services de l’État n’a pas été mis en place, car l’utilisation d’un nouveau fluide frigorigène, moins nocif pour l’atmosphère, dispense l’entreprise de cette obligation de s’équiper d’un détecteur de fuites, ce que confirme la préfecture. “Est-ce que cela pourrait signifier que, s’ils n’y sont pas obligés légalement, ils préfèrent ne pas être au courant des fuites potentielles ?”, s’interroge Eda, du collectif marseillais Le nuage était sous nos pieds, constitué l’an dernier pour lutter contre les impacts sociaux, écologiques et politiques des infrastructures du numérique. Le collectif organise à Marseille, les 8, 9 et 11 novembre, trois jours d’échanges, projections et “balades-conférences” autour de ces enjeux.
Oubli de déclaration des pollutions
En outre, la multinationale a été épinglée par l’État pour un autre motif : la mise en demeure d’octobre 2023 pointait également le fait que Digital Realty n’avait pas déclaré ces fuites de gaz fluorés dans le cadre du registre national des émissions polluantes (GEREP). Sur ce point aussi, l’entreprise assure avoir retenu la leçon. “Nous confirmons que Digital Realty a bien intégré dans son système de management que toutes les fuites cumulées supérieures à 100 kg par an par site doivent être déclarées sur la plateforme GEREP”, répond son service de communication. Une obligation dont Digital Realty n’avait semble-t-il pas connaissance avant le rappel à l’ordre de la préfecture, l’an dernier.
Et l’oubli n’est pas limité à MRS3. En mars 2023, en parallèle de l’inspection de l’emblématique data center, la Dreal mène aussi des visites de contrôle sur les autres sites de Digital Realty. Les inspecteurs y découvrent des “erreurs” sur les fiches d’intervention liées aux fuites de gaz fluorés, et rappellent donc dans leur rapport que les employés de l’entreprise doivent “vérifier l’exactitude des informations retranscrites par l’opérateur”. Ils constatent par ailleurs que, comme pour MRS3, les fuites de gaz fluorés sur MRS2 n’ont pas été déclarées au sein du registre GEREP, alors que la quantité émise est “supérieure à 100 kg en 2020” pour cet autre data center. Interrogés sur ce point, les services préfectoraux assurent que les dernières inspections, en 2023, n’ont pas révélé de nouvelles irrégularités, et que les quatre sites marseillais de la société “feront l’objet d’une inspection dans les toutes prochaines semaines.”
Si Digital Realty affirme de son côté avoir mis en œuvre un plan d’action pour éviter que de tels “accidents” ne se reproduisent, elle déplore encore des “fuites mineures” (moins de 10 kg de gaz fluorés) sur MRS2 en 2022 et une fuite “inférieure à 60 kg” en 2024. Le leader de l’industrie du data center en France et dans le monde, qui vise une réduction de 68 % de ses émissions directes de gaz à effet de serre en 2030, semble avoir une certaine marge de progression en la matière.
Commentaires
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En dehors des conséquences sur la consommation d’électricité, il serait intéressant de connaitre le nombre d’emplois à l’hectare et de le comparer à d’autres industries qui auraient sans doute pu s’installer sur ces sites si on croyait encore à un avenir industriel pour Marseille.
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Ce qui est absolument dramatique avec les fuites de gaz HFC c’est que leur pouvoir de réchauffement global est de 100 à 15 000 fois supérieur à celui du CO2 sur une période de référence de 100 ans.
Ils sont donc bien plus nocifs pour le climat que le “simple” CO2.
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Ils ne feel pas trop guilty ?!?
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Ah, ce langage pas du tout anglo-jargonneux de ce brillant représentant de la “high tech”, qui cherche si bien à s’exprimer simplement… J’adore en particulier le “look and feel” de l’entrée du port et le “river cooling”.
Qui, déjà, disait “Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément” ?
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boileau peut être ?!
moi, m’exaspère un maximum ce sabir anglo-européen-qqch….
motto, c’est italien, non ? et tout le reste à peine anglais….
bref, tout ça pour que nous respirions de la m…e et en anglais “digital realty” entreprise américaine, met en oeuvre un plan d’action pour mieux encore nous manipuler et se fiche de nous empoisonner ou pas !
il suffit d’y croire.
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Comme l’a presque dit Madame Chaumier : » I want my U-Boote back « ( which are less dangerous than R134A – HCFCs constitute a threat to the ozone layer, although much less than CFCs, and their use is being gradually phased out. )
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what else ? of course !
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