[Histoire d’atelier] Mon atelier
Après s'être invitée dans les cuisines des Marseillais, la dessinatrice Malika Moine part à la découverte des ateliers d'artistes. Pour Marsactu, elle et ses crayons se glissent dans les coulisses de la création, afin de raconter des lieux qui en disent parfois autant que leurs occupants. Cette semaine, c'est dans son propre atelier que la dessinatrice nous emmène.
Dessin de Malika Moine.
Je n’avais pas envisagé de chroniquer mon propre atelier. Toutefois, ma négligence et une erreur de timing m’y ont amenée. Ce matin, je reçois un texto : “Chez qui es-tu allée pour ta chronique ?” L’angoisse me saisit à la gorge… me serais-je totalement gourée ? Il est vrai que la semaine dernière, peu avant mon départ pour le Jura, je me demandais dans quel atelier j’irais pour ma prochaine chronique, en novembre… Je cherchais le contact de Mahn Kloix, un graffeur dont j’adore le travail, je prospectais les tatoueurs… mais j’avais loupé une date. Personne ne m’est plus proche que moi-même, et l’histoire de mon atelier vaut quand même le coup d’être racontée…
Pendant longtemps, c’était le monde entier. Je dessinais où je me trouvais, à Marseille ou ailleurs, dans les bars, la rue, les concerts, les rizières ou le désert. Mais il y a quelques années, j’ai commencé à finir parfois les dessins à la maison, sur la table de la cuisine, entre le repas de midi et le goûter. Puis, après plusieurs stages de gravure et un confinement, j’ai ressenti la nécessité d’avoir un atelier. J’ai cherché un lieu partagé, j’ai tenté de réunir des artistes pour louer le magnifique atelier dont j’apercevais la cour de la fenêtre de ma chambre. En vain. C’était devenu très difficile et onéreux de louer un atelier à Marseille. J’avais quelques
sous de côté, et j’ai commencé à regarder les ventes. Mais c’était trop cher, trop loin, jamais possible.
Comme souvent, c’est le hasard qui a bien fait les choses : j’ai croisé un matin un restaurateur rencontré naguère, du temps de Croquis Croquant, 52 restaurants de Marseille, et lui ai fait part de ma recherche. “Justement, un local vient juste d’être mis en vente dans mon immeuble…” J’ai pris le contact de l’agence, j’ai appelé tout de suite. Un rendez-vous était fixé au lendemain matin, dans ce bel immeuble d’un arsenal des galères de la rue Fortia, à deux pas du Vieux-Port. “Vous avez jusqu’à ce soir pour me donner la réponse, m’a dit l’agent immobilier, car demain, on met l’annonce en ligne…”
Adjacent à une belle cour surplombée de coursives, le grand local était prometteur. Certes, l’évacuation de l’eau n’était pas terrible, il était un peu sombre, mais ses poutres apparentes, jadis mâts de navire, me faisaient rêver, tout autant que son histoire récente : “Son propriétaire avait monté une imprimerie, me précisa l’agent immobilier, et après avoir déménagé son entreprise vers Saint-Pierre, il a loué ce lieu à quelqu’un qui faisait du théâtre. Ce monsieur est mort sans héritier, alors il a donné ses biens à ses anciens employés… c’est pourquoi c’est pas cher…” Alors ça, c’est magnifique ! Un imprimeur qui donne ses biens à ses ouvriers, ça me met les larmes aux yeux…
Le soir, j’ai laissé un message à l’agent immobilier : “Je me lance dans l’aventure !” Il m’a fallu refaire le sol avec un initié, et replâtrer le plafond seule avec les conseils judicieux d’un cousin, pour apprivoiser ce lieu, si grand, si beau… J’ai commencé par peindre sur des vêtements pour l’amadouer… L’aménagement et les travaux sont loin d’être finis : pour l’atelier de gravure, j’attends encore les travaux de plomberie de la copro, pour m’installer un bac avec une arrivée d’eau.
Mais chaque jour, je me rends avec bonheur dans mon espace de travail. Je peux dessiner, peindre, j’ai repris timidement les chapeaux… Pour graver, je traverse le cours Estienne d’Orves jusqu’à l’Atelier M, le mardi ou le mercredi, où j’apprends les multiples possibilités de cette pratique, en attendant de mettre en fonction ma presse quand les travaux de plomberie donneront à l’atelier tous ses possibles — y compris celui d’inviter ponctuellement des artistes en résidence — même si je tiens à la solitude que m’octroie ce lieu. Mon paradis à moi, c’est dessiner ou peindre, travailler en écoutant des podcasts — docs le matin et fictions l’après-midi.
C’est pourquoi je citerai l’enceinte comme l’un de mes outils essentiels. Lorsque je regarde un dessin, je me souviens comme une réminiscence de ce que j’écoutais lors de sa réalisation. Mes outils, c’est aussi bien sûr en premier lieu ma boîte d’aquarelles… elle m’accompagne dans mes pérégrinations et reste centrale à l’atelier. Les pinceaux… les pinceaux à réservoir, indispensables en balade, concerts et autres évènements impromptus, pratiques aussi à l’atelier. Pour les grands aplats, je leur préfère les beaux pinceaux petit-gris, qui ont une grande réserve d’eau. C’est en peignant les ciels que j’ai pris la mesure de l’importance de la qualité du papier aquarelle. Les encres sont devenues incontournables dans mon travail. Moi qui ai appris à écrire avec un porte-plume, un encrier et un buvard, je m’y adonne quarante ans après dans mon atelier.
Il faut vous dire, aussi, comme mon ordinateur m’est précieux : non seulement pour les travaux d’infographie nécessaires à l’édition, mais également pour dessiner. À la plume d’après mes photos de murs par exemple. Et grâce à cet outil extraordinaire, je zoome, me balade dans l’infiniment petit, reviens à une vue d’ensemble… Ça m’amène aussi à peindre sur de plus grands supports, à faire des encres sur du format raisin. Parmi mes outils encore, les crayons de couleurs, les feutres, tellement vifs et précis. Et le merveilleux crayon gris et gras ! Sans parler des craies et autres fusains qui induisent un autre trait, une autre énergie. Et la peinture. Gouache ou acrylique, pour rehausser l’aquarelle, et même… la peinture à l’huile… je tâtonne, l’été, la fenêtre ouverte en oubliant le temps qui passe, fascinée : pouvoir changer la couleur d’un tronc d’arbre sur ma toile.
Un autre de mes outils, et non des moindres : mon caddie… Car c’est l’édition qui constitue ma base économique. Et il me faut livrer chez les libraires et quelques kiosques et boutiques mes livres, calendriers — c’est le dixième cette année ! —, carnets, leporello, affiches, cartes postales — merveilleux support qui se partage, traverse des continents ou quelques kilomètres, fait lien entre deux personnes, ponctue et entretient l’amitié. Toutes ces images imprimées, ça me plaît. L’édition touche plein de gens et permet à tous de se payer ou d’offrir quelque chose. Il y a aussi les reportages dessinés, en solo comme avec ces chroniques ou pour des évènements et avec des journalistes ou chercheurs. Bien sûr, j’expose aussi mes dessins et mes gravures, et j’ai parfois des commandes.
Je fais de temps en temps des ateliers mais jamais encore dans mon lieu… Ça viendra, d’autant plus que si je chéris ma solitude, je suis ravie de la visite d’amis ou d’inconnus à l’atelier. Par hasard (il faut sonner à mon nom car mon téléphone ne passe pas) ou par rendez-vous (un mail pour être bien sûr que j’y sois : malikarom@yahoo.fr). Je vous ferai volontiers un petit café pour vous en montrer davantage… Sans compter qu’autour de Noël, je réunirai quelques artistes pour exposer et vous êtes d’ores et déjà invités au 3 rue Fortia, 1er étage à gauche au fond de la cour… Sinon, pour un aperçu : https://www.malikamoine.org, sur FB : Malika Moine ou Insta : malikamoine7.
Commentaires
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Merci Malika de nous avoir partagé un aperçu de ton havre de création et ces quelques techniques pour réaliser tes œuvres ! Quelle chance d’avoir trouvé un lieu si emblématique des les petites ruelles derrière le Vieux Port !
Je te souhaite une bonne continuation sur le chemin d’ambianceuse des paysages urbains (et pas que).
P.S. Il faut que je me dépêche pour acheter le calendrier 2025, tant y en n’aura plus après !!!
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Merci pour cette belle visite dans le cœur de votre travail et le lieu qui l’abrite.
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Merci et bravo pour cette vivifiante visite d’atelier, et pour la vivacité de votre écriture …
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