Belle de Mai : une semaine après la mort de Nessim Ramdane, récit d’un engrenage meurtrier
En moins d'un mois, le 3e arrondissement a été le décor de trois assassinats liés au trafic de drogue. Entre autres causes : un conflit entre les trafiquants de Félix-Pyat et ceux de la petite cité du Moulin de Mai, devenue le nouveau visage du deal de proximité. Reportage dans un quartier pris dans un engrenage meurtrier.
Un tag à l'entrée de la cité Félix-Pyat, dans le 3e arrondissement de Marseille. (Photo : CMB)
“On est ouverts 24 heures sur 24 maintenant !” Ce jour de semaine, à l’entrée de la cité du Moulin de Mai (3e), le guetteur placé en toute première ligne a une voix d’enfant. À ses côtés, son collègue ne parle pas français et il est à peine plus âgé. Entre les descentes quotidiennes de police et les bandes rivales, les adolescents resteront en poste jusqu’à minuit, investis d’une lourde mission : garder l’un des points de vente les plus sensibles de Marseille. Longtemps, comme on peut le voir en 2020 sur Google Street View, les guetteurs bénéficiaient d’une place protégée et d’une vue en hauteur. Mais le bailleur a détruit ce perron et muré l’entrée, pour rendre moins facile le travail de guet.
Nichés au fond de l’impasse Delpech, ils ont aussi perdu leur champ de vision sur la perpendiculaire et très passante rue Loubon. C’est de là qu’a surgi un homme avant d’ouvrir le feu le 20 septembre dernier, tuant un adolescent de 17 ans et blessant grièvement un second.
En quelques années, le point de vente de drogue de la petite cité du “Moulin” s’est imposé dans le paysage marseillais. En bordure de la Belle de Mai, il est devenu le théâtre de fusillades régulières. Ces dernières semaines, il est au cœur d’une guerre de territoire qui opposerait le clan dit de la DZ Mafia et des narcotrafiquants basés à Félix-Pyat, la cité historiquement très lucrative du secteur. Depuis le début de l’année, six des 17 narchomicides recensés à Marseille ont eu lieu dans le 3e arrondissement. Le 2 octobre, un adolescent de 15 ans a été poignardé puis brûlé vif après avoir été repéré lors d’une mission d’intimidation dans une cage d’escalier de la copropriété du parc Bellevue, rue Félix-Pyat. Son corps a été découvert à Fonscolombes (3e), un autre quartier d’habitat social, à quelques centaines de mètres du Moulin.
L’hégémonie “DZ Mafia”
Le 4 octobre, un adolescent de 14 ans, manifestement chargé de venger ce drame, a tué d’une balle dans la tête son chauffeur VTC, Nessim Ramdane, 36 ans, ce dernier refusant de le laisser descendre accomplir sa funeste mission. Ces tragédies ont provoqué l’organisation d’une conférence de presse en dernière minute le dimanche 6 octobre au parquet de Marseille. L’occasion pour le procureur Nicolas Bessone de répondre en un seul coup à toutes les sollicitations de la presse, bien plus nombreuses que celles, habituelles, des médias locaux.
La justice ne découvre pas cette rivalité de territoire. Les services de police lient la séquence récente à celle survenue à l’automne 2020. En octobre de cette année-là, une jeune femme de 19 ans, Sarah, est touchée mortellement par un tir à la tête alors qu’elle se trouve dans une voiture au fond de l’impasse Delpech. À cette époque déjà, et dans un contexte économique d’explosion du trafic au sortir du confinement, on oppose ce qui deviendra la DZ Mafia au clan de Félix-Pyat. Depuis quelques jours, ce dernier est désigné dans plusieurs articles de presse comme le “clan des Blacks” ou encore “nouveaux Comoriens”. À notre connaissance, ce surnom n’est pas revendiqué par les trafiquants. Pour l’heure, il est surtout vecteur de confusion, sur fond de clichés essentialisants.
À l’inverse, l’appellation “DZ Mafia” est devenue une marque à part entière. Avec le risque que des acteurs nullement reliés à cette organisation s’en revendiquent par opportunisme. Ce mercredi matin, une vidéo montrant une dizaine d’hommes cagoulés est très vite devenue virale sur les réseaux sociaux. Via des codes de communication qui rappellent ceux des mouvements indépendantistes corses, un homme s’exprime, voix modifiée, au nom de la DZ Mafia. Son message ? L’organisation marseillaise n’aurait rien à voir avec le meurtre de Nessim Ramdane survenu ce 4 octobre. La vidéo est en cours d’identification et le parquet de Marseille a ouvert une enquête pour association de malfaiteurs, confiée à la police judiciaire et à l’Office anti-cybercriminalité (OFAC) basé à Paris. Ce type de document est inédit. Reste à prouver son authenticité.
Cocaïne à 10 euros
Pendant ce temps, le trafic suit son court au Moulin de Mai. De l’autre côté du trottoir rue Loubon, quelques jours après la mort de Nessim Ramdane, une cliente en fauteuil roulant approche du point de deal. Cette quinquagénaire s’injecte de la cocaïne dans les veines depuis trente ans. Elle fait la manche ici toute la journée. “Vous n’auriez pas un petit billet ?” demande-t-elle aux passants. Avec dix euros, elle peut acheter de la cocaïne en quantité microscopique. Un guetteur fait un signe de la main. Il signifie que dans cinq minutes, le vendeur, situé quant à lui tout au fond de la cité dans un angle mort depuis la rue, viendra l’approvisionner : “C’est bon, on la connaît”. Car entre elle et eux, il y a un barrage mis en place par le réseau. Des bouts de canapés, des encadrements de portes, une rangée de poubelles pleines… Infranchissable en fauteuil roulant.
Une fois remise, la cocaïne sera consommée immédiatement dans cette même rue Loubon, entre deux voitures garées sur le trottoir. “J’ai fait dix cures de désintoxication…”, soupire-t-elle en se roulant une cigarette, le temps de notre conversation. Elle estime sa consommation quotidienne à 100 euros par jour.
À côté de nous, un grand primeur. Un trentenaire achète des poivrons, traverse la rue, puis achète une barrette de résine de cannabis, et retraverse vers l’arrêt de bus. Le lendemain matin, conformément aux promesses du guetteur, le point de deal n’a pas fermé et d’autres adolescents ont pris la relève de la garde. Cette amplitude horaire permet aux consommateurs de se fournir à toute heure, à pied ou en voiture, en stationnant dans l’impasse. Cette fois, on croise un jeune homme du coin, qui ne dira pas ce qu’il est venu acheter “au Moulin” mais qui, en souriant, révèle ses dents noircies. Il a tout juste 20 ans et cherche du travail comme conducteur poids lourd.
À quelques centaines de mètres de là, à l’angle des rues Barbini et du Jet-d’eau, un autre point de vente illustre l’emprise spatiale acquise par le deal dans le secteur. Dans les rues sinueuses de la butte Bellevue, en surplomb de la Belle de Mai, le point de vente visible à même la rue est connu du quartier depuis de nombreuses années. “Sur Barbini, on reste sur une clientèle locale. Mais au Moulin de Mai, il y a une proximité immédiate avec la gare, un campus universitaire et un lycée”, analyse une source policière.
Hommage posthume
Dans la nuit du 4 octobre, ce sont deux autres établissements scolaires du quartier qui se sont retrouvés malgré eux aux premières loges du récent engrenage meurtrier. Lorsque le très jeune tireur de 14 ans a ouvert le feu, la voiture de Nessim Ramdane était au niveau des entrées du collège Quinet et de l’école Saint-Charles 2. C’est là qu’elle s’est encastrée. Le lendemain, les cours ont été annulés. “Je n’avais pas vu le mail de l’école, donc j’y suis allée. Quand je suis arrivée avec mes deux enfants, on a vu du sang”, souffle une mère de famille croisée à la sortie de l’école juste après le week-end. “Je ne sais pas si c’est bien de faire un article. Ça s’est passé là, devant les établissements, mais cela n’a aucun lien, et les gens ne font pas le lien. Les élèves d’ici sont déjà stigmatisés”, estime une professeure. Les médiateurs de rue nous ont confié avoir vu passer “six ou sept journalistes” dans la journée.
Le lendemain, mardi 8 octobre, ce sont les obsèques de Nessim Ramdane qui réunissent toutes les caméras. Mais surtout, de très nombreux proches et fidèles, venus par centaines, remplissant presque les deux stades publics accolés à la mosquée Méditerranée (14e) pour la prière. Un hommage à la hauteur du souvenir laissé par la victime, footballeur amateur, père de famille. Un hommage ponctué d’un discours engagé de l’imam spécialement appelé pour cette cérémonie. “Il est temps de se ressaisir, la jeunesse ! Et de revenir ! Et de se repentir ! D’emprunter le chemin de la paix ! De la sérénité ! De la sécurité ! De l’islam, qui est la tolérance, la sagesse, la paix ! Personne ne mérite sur cette planète de lui faire du mal.” Quelques élus de la Ville ont fait le déplacement, parmi lesquels les adjoints Ahmed Heddadi et Hedi Ramdane, respectivement en charge du lien social et de la jeunesse. Le 10 octobre, l’adjointe aux grands équipements Samia Ghali propose dans La Provence de décerner la Légion d’honneur à titre posthume à la victime, nouveau visage de la cruauté du trafic et de son refus.
Depuis le début de l’embrasement dans le quartier, les effectifs de police ont été renforcés, avec des interventions quasi quotidiennes. “Nous mobilisons des compagnies de CRS, ainsi que les effectifs locaux de la brigade spécialisée de terrain (BST) et de la brigade anti-criminalité (BAC). L’objectif est d’occuper l’espace et de venir compléter le travail de la police judiciaire, qui est la véritable clé de voûte de la lutte contre le trafic”, expose Yannis Bouzar, directeur de cabinet de la préfecture de police des Bouches-du-Rhône. Dans le secteur, trois points chauds bien identifiés et pas vraiment de nouveauté : Félix-Pyat, Fonscolombes, Moulin de Mai. Pas plus tard qu’en avril dernier, une dizaine de trafiquants “gradés” avaient été interpelés dans la petite cité de l’impasse Delpech. Pas de quoi déstabiliser le trafic, ni freiner l’extrême violence qui en découle.
Commentaires
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Ces charbons ont ils été impactés par l’opération place nette XXL ?
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C’est avec un peu de crainte que j’ai lu cet article. Ce quartier qui fut le mien pendant des années ne ressemble à plus rien de tout ça. Ce n’était pas parfait bien sûr et je ne vais surtout pas être nostalgique du “c’était mieux avant”. L’école Bellevue, le collège Lautard bd National, la rue Belle de mai et tous ses commerces, place Cadenat et son grand marché, rue Loubon et la boucherie Derocles, rue Barbini chez Gueydan et Leoncini. La construction du pont de l’autoroute a massacré ce quartier qui a vite été abandonné et où la misère et la pauvreté se sont installés. Rue Félix Pyat il y avait plein de magasins atypiques Poussinette avec ses volailles vivantes, le bazar Picatto et tout au bout le Parc Bellevue (arrêtez de l’appeler Félix Pyat !) et le supermarché Sodim remplacé par l’ANPE puis un commissariat…. Bref je me prends un coup de vieux là et je pourrais tellement en raconter…
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Parmi les consommateurs, entièrement responsables de l’installation et du fonctionnement des points de deal, autant que des guerres de gangs qui s’ensuivent, certains ont complètement quitté le monde réel : que dire de celui qui, à 20 ans, “cherche du travail comme conducteur poids lourd” ? J’espère qu’il est au courant que pour conduire de tels engins, il faut avoir les idées claires.
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Comme le chante Quartiers Nord , la “Belle de Mai ” est devenue ” la Poubelle de Mai” , écoutez les paroles LN cela vous rappellera beaucoup de choses . C’était un autre monde disparu et remplacé par un enfer.Alors oui il faut réhabiliter, mais cela évitera le trafic de drogue?.Sûrement pas.
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Une vague de submersion ne serait-elle pas à l’oeuvre ? Elle monte, elle monte depuis une vingtaine d’années, la maison brûle et nous regardons ailleurs … qui avait dit cela ? Le ruissellement rêvé par les néolibéraux ne se produit pas la misère des un et la richesse des autres croissent en parallèle et les écarts se creusent avec ces quartiers qui s’écartent de l’Etat de droit et deviennent de tragiques theâtres.
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Quand on pense qu’il suffirait que les gens n’achètent plus pour que ça ne se vende pas ! Coluche. La consommation la plus importante n’est pas celle des vrais accros mais la fumette dite sympa, cool, presque conviviale qui est complètement rentrée dans les habitudes. On s’en fume un petit pour se relaxer? Si je dis au mec cool que toute cette pagaille part de lui, il va me prendre pour un fada.
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N’étant pas consommateur moi-même, je suis très à l’aise pour soulever la question de la prohibition, qui suscite le trafic et la violence. La guerre à la drogue est un puits sans fonds. On ne mettra pas fin à la consommation et les budgets consacrés à la répression seraient mieux employés du côté de politiques de santé publique, éducation, etc.
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ah c’est sûr Coluche avait mis le doigt dessus !
complètement d’accord avec “alain dex”
d’autant que c’est une grande partie de la solution : consacrer une partie de ces budgets au retour éventuel des services publics dans ces cités gangrenées, et bien sûr à la santé, les écoles,…etc.
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A Fonscolombes il n’y a plus de trafic depuis plusieurs années
Avec le CIQ, les associations, les habitants de Fonscolombes nous avons pu faire partir ce trafic de drogue
La lutte a payé nous nous sommes débarrasser de cette plaie qui est la drogue
Le CIQ est passé sur FR3, des fêtes ont été organisées à l’intérieur de Fonscolombes et maintenant c’est devenu ‘normal’ et il est organisé des fêtes régulièrement dans cet ensemble et cela se passe très bien
La voiture brulée qui a été déposée dans Fonsccolombes aurait pu être posé dans un autre ensemble
Le CIQ de Arenc Villette est très actif et efficace, vous pouvez voir les commentaires et ses actions dans le site CIQ Arenc Villette
Marsactu aurait pu consulter le président de notre CIQ, cela aurait évité de donner une image négative de Fonscolmbes qui se bat pour améliorer son cadre de vie et vous savez que cela est difficile dans notre quartier qui avait été abandonné par l’équipe GAUDIN et VASSAL
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Bonjour et merci pour ces précisions. Pour préciser à mon tour, Fonscolombes n’est en effet pas identifié comme un point de deal, mais comme un “point de vigilance” par les services police. Bien à vous.
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