[Nyctalope sur le Vieux-Port] À la recherche du meilleur Kebab de Marseille

Chronique
le 5 Oct 2024
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Pour Marsactu, le journaliste Iliès Hagoug raconte la nuit marseillaise, ses feux d'artifices et ses flops, ses nouveautés et ses traditions millénaires. Cette semaine, place à la Kebab Cup, un concours concocté au sein de l'équipe de Marsactu.

[Nyctalope sur le Vieux-Port] À la recherche du meilleur Kebab de Marseille
[Nyctalope sur le Vieux-Port] À la recherche du meilleur Kebab de Marseille

[Nyctalope sur le Vieux-Port] À la recherche du meilleur Kebab de Marseille

Quand on est journaliste d’investigation, il y a des sujets qui prennent plus de temps que d’autres, qui nous obsèdent. Comme une démangeaison que l’on n’arrive jamais à faire passer, on arrive à l’oublier parfois, mais inexorablement, elle revient à la charge au pire des moments.

Marsactu couvre Marseille, ville qui, dans toutes ses exubérances, présente au moins l’avantage de ne jamais manquer de rebondissements ou de sujets d’enquêtes. Certains doivent donc se traiter à plusieurs, demandent d’échanger, de partager sources et informations, de faire face à ses propres biais.

Parmi ces sujets, cette année et dans le plus grand secret, une équipe de travail s’est formée pour répondre à une question aussi simple qu’elle présente de nombreuses subtilités et complexités, et anime un débat rageur : quel est le meilleur kebab de Marseille ?

Fondamentalement, le kebab est une assurance de se boucher les artères, qui nécessite de faire fi de pas mal de ses standards habituels. Personne ne s’est jamais dit, miam, je vais laisser traîner de la viande pas trop loin du feu, et la déguster accompagnée de frites congelées dans une huile pas nette, le tout arrosé d’une sauce industrielle qui a survécu miraculeusement à une absence chronique de chaîne du froid.

Compte de foodista et vote populaire

Simultanément, il est fort probable que du Marseillais le plus anonyme au plus célèbre, chacun d’entre nous a un souvenir rattaché à un croc de pain croustillant, de viande fondante, de sauce onctueuse. Ou de galette, de légumes croustillants.

Parce que le choix de son kebab dit beaucoup d’une personne, une question qui mériterait d’être posée dans chaque entretien d’embauche de France. Quel est ton attachement à la salade ? Entre la cuisson ou le goût de la viande, lequel est le plus important ? Les frites congelées, on s’en fout ? Quantité ou qualité ? Tous ces facteurs pris en compte, quel est le meilleur kebab de la ville ?

Une question à laquelle les Marseillais méritent d’avoir une réponse. Et la première étape a été de chercher à avoir un échantillon représentatif, parce que non, ce n’est pas parce que c’est celui qui est en face de chez toi, que tu l’as régulièrement dégusté en rentrant de soirée, un moment où tout a meilleur goût, que c’est le meilleur de Marseille. Et un sujet aussi important mérite d’être méthodique.

Journaliste, c’est aussi une identité, et il est dur d’arrêter de la vivre 24 heures sur 24. Clara Martot-Bacry a pour sa part souhaité explorer l’univers gastronomique de notre ville à travers son compte Instagram Marseillemondial.

À travers cette page s’est donc organisée la Kebab Cup, et les quelque 1500 abonnés ont eu l’occasion de suggérer des adresses. Celles-ci ont ensuite été triées, et une attention particulière a été portée pour éviter de se cantonner au centre-ville. Une sélection d’établissements a donc été faite par le vote populaire, au grand dam de certains dont les favoris n’ont pas été retenus.

la nouvelle mode du Berliner

Trouver le meilleur kebab de Marseille nécessitait également une diversité d’opinions : votre humble serviteur, Clara Martot-Bacry donc, et deux autres piliers de Marsactu. Nicolas Georges, responsable marketing du journal, aime à rappeler qu’il n’est pas journaliste, surtout pour éviter d’être contacté sur les réseaux sociaux. Il n’en a pas moins l’esprit critique, l’observation acerbe, mais un sens du compromis qui se révélera fondamental. Lisa Castelly, jusqu’à peu secrétaire de rédaction, a l’habitude d’être embêtée par cette chronique qu’elle reçoit régulièrement en retard. Elle est surtout journaliste, et vous dira bien volontiers à quel point elle est marseillaise, elle qui vient de la Drôme. Comme Nicolas, elle vient de quitter le journal. Et tous deux ont été façonnés par Marsactu, autant qu’ils l’ont façonné.

Trêve de cadrage, c’est le dimanche 4 février que la Kebab Cup commence. L’adresse à la Joliette est un “berliner”, nouvelle vague de kebab tendant à vouloir être plus proche de l’original, qui aurait été inventé là-bas par des Turcs. Plus de légumes, plus de fraîcheur, plus de fait maison, plus cher aussi. De quoi créer le premier débat : qu’est-ce qu’on pense de cette nouvelle mode ? Discussion agitée, mais pas autant que l’établissement. La terrasse est petite et les clients, nombreux. Les chaises manquent, et la compétition menace de mal commencer avec une embrouille autour d’une chaise libre. Qu’importe : s’il a ses défauts, et que le temps entre la commande et l’arrivée du sandwich est plus long que pour la commande d’une côte de bœuf, la qualité est bien là.

Post dégustation, le rush est passé et l’heure de la notation est venue. Une scène qui sera vécue de nombreuses fois, et où chacun a trouvé son rôle. Lisa, secrétaire de rédaction jusqu’au bout des ongles, se charge de la notation, et de récolter les avis de chacun. Un barème exigeant a été mis en place, et la notation a régulièrement mené à un débat plus long qu’une conférence de rédaction chez Marsactu. La viande est notée séparément des légumes, ce qui révolte jusqu’à aujourd’hui votre chroniqueur pour qui ils sont d’une importance tertiaire dans un döner. L’hygiène, le prix, les sauces, les frites : tout est pris en compte. Même un point bonus pour le capital sympathie.

Flics et fumeurs de shit

Teufeur rimant naturellement avec döner, une bonne partie de ces sandwichs ont été dégustés la nuit, dans des établissements qui devraient être déclarés d’intérêt public pour leurs kilolitres annuels d’alcool absorbés. Parmi eux : le Helin Kebab sur le cours Lieutaud nourrit flics comme fumeurs de shit, toute la nuit. C’est donc tout naturellement qu’il s’est retrouvé dans la liste : quatre sandwichs embarqués pour être dégustés dans la rédaction de Marsactu, étant donné l’absence de salle. Dix minutes de marche qui n’ont probablement pas favorisé une dégustation optimale, mais l’établissement a eu toutes ses chances, jusqu’à une discussion lunaire avec le gérant au sujet de l’achat d’un sac isotherme. “Iso-quoi ?” Il faut se rendre à l’évidence : ce n’est pas très bon. Confirmant le fait qu’un sandwich régulièrement dégusté par une clientèle aux papilles particulièrement accueillantes a toujours meilleur goût.

À l’inverse, l’un des autres rendez-vous donnés la nuit sera près du boulevard Sakakini. Se retrouver la nuit près du Jarret sonne déjà comme le début d’une mauvaise blague, et en plus, Master K affiche une ardoise plutôt que la traditionnelle façade en plastique à moitié décollée, un kebab du moment, une sauce maison aux amandes. De quoi faire lever les yeux au ciel, et commander un classique, un peu sceptique. Dès le premier croc, tous les doutes s’effacent. Comme une version grasse d’une pub pour chewing-gum mentholé, le mélange des goûts est pile au niveau, la cuisson est parfaite, la viande a du goût. De quoi faire valser ses propres biais ; preuve nouvelle qu’interroger ses biais les fait parfois éclater, et que manger des döner kebab est important.

Le concours est même allé jusqu’à Aix-en-Provence, c’est dire si aucun effort n’a été négligé. Au plus grand plaisir de l’un d’entre nous, qui revit ses années d’étudiant. Et à la plus grande curiosité d’une consœur peu habituée à cette gastronomie. Un peu moins loin, le dernier épisode a eu lieu à Athènes, où le Gyros se fait souvent au porc, rendant compliquée la dégustation pour celles et ceux qui n’en mangent pas.

Les anecdotes depuis février sont déjà infinies, et cette chronique ne saurait en être l’expression exhaustive. Les résultats de ce concours seront publiés sur la page Instagram précédemment citée. D’ici là, quelques paragraphes des autres jurés de la Kebab Cup, pour qui cette petite aventure a aussi rimé avec le départ d’une aventure plus grande.

 

“C’est pas répétitif, ces kebabs ?”, par Lisa Castelly

J’aurais une anecdote pour chaque kebab, vraiment. Pour faire tarte à la crème marseillologique, cette Kebab Cup nous a, au-delà d’aggraver nos taux de cholestérol et notre bonheur gastronomique, fait découvrir d’une manière encore nouvelle la ville aux 111 villages. Qui on croise dans un kebab à Saint-Barnabé le vendredi soir ? Et un samedi midi à la Barasse ou à Saint-Antoine ? Pourquoi ce sandwich servi sur des sièges traditionnels et kitsch en velours nous a-t-il été aussi fortement recommandé que ce spot jeune et un peu branché sur les bords de Sakakini ?

Mon père m’a dit quand je lui en ai parlé : “Mais c’est pas répétitif, tous ces kebabs ?” Eh bien pas du tout. À chaque nouveau test, on a tout repris de zéro. On sait désormais distinguer, sans trop de technicité non plus, une viande bien cuite et une sauce trop industrielle, on sait qui met de l’effort dans le choix de son pain et qui n’en a rien à faire de la salade (parfois à raison, parfois à tort). On a pu reconnaître que des tentatives ambitieuses de sauce amande-basilic étaient très réussies, ou déplorer qu’un berliner trop sophistiqué gâche le plaisir tout de même basique qui est : se régaler, se caler, avoir les doigts gras, repartir le cœur adouci et les papilles satisfaites.

Le kebab est au fond pile à la bonne intersection pour comprendre Marseille d’aujourd’hui, de Saint-Antoine à la Pointe-Rouge, des hipsters du centre-ville aux travailleurs du BTP de la Barasse, des zones pavillonaires au bord de mer. Il n’est pas né de la dernière pluie, il est clairement issu d’un métissage baroque où la Turquie initiale se noie souvent dans le ketchup et la sauce algérienne. Le kebab ne se prend pas pour ce qu’il n’est pas, mais il sait recevoir.

 

“On a failli manger Du kebab au porc”, par Clara Martot-Bacry

J’ai toujours été passionnée de nourriture et la Kebab Cup m’a presque offert une légitimité dans ce domaine.

C’est un peu un rêve de gosse qui se réalise, de se pointer incognito et de noter les trucs, comme Louis de Funès dans L’Aile ou la cuisse.

Pour moi, manger a toujours été synonyme de généreux et pas cher. La nourriture gastronomique, ça ne m’a jamais rien dit. Je voulais faire un championnat du peuple, avec les adresses du peuple. Je voulais aussi rectifier certaines inégalités et que tout Marseille soit représenté, parce qu’il n’y a pas qu’en centre-ville qu’on mange. En mettant des quotas par quartiers, on s’est par exemple retrouvés à aller manger dans un döner incroyable avenue de Saint-Antoine où on est servis comme des rois dans un décor comme à Istanbul.

À l’inverse, tous les favoris du tournoi, les plus chers et les plus connus (Tarpin Bon par exemple), nous ont déçus. La Kebab Cup, derrière un truc marrant, c’est aussi un prétexte pour rendre hommage à la bonne cuisine, à contre-courant de la hype.

Ce que j’aime avec le kebab aussi, ce sont ses variations. C’est le cas typique d’une nourriture qui voyage avec ses diasporas et ça, ça me parle. Il y a le kebab turc, puis le berliner où on a décidé de rajouter des légumes, puis à Marseille il y a beaucoup d’enseignes entre le kebab et le snack qui puisent dans la nourriture du Maghreb, puis il y a les adresses arméniennes… Puis la Grèce donc, où on a failli manger du kebab au porc.

 

“La balade du Kebab” par Nicolas Georges

Ce qui m’a le plus marqué dans cette Kebab Cup, c’est que ça aura finalement été une promenade. Le véhicule d’une petite aventure humaine et géographique. De la Barasse à Aix, de Saint-Barnabé à Saint-Antoine, c’est l’amour de la street food orientale et des choses méthodiques qui nous a précipités dans cette aventure.

Ce que je retiens aussi, c’est qu’aucune soirée kebab n’aura été fondamentalement mauvaise, que ce soit sur le plan gustatif ou dans celui de l’accueil. J’en viens à me dire que l’on pourrait demeurer dans une Kebab Cup éternelle et que ça m’irait très bien.

 

Commentaires

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  1. Olivier.h Olivier.h

    Au secours, il est 10h du matin, vous m’avez mis l’eau à la bouche, avec votre kebab- trek…..
    La suite au prochain n°….Comme dans les mauvais feuilletons….moi, je n’ai pas de compte instagram, que fais-je?
    Panache.

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  2. ThéoSerre ThéoSerre

    Durum cours lieutaud

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  3. Nathan Letoré Nathan Letoré

    Diantre, comment faire quand on est abonné mais qu’on n’a pas Instagram?

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  4. MarsKaa MarsKaa

    Vous allez rajeunir votre lectorat !
    C’est bien les articles légers, surtout quand en plus ils sont bien écrit ! J’ai bien aimé le petit billet en supplément de Lisa Castelly.
    Même si je ne mange pas de kebab !

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      bien d’accord avec vous.

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  5. muriel hakim muriel hakim

    Bonjour
    Alors? C est lequel le meilleur? Ou est votre classement?

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  6. Alain PAUL Alain PAUL

    Bien que je n’en mange jamais, j’ai eu l’eau à la bouche …..
    Bravo Ilies

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