“Ici, on écoute mes problèmes” : pendant deux jours, la justice descend dans la rue
Vendredi 4 et samedi 5 octobre, le Défenseur des droits s'installe Porte d'Aix, pour répondre aux diverses questions des Marseillais au sujet de leurs droits. L'occasion d'aller au contact de publics précarisés, éloignés de la justice et peinant à mener seuls certaines démarches administratives.
Cette action a aidé des dizaines de Marseillais à connaître leurs droits. (Photo : CM)
Place Jules-Guesde, derrière l’arc de triomphe marseillais, des tentes blanches et un groupe de personnes en imperméables bleus, floqués “Défenseur des droits”, attirent les regards des passants. “Ça signifie quoi, Place aux droits ?”, questionne un homme, la soixantaine, en pointant du doigt la banderole rouge qui flotte au vent. “C’est un évènement qu’on organise sur deux jours, on est là pour répondre à toutes vos questions concernant vos droits”, lui répond une bénévole, présente sur le stand en cette matinée du vendredi 4 octobre. L’homme au veston gris sourit, dégaine son téléphone portable. “Viens Porte d’Aix, lance-t-il à son interlocuteur, il y a des gens qui vont pouvoir t’aider à régler tes problèmes !”
Le Défenseur des droits a été créé en 2008, afin de défendre les droits des citoyens face aux administrations publiques. Cette autorité administrative indépendante dispose également de prérogatives particulières en matière de promotion des droits de l’enfant, de lutte contre les discriminations, de respect de la déontologie des forces de sécurité et de protection des lanceurs d’alerte. Au côté de Claire Hédon, Défenseuse des droits depuis 2020, les 220 agents, juristes, et les 600 délégués du Défenseur des droits, bénévoles, déployés sur tout le territoire français, sont chargés de recueillir et de traiter les demandes des citoyens. À Marseille, 12 délégués du Défenseur des droits tiennent deux demi-journées de permanences par semaine, dans différentes mairies et centre-sociaux de la ville.
Ce vendredi matin, l’évènement Place aux droits, qui veut faire connaître le Défenseur des droits aux citoyens en sortant des murs des permanences, draine du public. Durant toute la matinée, la trentaine de professionnels enchaîne les entretiens individuels avec les habitants. Les associations locales ont beaucoup communiqué sur l’évènement. Mais c’est aussi parce que les demandes des Marseillais sont importantes qu’il fonctionne si bien. “Après être passés par Lille, Strasbourg ou les Outre-mer, il était important pour nous de nous rendre dans la deuxième plus grande ville de France, dans laquelle vivent beaucoup de personnes précaires et éloignées du droit”, détaille Claire Hédon.
Services publics inaccessibles
Aides au logement, versements de prestations sociales, actions à mener en cas d’appartement insalubre… Les questions des passants sont variées et soulignent leur désarroi face aux démarches administratives du quotidien. “Réorienter les gens vers les associations ou administrations compétentes est l’une de nos principales missions, explique Émilie, juriste à Paris. Beaucoup de gens nous sollicitent pour des choses qui sont hors de nos compétences, mais on est là pour les aiguiller et leur apporter dans tous les cas une solution.”
Sur le stand, beaucoup de personnes âgées, de demandeurs d’asiles et de personnes à la rue se succèdent. “Les gens, surtout les plus éloignés du droit ou ceux isolés, sont heureux de pouvoir rencontrer du monde et poser leurs questions à des personnes réelles, explique Dominique, déléguée du Défenseur des droits dans le Var. C’est tellement dur aujourd’hui de trouver des gens dans les services publics !” À l’extérieur du périmètre du stand, délimité par des barrières métalliques, elle discute avec une dame âgée. L’échange terminé, cette dernière repart le pas léger, un sourire bien accroché à son visage. “Je ne lui ai pas dit grand-chose, mais c‘est toujours plus simple de comprendre comment agir quand c’est quelqu’un qui vous l’explique”, complète la bénévole au rouge à lèvres rose.
“Quand on rencontre les gens, au fil de la discussion, ils nous présentent souvent d’autres problèmes que les premiers qu’ils avaient évoqués, développe Sonia. Agente au siège parisien, elle ne rencontre jamais les gens à l’origine des demandes qu’elle reçoit par courrier postal ou numérique. Ce matin, elle est assise autour d’une table sous l’une des tentes blanches et termine un entretien avec une dame, venue pour des questions de droit d’asile. “Elle m’a parlé de sa propre situation, puis elle a dévié sur celle de son fils, et j’ai aussi pu l’aider à ce sujet”, se réjouit la jeune femme.
Public éloigné du droit
Beaucoup de Marseillais présents à l’évènement ce vendredi matin s’y sont retrouvés par hasard, attirés par la foule et les professionnels habillés de bleu, qui se meuvent sur la place pour présenter le dispositif aux passants. “J’ai vu la pancarte « droit » et je me suis dit que je pouvais venir parler de la situation de ma fille”, explique une femme d’une cinquantaine d’années, veste en jean et foulard bleu sur la tête. Elle décrit un appartement insalubre, des signalements à la mairie sans réponse et la fatigue de sa fille, qui ne sait plus comment agir. Quand on lui demande son nom pour entamer un recours, son débit de parole, déjà rapide, s’accélère. “Il faut que je lui demande son accord, je crois qu’elle n’a pas envie qu’on donne son identité”, murmure-t-elle. Les bénévoles insistent, l’anonymat sera garanti, c’est simplement pour retrouver le dossier. Mais la mère résiste. “Ça ne m’étonne pas, explique Sonia. Les gens ont souvent honte de vivre dans un logement insalubre et c’est très difficile d’en parler. Là, c’est la mère qui fait les démarches pour la fille, heureusement qu’elle est tombée sur notre évènement, qu’elle nous a demandé de l’aide. Sinon ce sont des situations qui peuvent vite s’enliser.”
“L’intérêt de Place aux droits est qu’on se rend à la rencontre de personnes qui ne solliciteraient normalement pas d’aide du Défenseur des droits, car ils ne nous connaissent pas”, développe Claire Hédon. Place Jules-Guesde, des jeunes sont installés sur des blocs de béton et zieutent timidement les tentes depuis le début de la matinée. Vers 11 h, deux d’entre eux s’approchent du stand, une bénévole va vers eux. Ils discutent un long moment puis repartent, des prospectus et des numéros griffonnés sur une feuille blanche entre les mains. “Ce sont des gens qui, désormais, savent qu’on existe et qui pourront nous solliciter à nouveau à l’avenir”, se félicite la grande femme au carré brun.
Derrière les demandes, la détresse sociale
Les professionnels tentent d’apporter une solution à chaque demandeur. Mais parfois, la situation est tellement complexe que leur aide s’avère très limitée. “Je n’en peux plus, ça fait quatre ans que je cherche à renouveler ma carte de séjour et on me balade tout le temps”, déplore une femme âgée, aux yeux clairs et embués. Arrivée en France en 2016, son titre de séjour a expiré pendant la crise sanitaire et elle n’a pas pu le renouveler, du fait des restrictions de déplacement. Depuis, elle a reçu une obligation de quitter le territoire. “J’ai peur d’aller à la préfecture, car je ne sais pas ce qu’il peut se passer, souffle-t-elle. Je reste dans mon foyer et la vie y est très difficile. Aidez-moi, s’il vous plaît.”
Sonia et Alexia l’écoutent attentivement, la réorientent vers des associations qui pourront l’aider à contester la décision du juge. “Mais j’y ai déjà été, il y a trop de monde, ils n’ont pas le temps de m’aider.” La petite dame craque, des larmes roulent sur ses joues ridées. Les deux jeunes femmes ne lâchent rien, et lui donnent le contact d’une autre association. La vielle dame note le numéro et repart en regardant ses pieds. “Au moins, ici, on écoute mes problèmes”, admet-elle. En s’éloignant, elle passe devant l’homme au veston gris, qui s’est assis à quelques mètres du stand. Sur son siège de béton, il observe l’évènement depuis plus d’une heure. “C’est bien, ce truc, ça change le quartier et les gens sont contents. Il faut refaire des choses comme cela”, espère-t-il à voix haute.
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J’ai l’impression que ce défenseur des droits là est spécialisé dans la précarité des droits des gens en galère. Tant mieux pour eux. Notre expérience fût toute autre. Nous l’avons saisi au bout de 8 ans, en désespoir de cause. Dans un trou administratif notre dossier a eu le malheur de disparaitre et les gros flans de l’administration n’ont jamais rien pu faire. Et le défenseur non plus. Un gros naze dont il a fallu se satisfaire d’une réponse orale bidon, anachronique et hors des clous. Nous avons donc pris un avocat et ça va nous coûter un bras…
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