Au tribunal, se révèlent “les monstres de la procu” et le clientélisme ordinaire

Actualité
le 26 Sep 2024
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Après trois jours dans les méandres de l'équipe de campagne et de la mairie des 11/12, le procès des procurations a examiné le rôle de deux "rabatteurs" des Caillols, capables de mobiliser "300 à 400 voix". Et des nombreuses demandes de logements et d'emplois dont ils tentent de faire bénéficier leur quartier.

Rémi Matar, responsable associatif des Caillols, faisait des "procus à fond" pour le candidat Julien Ravier, derrière lui.
Rémi Matar, responsable associatif des Caillols, faisait des "procus à fond" pour le candidat Julien Ravier, derrière lui.

Rémi Matar, responsable associatif des Caillols, faisait des "procus à fond" pour le candidat Julien Ravier, derrière lui.

“Je l’ai dit depuis le début, qui est le menteur.” À la barre pour le troisième jour du procès des fausses procurations, Julien Ravier ne dévie pas de sa ligne de dénégation. L’ancien maire des 11/12 et tête de liste lors des municipales 2020 cible son directeur de cabinet, Richard Omiros, absent des débats. “Vacciné” de la politique, Julien Ravier maintient ne pas avoir saisi ce qui se tramait dans les multiples échanges — boucles WhatsApp, mails, SMS — autour des procurations. “Au moment où ça se passe, je suis très loin de ces messages, je ne suis même pas sûr de les avoir lus”, explique-t-il, affirmant se cantonner à une campagne de terrain, des apéros chez l’habitant, un rôle de “représentation”. Quitte à charger son successeur et colistier de l’époque, Sylvain Souvestre, non poursuivi. “C’est lui qui envoie ce SMS, ça signifie que lui était au courant ?”, interroge le président à propos d’un message décrivant les pièces à collecter. “Je ne peux que le constater”, pose froidement Julien Ravier.

À ses côtés, seule cheville ouvrière du système présente, Joëlle Di Quiriquo est régulièrement sollicitée, et répond sans esquive, ne cachant rien de son rôle et de sa connaissance du procédé inhabituel mis en œuvre. Jusqu’à jeter un doute sur les dénégations de son ancien maire de secteur. Lors de la réunion de crise qui fait suite à la révélation des procurations dans l’Ephad de Saint-Barnabé, elle témoigne ne pas avoir eu l’impression que Richard Omiros mentait lorsqu’il s’emporte, presque physiquement, contre Julien Ravier : “Tu étais au courant.” Mais ce dernier paraissait aussi “sincère” dans ses dénégations, comme Valérie Boyer, numéro 2 sur la liste, convient-elle. Elle insiste cependant : “J’ai vingt-cinq ans d’expérience, je suis très surprise qu’un directeur de cabinet n’ait pas tenu au courant un maire.”

Et pourtant, réagit Julien Ravier, il y aurait bien eu “trahison” d’un compagnon de route, entré à la Ville comme cantonnier en 1995, directeur de cabinet depuis trois ans, “qui voulait se faire valoir, montrer qu’il pouvait gagner une campagne”. En l’absence de ce dernier, les débats ne peuvent aller plus loin. Ce sont d’autres acteurs, extérieurs à la mairie des 11/12, qui apportent une lumière nouvelle sur les dynamiques à l’œuvre dans cette campagne.

Selfie compromettant

Sur l’écran derrière lui, le président Pascal Gand projette une photo façon selfie. On y voit Karim Rebouh et Rémi Matar, responsables de l’association Jeunesse 11/12, dans le bureau de la directrice générale des services. Sur le bureau, une photocopie d’une pièce d’identité, base de l’établissement des procurations frauduleuses, le formulaire étant rempli dans cette même pièce par les agentes administratives. “Procurations à fond mon ami”, envoie Rémi Matar à Julien Ravier, qui lui répond illico : “Vous êtes des monstres de la procu.”

Gestionnaire de dépôt logistique le matin, éboueur à la métropole le soir, l’expéditeur n’est pas une figure connue de la droite du secteur. De ce que les enquêteurs ont pu retracer, sa participation à la collecte pourrait d’ailleurs être modeste. Mais il revient dans plusieurs échanges directs avec Julien Ravier, où il tente d’obtenir un emploi pour un ami et pour sa compagne. Il évoque “un message pour dire au maire que j’étais derrière lui (…) et éventuellement qu’il ne m’oublie pas pour l’emploi”. “Je comprends bien que dans l’intention de Rémi, il y avait une petite touche « je fais campagne pour vous, ne m’oublie pas », confirme son interlocuteur à la barre.

CV et logements

Catégorique sur la fraude électorale, il se montre bien plus compréhensif sur ces sollicitations, mentionnées dans les débats sans prononcer le terme de clientélisme. “J’avais souvent des demandes pour des CV de la part de cette association, pour des emplois saisonniers, qu’on transmettait”, retrace-t-il, sans forcément garantir un débouché favorable. “Je préfère qu’ils aient un emploi plutôt qu’ils trainent dans la rue”, résume Karim Rebouh. Ces contacts politiques, “cela fait trente ans” que cette figure du quartier des Caillols — dont Marsactu avait documenté l’étendue des relations, de Sylvie Carrega à Nora Preziosi — les entretient.

Sans jamais faire le lien avec les “300 à 400 voix” du quartier dont il se prévaut. “Je ne demande rien, ni une enveloppe, ni de voter”, certifie Karim Rebouh à propos des dossiers qu’il relaie. Mais la “confiance” dont il bénéficie sur place semble grande. Le 17 juin 2020, trois jours après la révélation des procurations de l’Ephad, il n’hésite pas à “convoquer” plusieurs dizaines de jeunes pour régulariser les formulaires établis sans leur présence. Le major de police dépêché sur place repartira furieux de cette sollicitation hors des clous.

quand les politiciens voient que personne ne vote dans un quartier, ce n’est même pas la peine d’espérer avoir un stade.

Karim Rebouh

Pour preuve du caractère désintéressé de ses interventions, l’intermédiaire caillolais rappelle sa situation personnelle : “Je suis cadre C (le plus bas niveau de la fonction publique, ndlr), pas cadre A. Ma femme est femme de ménage et cela fait vingt ans que je demande à revenir dans le 11/12 après qu’on m’a envoyé là-bas, à l’Estaque, parce que j’avais fait campagne contre le maire”, illustre-t-il d’un geste ample. Cinq noms des procurations frauduleuses figurent pourtant également dans les dossiers transmis, comme un renvoi d’ascenseur, remarque le président. “Cela n’a rien à voir”, maintient-il, scrutant chaque nom qui défile à l’écran ou les demandant, avant de piocher dans son encyclopédie locale personnelle pour en illustrer les situations humaines qu’ils recouvrent. Là un “petit cousin”, là “une dame de 97 ans au quatrième étage qui est coincée chez elle depuis trois ans”, là “un petit qui a perdu sa mère, on a fait une fête de quartier pour les loyers impayés et c’est une fierté de l’avoir aidé à trouver un emploi”. Au fil de l’audience, ce n’est pas le seul lien tissé par le président entre procurations et services, tel ce “rabatteur” de la communauté juive du 12e ou le commandant de police Roland Chervet, qui tentait d’obtenir un coup de pouce de Julien Ravier pour une place en école privée pour sa fille tout en tamponnant des formulaires à la chaîne.

Engagement versatile

Quant au versant électoral de son activité, il se dit “de gauche”, ne cache pas son aversion pour le RN, mais suit avant tout les personnalités, comme Christophe Masse, le député et conseiller général PS dans les années 2000, “qui était sur le terrain”. En plus de présider, de 2011 à 2015, le plus gros bailleur social public du département. “Quand je fais des inscriptions électorales de jeunes, c’est parce que quand les politiciens voient que personne ne vote dans un quartier, ce n’est même pas la peine d’espérer avoir un stade”, théorise-t-il sans fard.

Sans nier le caractère versatile du personnage, qu’il a “rebasculé” in extremis en février 2020 alors qu’il s’apprêtait à prendre une troisième place sur la liste de Samia Ghali (DVG), Julien Ravier préfère retenir “la vraie réussite sociale dans ce quartier”, pour canaliser les problématiques de délinquance. La droite devra désormais faire sans le volet électoral de son apport. “Ce sera la dernière fois”, tonne Karim Rebouh.

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Commentaires

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  1. Alceste. Alceste.

    La médiocrité des politiques marseillais dans toute sa splendeur décrite dans cet article.
    Ce dernier est un révélateur du manque de courage de ces édiles, médiocres et pitoyables face à leurs responsabilités.
    Le clientelisme est bien le moteur de cette ville , et ne me dites pas que cela est l’exclusive de la droite,la gauche est dans la même démarche.
    Voilà la culture marseillaise résumée dans cet exposé bien fait.

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    • RML RML

      @alceste. C’est pas drôle pour les vrais cotorep et c’est une blague “très limite”.

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  2. ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

    Ravier “vacciné” de la politique, Rebouh qui jure que c’est “la dernière fois”, que c’est beau cette repentance…

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  3. Thais Thais

    Et beh

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  4. petitvelo petitvelo

    La justice ne peut punir que ce qui est prouvé, mais on imagine aisément que ce n’est qu’une partie des méfaits qui fait l’objet d’inculpation.

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