Mes châteaux d’If: Emilia Perez
Mes châteaux d’If: Emilia Perez
Emilia Pérez ou le désespoir humain.
N’écoutez jamais le Masque et la Plume si ce n’est pour aller voir ce qu’ils déconseillent. Le dernier film de Jacques Audiard, Emilia Perez, est tout simplement magnifique. Explications enthousiastes.
Dans Emilia Pérez, une avocate qui doute de son métier, est contactée par un chef de cartel mexicain. Il lui propose un marché. S’occuper de toutes les démarches pour le faire advenir femme, contre la fortune. Le truand s’achète sa tranquillité. L’avocate devient riche et accède au monde interdit des puissants. Un homme devient femme. L’argent permet de tout changer. En somme le capital acquis par la violence permet de changer soi-même et nous le verrons, le monde. La thèse n’est pas celle d’Audiard mais elle est permise. Au fil du récit, on trouve des morceaux d’ Almodovar comme on tombe sur des corps démembrés de mexicains, victimes du narco trafic. Almodovar comme la liberté dans une société qui veut vivre sa sexualité comme elle l’entend, ses liens comme elle le souhaite. Face à nos désirs libertaires se dresse la violence héritée des hommes, leurs habitudes de guerre, de meurtres.
Que raconte ce film? Qu’un homme né dans une porcherie voulait chanter et ne plus faire chanter. La loi des hommes, la loi du plus fort, l’a contraint pour survivre à éliminer les autres. Une fois que notre monstre, tel que dans la Belle et la Bête, -scène de l’enlèvement chanté et hommage à Jean Marais- a des enfants et une femme, il désire ardemment devenir ce qu’il ressentait être lui même, une femme. Avec les moyens financiers d’un milliardaire, il va s’acheter une nouvelle vie. On ne saura pas si son désir est celui des autres comme le proposait René Girard, on un refus de son assignation. Le film avance comme un conte mêlé à un thriller à la Netflix.
L’épouse du caïd joue aussi sa liberté, rappelant comment être riche, est aussi une prison. Pauvre ou riche, être une femme est un carcan. Être un homme en est un autre. Croyez moi, moi qui voulais faire de la danse.
Pourtant c’est aussi une comédie musicale touchante parce qu’elle colle aussi à la réalité meurtrière du Mexique, surtout depuis que le pays est devenu le cimetière des femmes et de tout ce qui entrave le narco trafic, hommes et enfants, paysans ou étudiants, amis de la Justice. On se rappelle le massacre d’ Ayotzinapa en 2014, romancé par Pierre Ducrozet dans une fable techno transhumaniste: L invention des corps.
Audiard et les scénaristes qui ont travaillé avec lui construisent une fable désappointante qui bousculent les attendus sociaux. Tout en étant ancré dans la réalité du Mexique, pays qui a une longue tradition de la violence et des révolutions. A croire que les drogues sont à même de dissoudre tous les liens d’un pays émergent. L’avocate, Rita Moro Castro, montre dans quel monde de dupes nous vivons quand elle dénonce en chanson et en gestes, les fripouilles, ministres et avocats, qui viennent donner leur obole à un gala de bienfaisance pour l’association chargée de retrouver les 100 000 disparus de la guerre du narco trafic.
Le thème de la rédemption est omniscient même si le retour de la figure du diable semble inéluctable. C’est très bien vu pour le Mexique, adorant tout le cérémonial catholique et le Saint Frusquin. Les fêtes des morts comme l’adoration de la vierge de la Guadalupe témoignent d’une vénération populaire pour la mystique catholique. Comment se racheter de ses fautes? En changeant de peau. Peut-on être différent sous une autre enveloppe et est-ce que la violence ne risque pas de revenir en refoulé.
Je ne crois pas que le film d’ Audiard soit une ode à la transsexualité (mot qui jamais prononcé dans le film), ni un hommage au capitalisme ou à une utopie. Il semble dire, soyez vous même dans ce monde de violence, essayez femmes et hommes de vivre vos désirs. Ne serait que de pouvoir marcher, danser, rire sans être entravés par la possession de l’autre. Les femmes sont les gardiennes de l’existence humaine, tandis que ceux dont elles accouchent se complaisent dans la violence. Les femmes et quelques hommes qui chantent au Chili, en Afghanistan, en Éthiopie et dans les rues de Marseille disent toutes stop aux violences. Quant à Audiard accusé de ne traiter dans ses films que des hommes, on peut raisonnablement le penser car la figure du père retrouvant ses enfants est tout bonnement magnifique. Le moment où son enfant ne dort pas et reconnait son odeur est d’une grande beauté. La chanson y est pour beaucoup.
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