Place Labadié, la culture pour tenter de reprendre du terrain sur les violences

Reportage
par Samy Hage
le 14 Août 2024
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Avec sa programmation estivale sur la place Labadié (1er), la mairie de secteur tente d'apaiser un quartier en proie à différentes vagues de violences autour de la prostitution et de la consommation de drogues. Mais riverains et acteur sociaux ont toujours le sentiment d'une impasse.

Une centaine de spectateurs pour le concert de Sayat Trio sur la place Labadié (Photo: SH)
Une centaine de spectateurs pour le concert de Sayat Trio sur la place Labadié (Photo: SH)

Une centaine de spectateurs pour le concert de Sayat Trio sur la place Labadié (Photo: SH)

En ce lundi soir d’août, un engouement inhabituel gagne la place Labadié, au-dessus des Réformés. Plusieurs dizaines de personnes attendent l’ouverture du petit parc pour un concert du groupe Sayat Trip, dans le cadre du programme municipal “Avant le soir”. Pour la quatrième année consécutive, l’animation estivale de la mairie des 1e et 7e arrondissements propose des spectacles – gratuits sur réservation – dans différents parcs de son secteur. À côté des habitués, chaises de camping à la main, quelques hommes alcoolisés ont dû quitter le square pour trouver refuge sur le pas de la porte d’un immeuble.

Dans la queue, Christiane se veut rassurante. “C’est comme partout, il y a toujours des gens un peu excessifs”, défend cette spectatrice régulière. “Je plains tout de même les gens qui habitent le quartier“, nuance sa voisine. Une habitante lâche spontanément : “Je préfère même pas en parler !” Habitants du quartier ou non, tous s’accordent sur un point : ils ne viennent jamais, ou presque, dans ce parc en dehors des spectacles d’été.

La disposition de la place – circulaire avec un espace protégé par des grilles au centre – renforce tout le contraste de la soirée. Alors que le concert de musique contemporaine démarre, pas besoin d’attendre très longtemps pour avoir une illustration des tensions qui marquent le quartier. Sur le trottoir en face, un groupe de travailleuses du sexe se dispute avec un groupe d’hommes. Tous semblent alcoolisés ou sous substance. Quelques bouteilles de bières sont cassées en signe de menace. Un agent de sécurité de l’événement tente de calmer le jeu en amorçant le dialogue depuis l’intérieur du parc, sans grand succès. La police intervient finalement et éloigne les deux parties. Le reste du concert se déroule sans encombres, mais les disputes sont toujours visibles au loin. Un autre groupe d’hommes, visiblement peu intéressés par les embrouilles du jour, observent quant à eux le concert derrière le grillage, canettes de bière à la main.

Intervention de police en marge du concert place Labadié. (Photo : SH)

Des tensions par vagues

Depuis le printemps 2023, ce quartier entre Réformés et Saint-Charles connaît différentes vagues de tension. Les travailleuses du sexe, historiquement présentes dans le quartier, seraient devenues plus jeunes et encadrées par des hommes plus violents, selon le voisinage. En parallèle, la drogue échauffe de plus en plus les esprits autant qu’elle abîme les corps. Résultat, des confrontations – de l’insulte au jet de bouteille – éclatent régulièrement et la misère est davantage palpable. “Il y a à la fois des personnes défoncées violentes entre elles, et d’autres qui restent quatre jours d’affilée sur le même banc”, expose Jacques-Antoine Mathiou de l’association Voix au Chapitre, tout en soulignant que les habitants ne sont pas visés par ces actes de violences.

Après un apaisement, reconnu par les associations et la mairie de secteur cette année, la deuxième partie de l’été est plus compliquée. La semaine précédente, de violents accrochages avaient déjà largement perturbé la pièce de théâtre qui se jouait sur la place. “C’était assez choquant pour le public. Début juillet, tout s’est bien passé, mais en ce moment, c’est chaud. L’année dernière aussi, on avait eu une vague de violences, avec même des intimidations sur l’équipe”, explique Renaud Marie Leblanc, directeur de la compagnie Didascalies and Co, chargée par la mairie de la programmation “Avant le soir”. Cette fois-ci, les affrontements ont pu être circonscrits dès le début de la représentation, mais l’organisation restera moins concentrée sur le spectacle que sur ses abords.

Le concert se déroule finalement sans problème. (Photo: SH)

occuper l’espace

Dans ce contexte, le mot d’ordre de la mairie de secteur est simple : occuper l’espace. La programmation culturelle s’accompagne d’une médiation du centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD). Cet été, son équipe renforce ses maraudes et passe quatre fois par semaine dans le quartier pour nettoyer les traces de consommation (seringues, bouteilles, etc) et accompagner les usagers. De son côté, le nouveau poste de police municipale au 42, Canebière permet d’effectuer des rondes régulières dans le quartier. Enfin, la mairie met le square à la disposition des associations et centre d’animations pour diverses activités, comme un vide-grenier deux fois par an.

D’une même voix, le Comité d’intérêt de quartier (CIQ) et Voix au Chapitre saluent un changement d’ambiance salvateur lors des occupations, mais regrettent que la plupart de ces dispositifs n’aient lieu que l’été. La mairie répond que c’est un début pour ce parc, rouvert au public en 2021 seulement. “D‘autres activités et aménagements vont suivre. On a lancé une concertation pour une piétonisation de la place”, détaille le cabinet de la maire de secteur Sophie Camard (DVG). Problème, c’est la métropole, à droite, qui est compétente pour cet aménagement. “La métropole ne ferait pas quelque chose au bénéfice de la mairie de secteur en place”, s’inquiète le CIQ. La mairie dit attendre un retour.

Au-delà du caractère ponctuel de ces tentatives d’apaisement, pour plusieurs personnes interrogées dans le public ce soir-là, il semble clair que la démarche ne fait que déplacer la détresse. “Quand c’est devant chez les autres, ça ne dérange pas. On fait le ménage avant une manifestation, mais ça ne veut pas dire grand-chose”, balance une riveraine venue écouter le concert. Même son de cloche chez Voix au Chapitre : “Il faut plus d’aide pour ces personnes qui manquent de tout. Ils ont installé un point d’eau sur le parc, il est tout de suite devenu très prisé, car ils n’avaient même pas accès à l’hygiène de base.” Plus tôt dans la journée, le robinet était en effet très utilisé pour boire comme pour se rafraichir.

La police peut bien les déplacer, les gens retournent chez eux, même si chez eux c’est Labadié.

coordinateur du Caarud

À ce sujet, la mairie de secteur se montre plus démunie. “Le CAARUD, c’est une compétence de l’Agence régionale de santé (ARS), on va déjà au-delà de nos compétences”, rappelle-t-elle. Par la voix de son coordinateur, le CAARUD du quartier juge le reste de l’accompagnement défaillant, par manque de moyens. “Nous, on traite l’urgence, mais s’il n’y a pas de solution de logement sur le long terme ou encore de salle de réduction des risques, le problème reste. La police peut bien les déplacer, les gens retournent chez eux, même si chez eux c’est Labadié”, dénonce-t-il, alors que le projet de salle de consommation à moindre risque a été maintes fois retoqué dans le quartier.

Malgré un début de concert tendu, la douce musique aura finalement apaisé la place le temps d’une heure. Le public part avec le sourire et ne manque pas de féliciter l’équipe, bien connue par les coutumiers. Quelques minutes plus tard, plusieurs sans-abris retrouvent la place devant les derniers spectateurs qui tardent à partir. “On se sent impuissants, c’est dur”, observe le directeur de la compagnie en rangeant son matériel, attristé par le contraste. Si la mairie de secteur en décide ainsi, il souhaite tout de même continuer l’année prochaine.C’est utopique de croire qu’on va régler le problème avec cette programmation, on doit essayer de cohabiter”, conclut-il avant de proposer un verre à l’équipe.

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Commentaires

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  1. Patafanari Patafanari

    Sex and drugs and rock and roll.

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    • RML RML

      Sauf que c’était un concert de musique inspirée d’Arménie

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  2. Peuchere Peuchere

    Comme le dit la CAARUD, il faut installer une salle de consommation à moindre risque. Mais Madame CAMARD ne l’a pas voulu. Donc le problème persiste et persistera.
    Alors on fait un concert de temps en temps pour se donner bonne conscience, on lance des concertations citoyennes, on tape au passage sur la métropole pour noyer le poisson ( ou le poison!) et l’histoire continue sans cesse.

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    • Alceste. Alceste.

      En résumé on fait du Printemps Marseillais.

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    • Mireille Urbain Mireille Urbain

      Les électeurs de Mme Camard ne veulent pas d’une salle de consommation à moindre risque donc Mme Camard qui tient à son mandat répond à leur souhait et s’y oppose. Ces mêmes électeurs ne veulent pas de troubles causés par les “consommateurs” devant leur porte. C’est la quadrature du cercle et la reconnaissance d’un rejet de toute population marginale. Les riverains de ce square pourraient peut-être s’investir dans le dialogue ou le rendre possible de manière à gérer les troubles du lieu. Difficile? Peut-être et demandant de la patience donc du temps. Mais plus efficace que de tout attendre des pouvoirs publics ou des associations.

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      Cette triste histoire de la place de la Rotonde (appellation locale) dure et perdure depuis des décennies. Cette dégradation progressive provient en partie du désintérêt des différentes municipalités qui se sont succédées. La multiplication du trafic routier dans ce quartier assez fermé qui sert de raccourci, la proximité de la gare St Charles et la forme circulaire de la place permettant une circulation en boucle ont facilité le développement d’une prostitution de plus en plus jeune. Le jardin est peu à peu passé des poussettes et des enfants aux poivrots et ensuite aux drogués de toutes sortes. Je ne sais pas comment il serait (sera) possible de rompre cette spirale descendante. Je salue les efforts pour redonner à cette place une image moins catastrophique.

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  3. Marc13016 Marc13016

    Une piste serait d’y installer des restaurants, des commerces (licites !), une boulangerie, des activités de la vie courante qui assurerait une fréquentation permanente, à la différence du simple évènementiel. ça ferait au moins fuir les clients des “travailleuses” … Pour les SDF et les drogués, je crains que la seule réponse soit des propositions de prise en charge médicale, avec déplacement.

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    • Malleus Maleficarum Malleus Maleficarum

      Impossible vues les configurations des bâtis (classés) autour de la place. Et illusoire car c’est l’histoire de l’oeuf pourri et de la poule morte : qui va tenir entre le commerçant qu’on installerait et les dealer / proxénètes déjà installés ?

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  4. didier L didier L

    Un concert, une pièce de theâtre pour masquer ou déplacer la misère, l’idée – un peu bobo – est sympathique mais elle a ses limites. Le problème de la misère, la pauvreté, les trafics en tous genre entre Les réformés, St Charles, Noailles et le Vieux-Port cet hyper centre marseillais si beau et si fragile ne se résoudra pas par la culture seulement le mal est trop profond: le logement, l’emploi, la sécurité, les problèmes psy de plus en plus nombreux dans la population et le manque d’infrastructure, ( le centre qui a du fermer à Belsunce chassé par les dealers, l’absence de salle de shoot …) on peut évoquer l’immigration, ( ne pas laisser le sujet au RN c’est une vraie question) trop de jeunes migrants à la rue, main d’oeuvre pour le narcotrafic etc …

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  5. Malleus Maleficarum Malleus Maleficarum

    Brasser de l’air au point que ça fasse de la musique, voilà bien la quintessence de l’action publique du Printemps Marseillais.

    J’y ai cru. Puis j’ai voulu y croire. Mais la réalité gagne, à chaque fois.

    Pathétique.

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