[Des îles et des hommes] L’île Verte, inflammable et sous haute surveillance

Série
le 15 Août 2024
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Cet été, Marsactu met les voiles et part à la découverte de ceux qui vivent et travaillent sur les îles. À chaque épisode, c'est un monde à part qui se dévoile, insulaire et donc un peu extraordinaire. Pour ce quatrième épisode, cap sur la Ciotat et son île Verte, un coin de paradis qu'une étincelle pourrait transformer en brasier.

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Depuis l'île Verte, on aperçoit le bec de l'aigle et la plage du Mugel, où le risque incendie est aussi prégnant. Photo : VA

Depuis l'île Verte, on aperçoit le bec de l'aigle et la plage du Mugel, où le risque incendie est aussi prégnant. Photo : VA

Comme une forêt qui se dessine derrière le chantier naval, on croirait presque qu’elle fait partie de la Ciotat. Pourtant, il faut bien effectuer une traversée pour rejoindre l’île Verte. En navette avec des horaires un peu aléatoires, en kayak ou même, pour les plus courageux, à la nage. Moins de 500 mètres la séparent de la plage de Mugel, à la pointe Sud de la Ciotat. Plébiscitée par les touristes, l’île Verte est tout autant appréciée des locaux qui y voient un petit coin de paradis, verdoyant, à portée de main et doté de criques aux eaux cristallines qui n’ont rien à envier aux calanques marseillaises. Mais sous ses airs de lieu de villégiature coupée du monde, l’île Verte pourrait aussi, en un claquement de doigt, se transformer en véritable enfer aux milieux des flots.

Les premiers touristes s’apprêtent à embarquer sur la navette pour l’île Verte. Prix du voyage : 14 euros. (Photo : VA)

Selon les conditions météorologiques et les estimations, il suffirait de 5 à 20 minutes pour que ce petit bout de terre de 13 hectares seulement se mue en un brasier géant. L’île Verte, île la plus boisée des Bouches-des-Rhône, accueille pourtant toute l’année des visiteurs. Un restaurant que les plus anciens ont toujours connu y a même pris ses quartiers. Pour tenter de maîtriser ce risque, plusieurs dispositifs sont donc mis en place, particulièrement en saison estivale. Avec notamment des agents du parc national des Calanques qui y effectuent des patrouilles deux jours par semaine en cette période propice aux départs de feu.

“Faire passer un message”

Quentin et Lou-Maé sont étudiants. Vêtus d’un bermuda brun et d’une chemise de couleur identique, les deux jeunes gens ont presque des allures de scouts. Au détail près qu’ils portent un petit écusson qui rappelle ceux des forces de l’ordre. Tous les deux sont gardes forestiers saisonniers. Sourire aux lèvres et visage poupin, ils accueillent les passagers qui viennent de descendre de la navette et pénètrent dans la forêt à la recherche d’une crique où passer la journée. Autour de la ceinture des gardes forestiers, pas d’armes mais deux petits “grelots”. ” Ce sont des compteurs qui permettent de savoir à la fin de la journée le nombre de personnes que l’on a informées, et ceux que l’on a sensibilisés”, explique Lou-Maé. La nuance est de taille. “En général, on informe en répondant à une question, par exemple en indiquant un chemin. La sensibilisation consiste, elle, à faire passer un message”, précise la jeune femme.

Deux gardes forestiers saisonniers surveillent l’île Verte et notamment, les fumeurs. (Photo : VA)

“Donc, on informe d’abord, et puis on essaye de sensibiliser au plus gros problème ici : le risque de départ de feu. On passe notre temps à expliquer pourquoi il ne faut pas fumer. C’est notre principale mission”, enchaîne Quentin. Cette mission, les gardes forestiers du parc national l’appliquent sur toutes les “zones prioritaires”. Du côté de Cassis/La Ciotat, secteur de Quentin et Lou-Maé, il y a bien sûr les “grosses portes d’entrée du parc” comme Port-Miou, Port-Pin, En-Vau ou encore la route des Crètes. Mais aussi, donc, l’île Verte et la plage du Mugel qui lui fait face. “Ces deux secteurs sont liés, explique Quentin. Si le Mugel prend feu, l’île Verte peut suivre.” 

Des feux qui ont “marqué les mémoires”

Le feu qui traverse la mer. Quentin et Lou-Maé n’étaient pas nés, mais c’est exactement ce qui s’est passé en 1957, comme le raconte à nos confrères du Monde Gérard Carrodano, pêcheur et plongeur connu dans le coin qui a fait de l’île Verte son terrain de jeu : “En 1957, un gigantesque feu a marqué les mémoires. Parti des hauteurs de la ville, il a atteint l’île, poussé par un violent mistral”. Avant, d’autres incendies d’ampleur ont eu lieu, en 1946 et 1952. Depuis cette période, l’île Verte a eu le temps de se régénérer. Un système d’irrigation a également été construit grâce à un tuyau qui passe sous la mer et l’installation de quatre bouches à incendie dispersées sur l’île.

Les panneaux d’information sont souvent retrouvés cassés sur l’île Verte. (Photo : VA)

Tout au long des sentiers qui permettent d’effectuer le tour de l’île, des panneaux ont également été placés pour rappeler les règles élémentaires de lutte contre le risque incendie. Le but étant de trouver un équilibre entre visibilité et intégration dans  le paysage, explique Lou-Maé. “Notre mission est aussi de vérifier que la signalétique est en bon état, car souvent, les panneaux sont cassés”, note-t-elle devant l’un d’eux, brisé en plusieurs morceaux. “Parfois, c’est simplement à cause du temps, mais souvent, ce sont des actes malveillants”, regrettent les deux gardes forestiers avant de descendre au bord de l’eau. C’est ici que commence la partie la plus délicate de leur travail.

Communication non-violente

Tout semble calme dans la calanque de Seynerolles. Des enfants jouent dans l’eau sans faire de bruit, la plupart des adultes sont, eux, allongés sur la plage, assommés par la chaleur écrasante. “Si les gens dorment ou se reposent, on ne va pas aller les réveiller en sursaut pour leur parler du risque incendie et les affoler”, rigole Quentin, en mimant la scène. Un peu plus haut sur les rochers, un couple de trentenaires regarde la mer. Lou-Maé tente une approche. “Bonjour, ça va ? Il fait chaud hein ! Vous venez d’où ?”. La discussion est enclenchée et rapidement, la question du risque incendie est abordée. Les deux membres de ce jeune couple sont fumeurs, mais, originaire du Sud-Ouest, comprennent sans effort l’interdiction dans ce lieu recouvert de pins.

Après l’information, la sensibilisation avec les gardes du parc national des calanques. (Photo : VA)

“L’idée, c’est de ne pas y aller de manière frontale. Il faut d’abord briser la glace et utiliser la communication non violente”, déroule Lou-Maé en cliquant sur son grelot. La plupart du temps, estiment les deux agents, l’échange est fluide. Même lorsque les gens sont pris sur le fait. “Notre but n’est pas de sanctionner, mais d’expliquer“, ajoute Quentin. D’ailleurs, ils ne sont pas assermentés pour verbaliser. Mais parfois, la consigne a du mal à passer. “La dernière fois, je demande à une dame qui fumait sous les pins d’éteindre sa cigarette, et, tout en continuant à fumer, elle était toute contente de m’expliquer que, elle, elle faisait attention”, s’agace Lou-Maé. Quentin ajoute : “Souvent, c’est avec les locaux que ça peut être un peu compliqué. Les touristes ne sont souvent pas au courant des problématiques mais acceptent vite de se plier au règlement. Les gens du coin eux connaissent bien le risque incendie, mais ne supportent pas qu’on leur dise quoi faire.”

Myrte, romarins et oliviers sauvages

Ce jour-ci, personne pour s’en griller une. Même si une étrange odeur se fait rapidement ressentir. “On travaille beaucoup avec le nez et parfois, l’odeur de la crème solaire peut ressembler à celle de la cigarette”, ironise Quentin. “Ça m’obsède tellement que même quand je retourne sur le port de La Ciotat, j’ai envie de dire aux gens d’arrêter du fumer dès que je sens l’odeur de la cigarette. D’ailleurs, j’ai moi-même arrêté de fumer”, complète Lou-Maé. Respectivement étudiants en biologie et en anthropologie, Quentin et Lou-Maé n’ont pas pour ambition de faire carrière dans la chasse à la cigarette. Mais ici, ce n’est qu’après ce passage obligatoire que leur mission prend tout son sens. “Ce que j’aime le plus, c’est qu’une fois le risque incendie évacué, on peut parler de protection animale et végétale”, raconte la jeune femme, les yeux qui pétillent. Un large sourire aux lèvres, Quentin lance : “Moi, j’adore parler de posidonie !”

L’île Verte n’est qu’à 500 mètres de la côte la plus proche. (Photo : VA)

Comme à d’autres endroits dans le parc national, l’île Verte, classée zone naturelle d’intérêt écologique faunistique et floristique, regorge de biodiversité. Outre un important herbier de posidonie, véritable poumon de la mer Méditerranée, on trouve également dans les eaux avoisinantes des espèces remarquables comme les mérous, les langoustes, ou encore le corail rouge. Mais c’est à terre que l’île se démarque. Il faut dire que son nom n’a pas été choisi au hasard : si le pin prédomine, de nombreuses espèces végétales y sont également présentes. Cystes, chênes verts ou kermès, romarins, oliviers sauvages… Toutes les espèces végétales typiques de la Provence semblent s’être données rendez-vous sur cette terre submergée. Un atout qui en fait aussi sa faiblesse.

“Ce n’est pas plus dangereux, c’est plus isolé”

C’est pourquoi des discussions sont actuellement en cours afin de mettre au point un plan de gestion au niveau de l’île. Ce dernier permettrait de gérer mieux encore le risque incendie et une réunion est prévue à ce sujet en septembre. Bien loin du débarcadère et des criques fréquentées, une autre espèce remarquable niche ici. Dans l’un des bunkers cachés sur l’île – dont le passé militaire a laissé de nombreuses traces d’obus et de fortification – deux drôles d’oiseaux veillent : Igor et Mario* sont agents du conseil départemental, propriétaire de l’île Verte. Ces deux ouvriers forestiers ont plus de 25 ans de métier et connaissent le lieu comme leur poche. Ni l’un ni l’autre n’a connu d’incendie ici. Mais tous deux se souviennent d’une série de feux partie il y a quelques années du parc du Mugel et qui a bien failli toucher l’île. Depuis, l’incendiaire, agent municipal gardien de ce parc, a été condamné.

Directement relié à l’unité des sapeurs-pompiers de Gémenos, Mario et Igor se disent confiants. Mais savent qu’un départ serait catastrophique. “Ce n’est pas plus dangereux, c’est plus isolé. Le problème ce n’est pas le départ éventuel d’un feu, c’est la présence de gens sur l’île, car il faut qu’elle soit complétement évacuée pour que les pompiers interviennent sur le feu”, détaille l’un d’eux. Par fort mistral, le temps de faire monter tout le monde sur des bateaux, l’île serait déjà entièrement brûlée. “Quand il y a du mistral, il ne faut personne sur l’île”, concluent-ils. Eux y sont en permanence. Même les jours de fort vent où l’ensemble des calanques sont interdites d’accès, comme c’était le cas il y a quelques jours. Pourtant, Igor et Mario l’assurent, ils n’étaient pas seuls ce week-end-là.

*Les prénoms ont été modifiés

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