Robert Dagorne, le maire d’Éguilles visé par une enquête pour favoritisme

Info Marsactu
par Benoît Gilles & Marie Lagache
le 1 Août 2024
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Début juillet les policiers de la brigade financière ont perquisitionné la mairie d'Éguilles dans le cadre d'une enquête préliminaire ouverte par le parquet d'Aix pour des faits présumés de favoritisme. Au centre des investigations, un marché de réfection de la voirie que la chambre régionale des comptes avait déjà pointé comme irrégulier.

Robert Dagorne, le maire d’Éguilles visé par une enquête pour favoritisme
Robert Dagorne, le maire d’Éguilles visé par une enquête pour favoritisme

Robert Dagorne, le maire d’Éguilles visé par une enquête pour favoritisme

La brigade financière a pris la route du pays d’Aix. Le 3 juillet dernier, plusieurs officiers de police judiciaire étaient dans le château d’Éguilles, le bâtiment classé qui sert d’hôtel de ville à la commune. Depuis les fenêtres, on y découvre toute la plaine provençale, jusqu’à l’étang de Berre. Mais les fonctionnaires de police n’ont pas eu le loisir de contempler le panorama local. Ils étaient là pour consulter les documents ayant trait à plusieurs marchés de travaux publics, notamment liés à la voirie communale. Comme le parquet d’Aix a pu le confirmer à Marsactu, cette perquisition intervenait dans le cadre d’une enquête préliminaire pour favoritisme.

Celle-ci fait suite à une transmission de la chambre régionale des comptes, comme le procureur d’Aix l’avait confirmé à La Provence, en octobre dernier. Le rapport des magistrats financiers, portant sur les exercices 2017 et suivants, était particulièrement sévère sur la gestion du maire Robert Dagorne (Les Républicains), réélu à la tête de la municipalité depuis trois décennies, et surnommé Napoléon, autant en raison de sa ressemblance avec l’empereur que pour le caractère autocratique de son fonctionnement.

Robert Dagorne signe tout, ne délègue rien et communique peu : une fois par an, il informait le conseil municipal de la liste des marchés publics passés durant l’année, notait ainsi la chambre dans son rapport. Une lecture unique qui a été remplacée par la suite par un registre qui résumait les grandes lignes de la commande publique. Les magistrats ont décrit une organisation “défaillante“, “lacunaire“, “éclatée“, à l’origine de possibles irrégularités.

Les allégations d’un “chevalier blanc ubuesque”

Robert Dagorne avait d’ailleurs très mal vécu la publication du rapport, accusant pêle-mêle ses opposants, la presse et l’association Sos corruption 13 d’entretenir une forme de harcèlement des élus locaux et de sa propre personne. L’association et son président, Jean Sansone, sont à l’origine de nombreux signalements concernant des faits potentiellement délictueux et transmis, tant à la chambre régionale des comptes qu’au parquet d’Aix. Le travail du “chevalier blanc ubuesque” comme le maire le qualifie en conseil municipal, a fini par payer puisque ce sont désormais des policiers qui ouvrent les dossiers municipaux. Contacté par Marsactu, le maire et son cabinet se sont refusés à tout commentaire sur cette affaire.

L’un d’eux devrait retenir plus longuement leur attention. Il concerne le marché d’entretien et de travaux de voirie passé en août 2018 et qui avait principalement pour objet la réfection de la route départementale 17 qui traverse la commune. Les opposants au maire avaient dû aller jusqu’à la commission d’accès aux documents administratifs (Cada) pour avoir accès aux pièces, pourtant publiques, de ce marché à bons de commande.

Tour de passe-passe en commission

Ce qu’ils ont découvert laisse pantois. Le PV de la commission que Marsactu a pu consulter est signé par le maire, le directeur des services techniques et un conseiller municipal. Il nourrit un chapitre entier du rapport de la CRC. Curieusement, alors que le règlement de consultation du marché ne prévoit pas de négociation, celle-ci a bien lieu en juillet 2018 quand les deux élus et le fonctionnaire reçoivent les quatre candidats. Un “copié-collé malheureux” à partir de précédents marchés, argue la municipalité, dans sa réponse à la chambre.

Dans un mémoire en réponse que la mairie a publié sur son site en réponse au rapport de la chambre, la municipalité assume d’enfreindre ses propres règles :

“Les candidats ayant tous accepté de déroger au règlement de consultation ; la commune a donc conduit une négociation transparente jusqu’à obtenir un rabais important qui a emporté sa décision. Aucun des candidats, dont quelques majors des travaux publics, n’a contesté cette négociation et le résultat du classement des offres.”

Or, la négociation fait des miracles. L’entreprise M arrive en quatrième position après l’analyse des offres qui repose à 60 % sur le prix et à 40 % sur la valeur technique. M fournit une “compilation de photos sans aucun détail” en guise de dossier technique, constate la chambre. “Très insuffisant“, note la commission. Quant au prix, il est 14 % supérieur à l’offre la moins-disante.

Et là, magie de la négociation, le rapport s’inverse brusquement après un tête-à-tête entre le patron de l’entreprise M et les membres de la commission. Le patron de M propose une offre 30 % inférieure à la première, un rabais trois à dix fois supérieur à celui de ses concurrentes. De fait, elle devient l’offre la mieux-disante. Quant au mémoire technique, il passe de “très insuffisant” à “très complet“. Pourtant, pour la chambre, c’est le même “en tout point“.

830 000 de surcoûts facturés à la commune

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Par un étrange jeu de vases communicants, l’entreprise lauréate n’a pas respecté le bordereau de prix unitaire associé à son offre. Le marché à bons de commande permet à une commune de prévoir un volume global de travaux et de solliciter l’entreprise au fur et à mesure. Chaque chantier donne lieu à une facture et toutes les actions mises en œuvre sont détaillées avec un prix fixé à l’avance. Dans le cas éguillen, l’entreprise M a soumis des factures régulièrement supérieures aux prix fixés dans le marché. Et la commune a honoré ses mandats sans barguigner pour 47 % d’entre eux. L’entreprise M a tout simplement appliqué les prix de sa première offre, celle qui était classée dernière par la commission d’appel d’offres. Pendant deux ans, de 2018 à 2020, le comptable a payé sans se poser de question, entraînant un surcoût de plus de 830 000 euros.

Mais, quand le comptable s’aperçoit que les prix du bordereau ne sont pas respectés et rejette les factures, alors un autre tour de passe-passe intervient. En 2019 et 2020, pour le chantier de l’avenue Général-de-Gaulle, les prix sont conformes à ceux fixés par le marché, mais les quantités utilisées connaissent une hausse inexpliquée. Heureux hasard, le goudron et le béton utilisés permettent à l’entreprise d’encaisser, à l’euro près, la somme d’1,9 million qu’elle avait prévue dans son estimation initiale. Ce jeu sur les quantités a amené à une surfacturation de plus de 392 000 euros, ce qui porte le préjudice global à plus d’1,2 million d’euros pour la commune.

Problème de “manque d’attention”

Là encore, dans son mémoire en réponse à la chambre, Robert Dagorne persiste et signe. La surfacturation est due “à un manque d’attention” de ses services “notamment durant la période du COVID 19“. L’entreprise a donc reconnu et chiffré son erreur, à 817 000 euros, qu’elle a remboursés après une mission de conciliation menée par le comptable public. “La mise en recouvrement des sommes permet d’effacer totalement le préjudice subi par la commune“, écrit le maire qui remercie la chambre pour son “acuité“.

Dans sa réponse, le maire oublie les quelque 400 000 euros de surcoût liés à l’augmentation inopinée des quantités. Et surtout, il fait mine de croire que l’effacement du préjudice financier gomme, du même coup, l’infraction présumée qui l’a provoqué.

Les opposants à Robert Dagorne et “l’ubuesque chevalier blanc” de l’association Sos Corruption 13 ont fait d’autres signalements à la justice sur la gestion de marchés publics qui pourraient aiguiller les enquêteurs vers d’autres placards du château d’Éguilles.

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Benoît Gilles
Journaliste
Marie Lagache
marie.lagache@marsactu.fr

Commentaires

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  1. Jean Pierre RAMONDOU Jean Pierre RAMONDOU

    “goudron” ou bitume ?

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  2. Haçaira Haçaira

    En tout cas les plumes

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    • Forza Forza

      😅 Dommage que “Pointue” soit en vacances – ça aurait fait un excellent “Ca se discute” pour l’édition de ce soir.

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  3. Jb de Cérou Jb de Cérou

    Félicitations à Jean Sansonne, excellent ch

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  4. Sos corruption 13 Sos corruption 13

    Un dossier 100% sos corruption 13
    Du signalement déposé à la Chambre Régionale des Comptes qui a engendré un contrôle de cet organisme aux signalements déposés auprès du parquet d’Aix en Provence.
    Ainsi que cet article, initié lui aussi sur la base des documents transmis par l’association à la rédaction de Marsactu.

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  5. julijo julijo

    D’où l’utilité, voire la nécessité d’associations telles que SOS corruption 13.
    Félicitations pour ce boulot et cette vigilance. Et meilleurs voeux pour la suite.

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    • Sos corruption 13 Sos corruption 13

      Merci pour vos encouragements

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  6. Manipulite Manipulite

    Un enrobé, deux dérobés à Eguilles.

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    • L.D. L.D.

      Bonjour au fait a-t-on des nouvelles concernant les dépenses anormales présumées à la mairie de Rognac ?

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  7. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Depuis trois décennies à la mairie… Deux mandats et basta !, voilà ce qui devrait être de règle.

    Accessoirement, à 81 ans, ce maire a dépassé depuis longtemps la date de péremption : il lui reste à choisir où il souhaite passer sa retraite, aux Baumettes ou à Luynes.

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