Guerre ouverte chez les taxis marseillais autour du business des licences
La profession se déchire autour de la création de nouvelles licences pour la première fois depuis 1963 alors que beaucoup se plaignent d'une baisse d'activité et que la revente entre eux du précieux sésame rapporte gros.
Manifestion de taxis pro-mairie pendant le conseil municipal du 28 juin 2024 (Photo : BG)
28 juin, situation ubuesque devant la mairie de Marseille où se tient le conseil municipal. Une centaine de taxis manifestent, non pas ensemble, mais face à face. La volonté affichée par Sami Benfers, conseiller municipal (GRS) délégué aux taxis, d’ouvrir de nouvelles licences met la profession en ébullition, avec deux camps très nettement opposés : les propriétaires de licences contre les locataires. Chacun représentant la moitié des 1115 taxis, selon le comptage de la mairie. Dans un tract distribué ce jour-là, le syndicat Utif, opposé aux nouvelles licences, n’hésite pas à traiter le président du syndicat LUTM, qui représente des locataires, de “voyou”. De son côté, Saïd Djefaflia a fourni à Marsactu de nombreux témoignages écrits et plaintes faisant état de violences de la part de membres de l’Utif.
Depuis, la saison touristique bien entamée n’a pas permis d’adoucir les esprits. En ce vendredi de fin juillet et jour d’ouverture des Jeux Olympiques, la gare Saint-Charles bouillonne. À l’extérieur pourtant, la station de taxis est loin de saturer. Seule une petite dizaine de clients, et tous trouvent un taxi en quelques minutes. Non loin de là, une bonne quinzaine de taxis patiente en continu, beaucoup ont le temps de sortir un peu discuter avec les autres. “On travaille encore moins cet été. Avec les JO on n’a pas plus de courses, mais plus d’embouteillages !”, déplore un chauffeur. Un constat unanimement partagé par ses collègues ce vendredi matin, deux jours après le début des épreuves de football au Vélodrome.
Dans ce contexte où les taxis pleurent une clientèle toujours plus rare, la proposition de Sami Benfers a mis le feu aux poudres. Selon l’élu, la flotte de la ville ne suffit plus face à une attractivité qui ne cesse de croître. “J’ai consulté des hôtels, la gare, l’aéroport, ils sont unanimes : on manque de taxis. Trop de courses ne sont pas honorées, je le vois aussi dans mon utilisation”, expose-t-il à Marsactu pour justifier son choix de création de nouvelles licences.
C’est en effet la mairie qui décide de mettre en circulation les autorisations de stationnement (ADS). Ce document, souvent nommé “licence”, est celui qui permet aux détenteurs d’une carte professionnelle de taxi d’exercer dans le périmètre de la collectivité. À Marseille, aucune nouvelle licence n’a été délivrée depuis 1963, “une exception” dans les grandes villes françaises, insiste Sami Benfers. Or, sa proposition qui divise très nettement les professionnels locaux.
On n’ajoute pas des licences car on a attendu son taxi un peu trop longtemps !
Rachid Boudjema, Président STM
Mais sur la quinzaine de chauffeurs interrogés vendredi matin, tous s’opposent à la création de nouvelles autorisations de stationnement. “Il y a toujours des taxis disponibles. Quand on n’arrive pas, c’est que le trafic nous bloque”, juge Gilbert. Beaucoup estiment plutôt que l’augmentation massive du tourisme est plus qu’absorbée par les voitures de transport avec chauffeurs, les fameux VTC. “Même les hôtels et les croisiéristes appellent directement des VTC maintenant ! Et pour l’aéroport, on ne peut pas y aller hors réservation, car il n’est pas à Marseille”, explique Arnaud.
De son côté, Rachid Boudjema, président du STM, premier syndicat de taxis marseillais, évalue à 35 % la baisse de l’activité par rapport à l’été dernier, pour le moment. “Ce n’est pas un non de principe aux nouvelles licences, mais la mairie ne nous fournit aucune preuve d’un manque et le terrain nous dit l’inverse. On n’ajoute pas des licences, car on a attendu son taxi un peu trop longtemps !” assène-t-il.
un marché financier complexe
Cette controverse sur le nombre de véhicules en cache une autre : celle du marché spéculatif des licences. À sa création, une ADS est délivrée à titre gratuit à un chauffeur, grâce à un système de liste d’attente. Problème, attendre son tour peut prendre des années, voire des décennies à Marseille. En 1995, décision est prise à l’échelle nationale de permettre aux chauffeurs de céder leurs licences, moyennant rétribution. L’ADS se transforme alors en investissement à part entière qu’un taxi peut espérer revendre plus cher en fin de carrière, pour financer sa retraite par exemple. “C’est comme investir dans la pierre” résume “Momo”, chauffeur interrogé à la gare.
À Marseille comme ailleurs, cette transformation du marché a débouché sur une inflation impressionnante Selon différents syndicats, une ADS coûte environ 250 000 euros aujourd’hui, deux fois plus qu’il y a 10 ans, une tendance qui s’accélère nettement depuis la crise Covid. Il est aussi possible de louer une licence, mais là encore les prix gonflent pour atteindre 2 000 euros par mois. Chaque création de licence à titre gratuit provoque donc la colère des propriétaires qui craignent une lourde baisse de valeur de leurs licences. Les nouvelles licences sont certes non cessibles depuis 2014 et ne rentrent ainsi pas dans ce marché, mais les tensions restent, comme à Lyon, où la Ville projette également de créer des ADS.
Une division nette
Chaque bloc incrimine l’autre sans ménagement. Côté Utif, le vice-président Yazid Ziani accuse la mairie de faire “du clientélisme” et de vouloir se mettre les locataires dans la poche. Concrètement, il accuse Sami Benfers d’avoir prévenu en avance LUTM des possibles nouvelles ADS pour qu’ils s’inscrivent en premier sur la liste d’attente. La preuve selon lui : la liste d’attente est subitement passée d’une cinquantaine d’inscrits à près de 250 l’année dernière, avant l’annonce du conseiller municipal. “C’est un joli cadeau à 250 000 euros pour ses supporters politiques” commente-t-il.
Saïd Djefaflia, président de LUTM, répond que l’inverse se serait produit : capture d’écran à l’appui, il dit avoir demandé sur un groupe WhatsApp de taxis locataires de s’inscrire massivement sur la liste d’attente pour convaincre Sami Benfers de créer des ADS. L’annonce de l’élu serait donc une conséquence de cette mobilisation, et non sa cause.
Malgré ces accusations de proximité, Sami Benfers n’hésite pas à nous recevoir… accompagné de Saïd Djefaflia. Les deux dénoncent conjointement des syndicats qui chercheraient moins à soutenir la profession qu’à maintenir le prix de licences au plus haut. Pour Sami Benfers l’enjeu n’est donc pas seulement de rendre la profession plus accessible ou de renforcer l’offre. Il s’agit aussi reprendre le contrôle d’un milieu qui semble avoir échappé à la Ville. “Même si les licences peuvent être cédées, elles appartiennent toujours à la collectivité. Les taxis, c’est nous !” affirme-t-il. Dans cette idée, il avait annoncé en juin vouloir créer un opérateur municipal regroupant les taxis marseillais en alternative à Uber. “Mais on ne peut pas les forcer à s’y mettre” reconnaît-il.
Côté Utif et Taxi Radio Marseille (TRM), principale plateforme de taxis de la ville, on assume sans problème ce marché spéculatif. “C’est le système, tout augmente, les prix sont plus chers, les logements sont plus chers. Pourquoi les taxis seraient-ils gratuits ?”, commente Hubert Sellam, président de TRM. Cette posture des organisations masque un fort sentiment d’injustice des chauffeurs ayant dû faire un crédit pour utiliser leur licence face à ceux qui pourraient en bénéficier gratuitement (même avec des licences non-cessibles). “Qu’ils rachètent nos licences 250 000 euros ! Là, je voudrais bien qu’ils en ajoutent”, lâche Arnaud à la gare. Satisfaire tout le monde dans ce double marché paraît mission impossible.
Plaintes et Violences
Rachid Boudjema, dont le syndicat réunit 450 taxis propriétaires et locataires, veut se montrer plus mesuré. Son objectif affiché est d’éviter la “précarisation des taxis”. Il s’oppose à la création d’ADS mais propose de réguler le marché, à l’image de l’encadrement des loyers immobiliers. “Plutôt que de la location gérance, il faut un bail commercial qui permet de limiter l’augmentation du loyer sur x années. Il faut également définir un loyer maximum”, développe-t-il. À l’instar des autres taxis et syndicats, sa dernière recommandation concerne la circulation : “la priorité, c’est de fluidifier la voie publique pour rendre le taxi attractif”.
Le conflit entre propriétaires et locataires continue de donner lieu à de fortes tensions. Au fil des semaines, plusieurs syndicats évoquent des violences verbales et physiques des deux côtés, et certaines ont donné lieu à des plaintes en cours. “Encore ce matin, je me suis embrouillé avec un locataire que j’ai traité de gratteur de licence” nous confesse un chauffeur. D’un côté, les syndicats Utif et STM continuent de se prononcer contre l’action de Sami Benfers, de l’autre LUTM, syndicat des locataires-gérants, pour le soutenir.
Les états généraux des taxis, promis par l’élu pour novembre, promettent donc d’êtres explosifs alors que beaucoup de syndicats et de taxis interrogés regrettent un manque de concertation. Le conseiller municipal dément ce point et dit avoir “de bonnes relations avec tous les syndicats, excepté avec Utif récemment, c’est vrai”. C’est seulement à l’issue de ces états généraux que sera décidée la création ou non de nouvelles ADS ainsi que leur nombre.
Actualisation le 30 juillet 2024 à 11 h 24 : ajout de la mention des plaintes déposées à l’encontre de membres de l’Utif.
Commentaires
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Ha les taxis Marseillais… Avec la problématique des ordures, c’est la deuxième plaie d’Egypte… Véritable serpent de mer des incohérences municipale, incorrigible et profondément imprégné des “mauvaises habitudes” du syndicat maison.
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Le taxi à Marseille : pas étonnant qu’ils aient moins de clients.
Ils sont souvent désagréables, refusent certaines courses quand ça ne les arrangent pas, voire pratique des prix délirants ( 22 euros pour 1,4 km en pleine journée de la préfecture aux Catalans…)
Ils ont à faire face aussi à Uber ( tout aussi cher mais souvent cordial) et aux mobilités douces ( vélos et trottinettes) que les jeunes adorent.
Il faudrait que cette profession se réinvente pour préserver son attractivité. Peut etre aussi une double facturation , d’affaire et de tourisme…
Le marseillais, pauvre, a peu la culture du taxi; et le parisien, touriste, a la culture Uber…
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Tout le monde à Marseille sait que si on veut quelque chose “en affaire” on demande au taxi qui va le chercher chez le docker.
Cette municipalité est quand même hors concours pour ce qui est de s’emparer de PB qui lui peteront à la gueule. Champions olympiques !
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2000 € par mois la location d’une licence cela veut dire que le locataire de la licence doit faire 5000 à 6000 € par mois minimum sans compter le prix de l’essence donc facilement plus de 6000 € par mois
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Bel exemple des ravages du capitalisme sauvage : la licence devient un patrimoine, donc elle acquiert une valeur marchande, donc elle crée une inflation, et au passage une caste de rentiers …
A cela s’ajoute des aspects très variés : la constitution d’une retraite pour les vieux jours, la concurrence sauvage des plateformes ubérisées, la demande fluctuante et … la circulation embouteillée.
Sacré pastis que voilà. Il me semble que le mieux serait de revenir à des principes simples : pas de gros lot à ceux qui ont “hérité” d’une licence pour rien, remboursement -partiel ou total- à ceux qui l’ont payée 250 000€, neutralisation de la hausse du prix d’accès au travail par impossibilité de la revente et de la location des licences, régulation des effectifs et des prix, et inclusion raisonnée du phénomène Uber.
Vaste programme, mais ça mérite d’être pris à bras le corps. Pas pour récolter des voix (on ne peut pas écarter la tentation), mais pour garantir du travail et un service de transport correct en ville.
Allez y le Printemps, montrez ce que vous savez faire, et tâchez de pas glisser cette fois !
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Je ne connais pas bien le sujet des taxis, mais cette affaire de licences ne me paraît pas être un exemple de capitalisme “sauvage”.
En capitalisme sauvage il n’y aurait pas de règle organisant le marché, et donc, en particulier, pas de limite sur le nombre de licences attribuées. Il ne pourrait y avoir de spéculation sur la valeur des licences comme vous le décrivez.
C’est la limitation du nombre de licences, donc précisément une tentative de réglementation du capitalisme qui conduit à la situation décrite.
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Tout a fait d'”accord mais en rendant “propriétaire” le détenteur de la licence, au lieu d’organiser la distribution en fonction des besoins réels (planification), on donne une valeur à cette licence qui va devenir objet de spéculation. Ceci d’autant que le nombre est fixe quelques soit la variation de la demande.
Dans le même genre, les places au port : ceux qui ont une place paie une somme très faible à la collectivité, bien en deçà des coûts réels d’entretien et ils ont tout intérêt à ce que l’on n’augmente pas le nombre de places en cas d’augmentation de la demande car ils peuvent alors la revendre avec un substantiel bénéfice. Ils ont donc intérêt à militer contre l’extension des places.
On a eu cela aussi pour : les pharmacies, les offices notariaux, etc. …. Pour d’autres, comme les opticiens et le médical, c’est la formation qui a longtemps été verrouillée.
Bref c’est davantage des “rentes de situation” que du capitalisme sauvage. Une spécialité française depuis le 16-17e siècle et encore davantage au 18e (vénalité des offices) dont on a du mal à se débarrasser mais qui est battue en brèche, le plus souvent en externe par, entre autres, les lois européennes (libre circulation des travaileurs), les réservations en ligne, le commerce en ligne, … etc qui est lui davantage dans une logique capitaliste.
Malheureusement, la planification n’est plus trop à l’ordre du jour …
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@Syol, sans vouloir me perdre dans la sémantique : ne pas confondre capitalisme et libéralisme. Les deux peuvent être sauvages, mais il s’agit de deux choses différentes, je crois.
La sauvagerie du capital repose sur la possession des outils de production par une minorité (les capitalistes selon tonton Marx, ce que j’appelais une caste). Et cette minorité promeut bel et bien des règles pour protéger sa propriété. Quelque part c’est le cas d’une licence de taxi dès lors qu’elle devient un “bien” possédé par quelqu’un (surtout si on lui a donné gratos et qu’elle vaut 250 000€ après !). Cette sauvagerie peut se décliner par la spéculation, qui donne une valeur factice aux actifs, déconnectée d’une production réelle.
La sauvagerie du libéralisme, plus proche de ce que vous décrivez si l’activité Taxi n’était pas réglementée, est liée à l’absence de régulation dans les échanges ou le travail, le “marché”, comme ils disent. ça, ça concerne plutôt le phénomène Uber, apparu précisément dans le service Taxi.
Mais foin de théorie économique, il reste à instaurer un système juste pour le transport à Marseille …
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@Pascal L, bel éclairage ! Nos post ont été déposés quasi en même temps, je n’aurais probablement rien rajouté si j’avais lu le votre avant. En tous cas, ça illustre bien la complexité de la situation. La justice sociale et l’efficacité du service rendu sont probablement les bonnes boussoles pour trouver une solution. Vazy Sami !
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La situation est plus simple et évite une intellectualisation des faits trop puissante , comme Marseille.
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nouvelles-de-l-eco/les-taxis-les-licences-et-l-etat-7386910
Podcast qui dure 3 minutes , c’est du France Culture , c’est fin cela s’écoute sans faim ou fin , au choix de l’auditeur.
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Ah du temps de Lolo tout était plus simple …
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J ai arrêté de prendre des taxi à marseîle trop aléatoire et impossible à commander à l avance et refuse les courses dites courte sauf à priori celle pour vauban (voir pôlemique avec. Le bus ).et que des dires de l amabilité des chauffeurs .j ai essayé et je suis revenu chez uber malgré les problèmes. La ville pourrait racheter tt les licences et mettre en place une société avec chauffeur employé au mois .
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