L’EMPRISE DE LA VIOLENCE À MARSEILLE
Un homme a été tué par balles dans la nuit du 7 au 8 avril dans le quartier de la Joliette. Encore, dit-on, un crime du narcotrafic. Si l’on rappelle cette histoire aujourd’hui, c’est pour qu’elle ne soit pas oubliée sous le déluge des mots de l’élection et de ceux de l’extrême droite.
Une violence mal combattue
La violence est mal combattue par les autorités, à Marseille. Beaucoup de morts dues au narcobanditisme pourraient être évitées si la police et, d’une manière générale, les institutions chargées de la sécurité urbaine faisaient leur travail convenablement. Si la violence est aussi mal combattue dans une grande ville comme Marseille, de deux choses, l’une : ou la police est incompétente ou elle ne fait pas son travail. Quoi qu’il en soit, la responsabilité de la police est fortement engagée dans les événements liés au narcotrafic et à la violence qu’il engendre. Les violences urbaines ne sont pas des accidents de la vie en ville, il ne s’agit pas de phénomènes liés aux modalités particulières de la vie sociale dans la ville à Marseille, comme d’aucuns voudraient nous le faire croire. Si certaines formes de violence sont propres à la vie urbaine, ce que l’on peut concevoir, la police de la ville est là pour les combattre et mener l’action qu’il faut pour libérer celles et ceux qui vivent dans la ville de la tension, de l’inquiétude, voire de la peur qu’ils éprouvent dans l’espace urbain dans lequel ils vivent. Toutes les fois que, comme dans cette nuit 7 au 8 avril, on peut relever un mort à Marseille, c’est un échec de la police. Il faut donc s’interroger sur ce que représente un tel échec, tenter de le comprendre.
Une violence entretenue
Pour comprendre cette violence, nous sommes devant un choix. Ou nous sommes obligés de constater que la police est incompétente, et il faut mettre en œuvre de nouvelles modalités de la politique de la sécurité à Marseille, ou elle concourt à entretenir la violence des rues de Marseille. Dans les deux cas, la police est devant sa responsabilité et nous devons comprendre ce que signifient les choix de la politique qu’elle engage. Elle peut être incompétente. Peut-être, alors, l’État doit placer aux fonctions de la police marseillaise, à la direction ainsi qu’à toutes les fonctions de la police, des personnes mieux à même de comprendre la persistance et, même, l’aggravation, de la violence à Marseille, pour mieux lutter contre elle. C’est, encore une fois, une question de formation, car les responsables et les acteurs de la police doivent être mieux formés, ou formés de façon spécifique à la situation de la métropole marseillaise. C’est aussi une question d’aptitude à la responsabilité : peut-être les responsables de la police métropolitaine ne se rendent-ils pas vraiment compte de la responsabilité qui est la leur. Cela peut renvoyer aussi à des défauts des l’organisation de la police marseillaise, mais il importe de remédier à de telles insuffisances. Mais peut-être peut-on dire, aussi, la police ne combat-elle pas la violence comme elle le devrait le faire, mais contribue-t-elle à entretenir cette violence, à laisser s’exercer sur la ville une violence qui la soumet à une pression continue, justement pour légitimer une politique autoritaire, à la fois inefficace et dangereuse pour la démocratie. La faiblesse de la police et son inaptitude à libérer la ville de la violence ont peut-être leur place dans la politique marseillaise de la sécurité, et cela depuis longtemps. Sabiani, c’était dans les années trente. À l’époque contemporaine, les autorités chargées de la sécurité se sont succédé à Marseille sans obtenir de résultats probants. Mais peut-être ne s’agit-il pas d’incompétence, mais de choix politiques, d’ailleurs, à cet égard, conscients ou inconscients. C’est que l’entretien de la violence a toujours fait partie, à Marseille comme partout, des caractéristiques du populisme. En menant une politique populiste de la ville, trop faible contre la violence et l’insécurité, les acteurs marseillais de la politique nationale de la sécurité délégitiment la démocratie pour faire reconnaître la nécessité de politiques autoritaires.
Une violence destinée à maintenir et à aggraver les inégalités
Mais il faut aller plus loin. Nous finissons par nous demander si cette violence n’a pas pour but, à Marseille, de maintenir les inégalités entre les quartiers, voire à les aggraver. Une politique laissant la violence continuer à rendre la ville invivable est un peu le complément d’une politique comme celle de l’aménagement d’Euroméditerranée. Ce que ces politiques ont en commun est de chasser de la ville les classes populaires. En laissant se produire à la Joliette le meurtre de la nuit du 7 au 8 avril, attribué au narcotrafic, on entretient la fiction qu’une telle violence est due à l’habitation du quartier par des classes populaires, et on poursuit une politique consistant à vider le quartier de ces habitants pour les remplacer par les classes aisées qui auront accès aux logements prévus par Euroméditerranée. Ce que l’on appelle la « gentrification » du quartier (encore un mot qui n’existe pas en français et qui a été forgé dans cette fausse langue qu’Étiemble appelait le « franglais ») n’est pas autre chose qu’une manière de repousser encore les milieux populaires des quartiers du centre de Marseille pour les exiler dans les périphéries, loin de la culture urbaine, des entreprises de la ville et de ses métiers. La pérennisation de l’insécurité dans les quartiers comme ceux qui sont destinés à faire partie d’Euroméditerranée n’a pas d’autre but que de vider la ville de ses habitantes et des ses habitants de toujours, notamment près du port. Les inégalités sont, ainsi, encore accentuées dans la métropole. On peut comprendre que cette politique d’insécurité est un choix quand on la rapproche de la démolition de la tour de la cité Félix-Pyat (voir les articles de B. Gilles dans Marsactu du 8 avril et du 13 mai 2024) et de l’élaboration d’une « opération d’intérêt national » dépossédant la municipalité de ses pouvoirs à Euroméditerranée pour laisser le champ libre aux pouvoirs nationaux et à l’opération macroniste « Marseille en grand ». Pour mener sa politique comme il l’entend, l’exécutif a besoin de vider le quartier de ses habitants populaires en les éloignant. À moins que, pour être sûr que Marseille devienne, comme les autres grandes villes de notre pays, une ville sans habitants populaires, il n’ait recours à l’inefficacité devant la violence pour faire de Marseille une ville habitée « en grand » par les classes aisées. Les dirigeants de notre pays ne peuvent pas supporter que la deuxième ville de France soit une ville populaire.
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