Dans l’ancien hôtel Univers à Noailles, des habitants pris au piège de l’indignité

Info Marsactu
le 25 Juil 2024
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Suite aux déboires judiciaires de leur ancien logeur Didi Morde Khai, dit le "roi des marchands de sommeil", les habitants de l’hôtel Univers occupent toujours leur chambre dans une précarité extrême. Le propriétaire des murs cherche à les expulser. Le parquet a ouvert une enquête préliminaire pour soumission de personne vulnérable à des conditions d’hébergement indignes.  

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L'entrée, toujours ouverte du 18 rue des Feuillants. (Photo : Myriam Léon)

L'entrée, toujours ouverte du 18 rue des Feuillants. (Photo : Myriam Léon)

“Nous n’avons pas gagné”, déplore Mamadou Sow qui, après une mauvaise nuit, s’est levé tôt pour se rendre au tribunal judiciaire de la caserne du Muy. Le 18 juillet, le juge des contentieux de la protection devait statuer sur un référé d’expulsion du 18 rue des Feuillants à Noailles. “Le propriétaire nous accuse de squatter, alors que nous sommes entrés légalement, mon logeur avait les clés et je payais mon loyer.” Pour preuve, le Guinéen en demande d’asile montre la porte de sa chambre vierge de toute trace d’effraction. Il n’aura pas pu développer ses arguments face à la justice, l’audience a été renvoyée au 17 octobre. Mamadou et ses voisins échappent donc à la rue, pas à des conditions d’hébergement indignes.

Au 18 rue des Feuillants, il n’y a plus d’eau courante depuis début juin. La porte de l’immeuble reste grande ouverte, une règle imposée par les vendeurs de cigarettes qui y ont établi leurs planques et font comme chez eux. Murs éventrés, traces d’humidité, fils électriques apparents, plafond arraché, l’entrée dévastée laisse penser que personne n’habite là. L’escalier branlant jonché de détritus, parfois d’un cadavre de nuisible, donne sur des couloirs aux nombreuses portes, certaines murées. Dans ce chaos demeurent des signes de vie : rallonge électrique filant entre deux portes, poussette, chariots de course, valises…

Officiellement fermé

Officiellement fermé depuis le 6 mai 2024, l’ancien hôtel Univers affiche complet. Pourtant, un arrêté de mise en sécurité procédure urgente, publié le 12 juin, liste de nombreux désordres structurels : toit fuyard, cave inondée aux murs imbibés menaçant les fondations, effondrement partiel de planchers, dégradation importante des descentes d’eau usée, fuites multiples des réseaux d’alimentation d’eau… Cet état des lieux impose une coupure d’eau.

L’entrée détruite. (Photo : Myriam Léon)

Le lieu a longtemps été soumis à la gestion de la sphère Morde Khai Didi, cet intrigant personnage surnommé “le roi des marchands de sommeil”. Un temps propriétaire du fonds de commerce de l’hôtel, il est aujourd’hui visé par une enquête judiciaire à large spectre qui lui a valu de passer de longs mois en détention  provisoire. De fait, l’immeuble souffre d’un manque d’entretien chronique. Depuis septembre 2021, les murs appartiennent à la SCI 18 feuillants gérée par Djilali El Keurti, commerçant et marchand de biens marseillais. Le précédent propriétaire vivait à Miami.

Depuis 1984, les quatre étages sont loués sous bail commercial à usage “d’hôtel de voyageurs”. Le loyer du premier trimestre 2023 se monte à 5700€ TTC, soit 73€ par mois pour chacune des 26 chambres. Pour répondre aux besoins de logement des demandeurs d’asile, l’opérateur de l’État pour l’hébergement d’urgence, le SIAO13 – le service intégré d’accueil et d’insertion pour le département – conventionne le meublé et prend en charge des nuitées comprises entre 21 et 51 euros.

Enquête préliminaire ouverte

En septembre 2023, Morde Khai Didi est mis en examen. Il est notamment suspecté de détournement d’argent public grâce à son business d’hôtels meublés agréés par l’État. Suite à la chute de leur logeur, une trentaine de personnes, trois familles albanaises et de nombreux hommes seuls d’origines subsahariennes, vivent toujours à l’hôtel, mais ne savent plus à qui payer leur chambre. Déjà indignes – dans ces habitats trop petits, pas isolés, sans aération, subissant des dégâts des eaux et des invasions de nuisibles – les conditions de vie des occupants vont encore se dégrader. Après une visite des lieux début juin, le parquet ouvre une enquête préliminaire pour soumission de personnes vulnérables à des conditions d’hébergement indignes.

Le logement où la famille Q. s’entasse depuis des années. (Photo : Myriam Léon)

Au 4e étage, la famille Q. habite depuis sept ans une pièce exigüe encombrée d’un grand lit superposé et d’affaires empilées dans chaque recoin. Assis sur le lit, le couple regarde la télé. Leur fils n’est pas là, mais à deux, la chaleur est déjà oppressante. Dans cet espace confiné tout en longueur, le ventilateur peine à faire circuler l’air émanant d’une fenêtre donnant sur une cour glauque. Le service d’accueil des demandeurs d’asile a orienté la famille vers ce lieu. Après le rejet de leur demande de régularisation, Morde Khai Didi leur propose de garder la chambre. Au 3e et 4e, la présence de ses familles est soulignée par l’encombrement des couloirs où s’entassent les affaires accumulées au fil des années.

“On n’a pas le choix”

Quant aux hommes seuls, ils racontent avoir été rabattus par un certain Ibrahim, homme de main qui logeait sur place et percevait les loyers. Lui ne peut pas témoigner, il a pris la fuite pour échapper à la justice. “Ibrahim m’a trouvé à la gare et m’a dit qu’il connaissait un propriétaire qui louait aux sans papier”, explique Mohammed F., Sénégalais de 25 ans arrivé à Marseille en 2018. D’abord logé près de la gare, il est  “envoyé” rue des Feuillants en 2022. “Tous les 5 du mois, Ibrahim venait avec Baba pour réclamer le loyer. Si tu ne paies pas, ils te jettent dehors”, retrace-t-il. Pour une chambre d’à peine 12 m2, douche et WC compris, il paie 350 euros en liquide. Quand il réclame un reçu, il obtient des railleries : “Tu veux un papier alors que tu n’as pas de papier ?“. Comme chaque interlocuteur dans cet immeuble, Mohammed conclut par un “on n’a pas le choix” fataliste, avant de dévaler les escaliers, chargé de bidons pour se ravitailler au seul robinet de l’immeuble.

Selon les occupants, Djilali El Keurti, le propriétaire met la pression sur ceux qu’il désigne comme des squatteurs. D’autres hommes de main ont commencé par leur offrir une prime au départ : 500 euros. “Ils font la proposition mais disent aussi que de toute façon, ils nous mettront dehors”, raconte Karamo S., qui occupe depuis 2021 une chambre qui tient de la cellule. Elle donne sur cour et est aussi propre qu’étouffante. Avant, il a dormi sous la halle Puget, puis à l’unité d’hébergement d’urgence de la Madrague. “J’ai connu Ibrahim à Vintimille [en Italie, ndlr], il m’a pistonné, précise le Gambien. Depuis six mois, la situation se dégrade. L’entrée a été détruite pour donner l’impression d’un squat. Et maintenant nous n’avons plus d’eau.” Contacté par Marsactu, l’avocat du propriétaire, Michel Labi se refuse à tout commentaire sur l’affaire.

Arrêté municipal

Entre menaces d’expulsion, de coupures d’eau ou d’électricité, seule l’intervention de l’association Réseau hospitalité et de la Fondation abbé Pierre freine les intimidations. De son côté, la Ville de Marseille diligente cinq visites techniques des services de la Ville entre le 6 mars et le 6 juin. C’est la dernière qui impose un arrêté de mise en sécurité, en procédure urgente, et la coupure d’eau générale dans l’immeuble. À la demande de la mairie, le propriétaire installe toutefois un point d’eau et un étais pour soutenir le plafond qui, juste au-dessus, menace de s’effondrer. Mais l’évacuation entraînée par cet arrêté ne concerne que deux chambres.

Un rat mort traîne dans l’escalier encombré d’affaires. (Photo : Myriam Léon)

Joint par Marsactu, le service presse de la Ville l’explique par mail : “Des visites de contrôles du service d’hygiène de l’habitat et travaux d’office, le 17 juin, et du service de sécurité des immeubles, le 18 juin, ont permis de constater l’absence de danger pour les occupants en matière de sécurité (police du maire) et de salubrité (police du préfet). Le service d’hygiène a pu constater de multiples désordres relatifs à la décence des logements, mais le lancement des procédures dépend de la clarification de la légitimité des habitants en matière d’occupation.”

Aujourd’hui, en cas d’évacuation, les occupants risquent de n’avoir d’autres solutions que de recourir à un appel au 115 totalement, totalement saturé. Même s’ils sont de bonne foi et ont payé un loyer, parfois depuis des années, les habitants du 18 rue des Feuillants ne peuvent pas le justifier. L’immeuble n’a pas de boite aux lettres, ils n’ont donc pas de courrier qui prouvent leur vie dans cet endroit. Le logeur a toutefois concédé des quittances aux familles albanaises pour qu’elles puissent inscrire leurs enfants à l’école. Aujourd’hui devenus grands, ils aident leurs parents à comprendre l’accompagnement proposé par des associations spécialisées dans les droits liés à l’habitat. Ils gardent l’espoir de sortir par le haut de ce gourbi. Dans la lutte contre le logement indigne, le 18 rue des feuillants tient du casse tête.

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Commentaires

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  1. LOU GABIAN LOU GABIAN

    Que fait Mr Bompard député du coin pour aider a solutionner cette situation
    Car c ‘est un acteur majeur de la circonscription
    (et son prédécesseur …..)

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  2. julijo julijo

    Et que font donc payan vassal qui ont des responsabilités certaines dans le domaine de la suppression de l’habitat indigne et dans le logement social ?
    Bompard et d’autres députés ont voté contre la loi présenté par le ministre du logement de Macron il y a quelques semaines, et qui (en bref et entre autre) assouplissait les obligations des marchands de sommeil…

    Si tout le monde bossait efficacement et ensemble sur ce dossier ça pourrait très certainement aller beaucoup plus vite

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  3. didier L didier L

    En effet l’intervention du député de la circonscription serait souhaitable .

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  4. Alceste. Alceste.

    Et les z’enfants ,passé la fête, passé le saint.
    Il est élu s’en foutí, son gros problème maintenant son prochain poste de ministre, éventuellement éventuel, et heureusement peu probable.
    Mais comme les autres son petit cas personnel est accessoire , voire résiduel comme dirait l’autre.

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  5. SLM SLM

    Tous les acteurs de l’habitat indigne sont présents sur cette triste carte postale :
    – Migrants sans papiers, à part M. Sow qui s’est vu accorder l’asile, ni ressources suffisantes pour s’établir sur le territoire français.
    – Propriétaires peu scrupuleux qui ont bien compris que l’importation du tiers-monde était un business florissant (si j’étais eux, je voterais LFI, c’est bon pour leurs affaires).
    – Services publics désorganisés et débordés (on n’osera pas dire par quoi).

    A quel moment l’autorité publique va-t-elle être rétablie dans ce pays?

    Et soyons clairs : les extrêmes droites en tout genre, aussi bien leurs programmes que leurs élus, ne sont pas la solution. Seul le pouvoir les intéresse, ce qui est une excellente raison pour ne pas le leur donner.

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