[Suivez le guide] Au cœur de Marseille, une visite sort l’histoire LGBT du placard

Série
par Samy Hage
le 29 Juil 2024
3

Dans ce deuxième épisode de notre série d'été sur les guides touristiques, nous partons au cœur de Marseille, entre la gare Saint-Charles et le cours Julien. Dans ces lieux parmi les plus célèbres de la ville, Ludovic Barbier raconte l'histoire, souvent cachée, de la communauté LGBT marseillaise. Bienvenue au LGBTour.

Ludovic, guide du LGBTour au Cours Julien (Photo: SH)
Ludovic, guide du LGBTour au Cours Julien (Photo: SH)

Ludovic, guide du LGBTour au Cours Julien (Photo: SH)

À 18 heures, le parvis de la gare Saint-Charles manque cruellement d’ombre en ce samedi caniculaire. C’est ici que Ludovic Barbier, T-shirt Freddie Mercury et sac arc-en-ciel, nous accueille pour entamer le LGBTour. Créé en 2023 pour les 30 ans de la première marche des fiertés marseillaise, cette visite guidée retrace l’histoire des minorités sexuelles à travers celle de la ville. Aujourd’hui, quatre touristes venus de Suisse et de Belgique partent pour deux heures de visite.

Sur les escaliers bouillants de la gare, Ludovic raconte la première manifestation marseillaise pour les droits des personnes LGBT qui s’y tient en 1979. “Il n’y avait pas beaucoup de femmes, quelques trans”, explique-t-il, photo à l’appui. Il profite de la hauteur pour montrer le quartier historique du Panier et son voisin “la Fosse”, surnom de l’ancien quartier réservé de Marseille, détruit lors de la Seconde Guerre mondiale. Ce secteur “avec un mélange d’origines et de sexualités, précaire, mais quartier de fête avec beaucoup de prostitution” alimente encore aujourd’hui les fantasmes grâce aux écrits gays précurseurs d’auteurs comme Claude McKay, qui y réside dans les années 1920.

Une histoire cachée

La suite du tour revient sur le déplacement des lieux phares de la communauté qui prolonge celui du centre de la ville vers La Canebière dans la deuxième moitié du XXᵉ siècle. Moins clandestins, ces espaces restent à l’abri des regards : sex-shops, cinémas pornographiques – nombreux autour de la célèbre avenue dans les années 1970 – ou encore des toilettes souterraines devenues la station de métro Noailles. Des lieux quasi exclusivement gays. Ludovic s’attache donc à rappeler le travail des rares associations lesbiennes de l’époque, comme la pionnière Douce-amère, née dans le quartier dans les années 1980.

“Le tour vise à mettre en lumières des figures LGBT oubliées, c’est donc déjà un défi de trouver des informations. C’est encore plus compliqué quand ce sont des femmes”, déplore Ludovic. Pour écrire le tour, il fait alors appelle à la “mémoire vivante” du sujet à Marseille, Christian De Leusse fondateur de l’association Mémoire des sexualités. “Il a été une révélation. C’est aujourd’hui un véritable ami”, poursuit le guide, un brin ému. Avec son aide, l’angle historique de la visite apparaît comme une évidence : “Se concentrer sur les lieux actuels aurait été répétitif et trop vaste entre le Mont-Rose et la Plaine. Là, on a un tour concentré avec des endroits méconnus alors que l’on est dans l’hypercentre.”

Une première création réussie

Guide depuis 10 ans sur des visites plus classiques des principaux monuments marseillais, ce tour est la première création personnelle de Ludovic. “Ça m’a donné envie d’en écrire d’autres. Il faut juste que je trouve le bon sujet”, avance-t-il. Il n’exclut d’ailleurs pas un second tour LGBT : “Avec ce que j’avais, j’aurais pu faire trois tours. Peut-être un jour…” Il faut dire que le tour ne désemplit pas, même après un an d’exploitation, à raison de deux à trois visites par mois : “Chaque date arrive à réunir du monde, celles du mois des fiertés ont même cartonné. La grande majorité des visiteurs sont queers, mais il y a aussi quelques curieux”.  

Saison estivale oblige, les participants du jour sont tous de passage à Marseille. D’habitude, c’est plutôt 50/50 entre Marseillais et touristes”, précise Ludovic. Parmi les visiteurs du jour, un groupe de trois amis de Genève, coutumiers de Marseille. C’est la première fois qu’ils participent à une visite guidée. “C’est pas dans notre habitude, mais on a découvert le tour dans la presse et le concept nous a plu. Marseille a longtemps eu une image en retard sur ces questions, mais j’ai le sentiment que les choses sont en train de changer très vite”, considère David, gérant d’une bibliothèque dans la ville suisse.

Il y a eu des années très dures entre associations avec des guerres d’égos. On a même eu des années avec deux gay pride.

Ludovic Barbier, Guide du LGBTour

Sur cette récente mutation, Ludovic explique que les structures militantes ont longtemps eu du mal à s’entendre. “Il y a eu des années très dures entre associations avec des guerres d’égos. On a même eu des années avec deux gay pride, car ils n’arrivaient pas à s’entendre. Aujourd’hui un collectif gère la marche et arrive à satisfaire tout le monde.” Il n’hésite pas non plus à souligner l’importance des politiques en place : “La ville est actuellement plutôt en faveur de notre communauté, mais sous l’ancienne législature c’était plus difficile de mettre en place des projets sur toute l’année”. L’ouverture du premier centre LGBT de Marseille en décembre dernier concrétise cette nouvelle dynamique. 

La visite remonte la Canebière pour se rendre à la Plaine (Photo: SH)

Le dernier participant, Antoan, artiste Kosovar résidant à Liège, est là pour un projet d’exposition. Il vise à dresser le portrait de communautés LGBT de plusieurs villes dont São Paulo, Tunis, Berlin ou Marseille, donc. “En repérage avant de revenir sur le temps long”, l’artiste trouve que l’éclosion de la communauté LGBT prend du temps dans le sud de la France. “Pour l’instant, j’identifie trois catégories à Marseille : la jeunesse queer au style inspiré de Berlin, je n’arrive pas à cerner s’ils sont accessibles. Ensuite, ceux qui sont sur les applications de rencontre uniquement pour des relations rapides et ceux qui se cachent”, détaille-t-il. Antoan pose alors de nombreuses questions à Ludovic et prend autant de contacts d’associations que possible.

Une communauté enfin visible

Pour conclure le tour, Ludovic balade le groupe entre la Plaine et le cours Julien, cœur battant de la ville, où les lieux LGBT se sont une nouvelle fois déplacés. Cette-fois-ci, de façon plus visible avec des associations, librairies, bars, mais également “la scène des drag queens qui explose en ce moment”. Le symbole de cette évolution est le Boum, bar LGBT au centre du quartier et point de chute de la visite. “C’est un lieu important. Pendant longtemps, on avait beaucoup de lieux gay friendly, mais ce n’étaient pas des bars LGBT. Il a ouvert en novembre 2022 et ça a pris comme une étincelle.” La démonstration d’un véritable besoin, selon lui.

Cette nouvelle étape dans la visibilité des minorités sexuelles ne fait pas oublier à notre guide les menaces qui continuent de peser sur la communauté, dans un contexte de hausse des violences homophobes. Autour d’un verre au Boum pour clore la visite, ce groupe très international s’inquiète du recul des droits LGBT dans différentes régions du monde. Concernant la France, on se réjouit tout de même d’avoir “échappé au pire” en référence à la poussée de l’extrême droite. Hasard du calendrier, la marche des fiertés de Marseille tombait cette année la veille du second tour des législatives anticipées. Dans ce contexte, Ludovic salue le retour d’“une vraie marche militante et politique”, bien dans l’esprit de la manifestation de 1979.

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Commentaires

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  1. kukulkan kukulkan

    merci pour cet article ! qui sait également que Toulon était la capitale gay de l’Europe au début du 20ème siècle ?

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  2. Oreo Oreo

    Bravo à Ludovic qui a un tact et un sourire à désarmer l’homophobe le plus endurci.

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    • julijo julijo

      👍

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