Église Saint-Ferréol, de jeunes migrants attendent “que quelqu’un les aide tout simplement”

Reportage
le 17 Juil 2024
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Depuis samedi 13 juillet, une cinquantaine de jeunes exilés à la rue ont trouvé refuge au sein de l'église Saint-Ferréol, sur le Vieux-Port. Le département, responsable de leur prise en charge, nie le fait qu'ils soient mineurs, même s'ils ont déposé des recours pour faire établir le contraire.

Les jeunes occupent le parvis de l
Les jeunes occupent le parvis de l'église en journée. (Photo : CM)

Les jeunes occupent le parvis de l'église en journée. (Photo : CM)

Quelques briques de jus de fruit, un quatre-quarts, des gobelets de café : malgré ce petit-déjeuner réconfortant, le réveil reste difficile pour la vingtaine de jeunes exilés ayant passé la nuit dans l’église Saint-Ferréol, en face du Vieux-Port. Ce mercredi matin, cela fera quatre nuits qu’ils occupent le lieu de culte, aux côtés de bénévoles des collectifs Sirakadjan et MarseillevsDarmanin. L’objectif : interpeler les pouvoirs publics et réclamer leur mise à l’abri.

Ils étaient une vingtaine à quitter leur squat dans le quartier des Réformés dans la journée du samedi 13 juillet, se sachant menacés d’une expulsion imminente. Rejoints par d’autres jeunes, eux aussi, à la rue ou en hébergement temporaire, ils sont aujourd’hui près de cinquante à passer leurs journées sur le parvis de l’église et leurs nuits dans le bâtiment, avec l’accord du diocèse.

Fatigue, angoisse et dénuement

Si l’ambiance est conviviale, les traits sont tirés, les regards fatigués. “C’est juste pas possible de s’en sortir tout seul, quand on n’a pas de parents, souffle Ibrahim venu de Guinée, 16 ans, casquette vissée sur la tête. Je n’ai personne ici, je veux juste un endroit où dormir.

Dieu merci, des personnes nous aident, nous ramènent à manger. Mais si elles ne le faisaient pas, on fait quoi ? On meurt ?

Moussa

Après trois nuits passées sur le sol de l’église, Abdoulaye s’étire, les yeux encore emplis de sommeil. “Le matin, tout ton corps fait mal. Mais même si c’est dur, c’est toujours mieux que de dormir dehors, ou de se faire agresser.” Arrivé en France il y a un peu plus de quatre mois, le jeune homme a vogué de squat en squat, dormant parfois sur le parvis de la gare Saint-Charles, en compagnie d’autres mineurs isolés. “Là, au moins, je n’ai pas peur, poursuit-il. Mais j’ai besoin de soutien, pour trouver une nouvelle vie.” À sa droite, un casque audio rafistolé de scotch autour du cou, Moussa* est amer : “Dieu merci, des personnes nous aident, nous ramènent à manger. Mais si elles ne le faisaient pas, on fait quoi ? On meurt ?

Tous ces jeunes ont un point commun : ils n’ont pas été reconnus mineurs au terme de leur évaluation par l’Addap 13, l’association qui prend en charge les mineurs isolés pour le compte du département. Considérés comme majeurs, leur responsabilité incombe maintenant à la préfecture, en théorie. Mais tous ont déposé un recours face au juge des enfants. Dans l’attente que leur situation soit réexaminée, le flou demeure, et les jeunes restent sans solution de mise à l’abri.

Contacté par nos confrères de La Marseillaise en début de semaine, le département réfute toute responsabilité en ce qui concerne les jeunes n’ayant pas été reconnus mineurs, qui, selon lui, “ne relèvent plus de la compétence du département, mais de celle de l’État.” Interrogée, la préfecture des Bouches-du-Rhône a assuré être “pleinement mobilisée avec ses partenaires sur cette situation sensible“. Mais, pour l’heure, aucun contact n’a été initié avec les différents collectifs ou même les principaux intéressés.

soutien du diocèse et des collectifs

Pour l’heure, c’est la solidarité qui prend le relais. Certains ramènent de la nourriture, préparent des petits plats, proposent aux jeunes de venir prendre une douche à leur domicile. Sur place, les collectifs distribuent des tracts, réalisent des banderoles, et échangent avec les passants. Le but, “occuper l’espace public, interpeler, rappeler que ces mineurs existent et que personne ne s’en préoccupe”, résume Camille*, membre du collectif Sirakadjan. “Les expulsions ne règlent pas le problème, elles le déplacent, renchérit Ali, une autre bénévole. Il faut à tous ces jeunes un logement digne et durable, quel que soit le pouvoir public. Il faut juste que quelqu’un aide, tout simplement.”

Palliant l’inaction des pouvoirs publics, le diocèse de Marseille a accepté d’accueillir les jeunes exilés en les laissant dormir à l’intérieur de l’église, qui ferme ses portes à 23 heures. “Nous avons décidé de ne jamais appeler la police, déclarait le prêtre Joseph dans La Marseillaise. L’église est un lieu d’accueil, un lieu d’exil pour les nécessiteux.” Une solution qui reste toutefois temporaire, le bâtiment ne disposant ni de douches, ni de sanitaires.

Sous l’œil de l’extrême droite

Si la cohabitation entre les fidèles et les jeunes exilés se passe bien pour le moment, la menace de violences racistes plane de manière latente sur l’occupation pacifique. Dans la journée de dimanche, deux personnes sont venues filmer les lieux, exposant les visages de potentiels mineurs dans une vidéo partagée sur les réseaux sociaux, depuis reprise et diffusée par des comptes d’extrême droite.

La députée Rassemblement National de la 3e circonscription des Bouches-du-Rhône fraîchement réélue, Gisèle Lelouis, l’a elle-même partagée sur X. Fustigeant au passage les “idéologies mortifères” et le “cirque” des associations présentes sur place. “Sous la vidéo, certains commentaires appelaient à monter une équipe pour venir nous déloger”, déplore l’une des bénévoles du collectif Sirakadjan. “Mais on a décidé qu’on ne se laisserait pas intimider. Alors, on essaye d’être nombreux et soudés.” Sur l’édifice, une banderole flotte doucement, à peine dérangée par le vent. Tracé au feutre, on peut y lire : “Nous ne sommes pas un danger. Nous sommes en danger.”

L’église Saint-Ferréol avait déjà été occupée en 2017 durant plusieurs jours, aussi par un collectif de mineurs. Plus récemment, en septembre 2023, des jeunes exilés avaient investi l’église de Notre-Dame-du-Mont. Le jour de la venue du pape François à Marseille, le département avait enclenché leur mise à l’abri. Mais pour les jeunes de l’église Saint-Ferréol, dont la minorité est mise en question, la crise pourrait s’étendre dans le temps.

* Le prénom a été modifié

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Commentaires

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  1. Peuchere Peuchere

    Sujet oh combien complexe car il touche en priorité l’humain mais également la capacité d’accueil ( dans de bonnes conditions) de population exilée.
    Comment rester insensible à cette détresse et comment faire en sorte, en même temps (comme dirait l’autre!) de réguler une situation qui est appelé à s’accroître?
    Les politiques de coopération avec les pays d’Afrique ( il s’agit ici de migrants africains) n’est apparement pas suffisante pour permettre ( au delà des pays en guerre) de maintenir les populations dans leur pays d’origine en apportant des moyens conséquents à leur développement économique et social.
    Fermer les yeux sur ce problème majeur, soit en le niant, soit en prônant à priori le rejet de l’autre, est une erreur majeure.
    Aujourd’hui nous faisons face à des vagues de réfugiés de guerre ou de migrations économiques. Demain, ce seront des déferlantes de migrations climatiques.
    Notre devoir commun est d’aider ces pays a l’adaptation climatique.

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    • LN LN

      Beau discours, bon fond humain, totale logique, tout est bien dit
      Seulement dans le concret, dans la vie réelle c’est le RN qui gagne
      Adieu discours, valeurs, devoir… C’est le RN, un point c’est tout 😞

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Le RN qui, tout en cohérence sur ce sujet (comme sur tant d’autres), est capable à la fois de nier le changement climatique et de s’opposer à l’immigration.

      Evidemment, c’est plus facile de faire de la démagogie que de répondre honnêtement à cette question : quand des zones entières de la planète deviendront inhabitables (ça commence déjà), quelles frontières arrêteront ceux qui les fuiront ?

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  2. Alceste. Alceste.

    Vous ne posez pas la bonne question 8eme.
    Si je suis votre questionnement, il faut s’attendre à potentiellement 200 ou 300 millions de migrants au minimum originaires de l’Afrique subsaharienne sans compter le Maghreb.Pour mémoire la population de l’UE est de 450 millions. Donc un léger problème.
    La bonne question pourrait être comment créer les conditions de maintien en Afrique. ?.
    Peut-être aider les pays septentrionnaux africains à integrer des populations touchées par les changements climatiques.Il.ne faut pas oublier que le sud de l’Europe sera touchée, aussi.Donc quel intérêt à créer des lieux d’accueil dans cette zone.Les pays riches du Golfe ,pays vides pourraient prendre aussi leurs parts.Au lieu de construire des stations de ski ,ils pourraient créer une agriculture avec des agriculteurs africains.
    Mais là se pose dans les deux pistes envisagées des problèmes politiques comme par exemple la réaction de la Tunisie face aux migrant africains dernièrement.
    Compliqué.

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Je sais, Alceste, je sais : il n’y a que vous qui posez les bonnes questions et avez les bonnes réponses. Je n’ai lu que votre première phrase, elle me suffit.

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    • Mireille Urbain Mireille Urbain

      La bonne question est: ‘Comment arrêter le changement climatique, la désertification des sols, la submersion marine et partager l’eau, les terres cultivables ou nécessaires au bétail et les richesses minières dont profitent les Occidentaux, les Chinois, les Russes et les potentats des pays africains avec le soutien des Occidentaux? Oui, depuis que les espèces vivantes, végétales ou animales, humains inclus, elles ont migré pour s’adapter. Personne ne peut arrêter les déplacements, aucune loi, aucun régime xénophobe ou raciste.
      Nous sommes tous des Africains puisque c’est le continent de l’origine humaine. Et si les tests ADN étaient autorisés en France, quelques racistes convaincus découvriraient qu’ils ont des gènes africains, asiatiques, etc. Mais ils crieraient au complot.

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    • SLM SLM

      Efficacité proche d’une OQTF.

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  3. Alceste. Alceste.

    “Le doute est un état mental désagréable, mais la certitude est ridicule” . Disait le retraité de Fernay. Il avait raison

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  4. SLM SLM

    Enième illustration de l’incapacité, ou plutôt de l’incompétence, des responsables publics français à traiter le sujet des mineurs isolés.

    Et quelle faillite intellectuelle de présenter certaines de ces malheureuses personnes comme mineures. Contrairement à ce qu’affirme l’auteur, rien n’est flou. Car au cas où cela lui aurait échappé, les choses sont ici binaires : soit une personne est majeure, soit elle mineure. L’entre deux n’existe pas. On parle bien ici de vérité administrative, pas médicale.

    Ibrahim affirme qu’il a 16 ans. Soit. On suppose qu’il ne peut pas le prouver, faute de papiers d’identité. La procédure prévoit donc dans ce cas qu’une association délégataire du département évalue sa minorité. Et le délégataire a tranché : il est majeur.

    Heureusement la France est un état de droit, imparfait certes, donc la personne en question peut demander à un juge de se prononcer in fine.

    Est-ce que cette procédure de délégation à une association est parfaite? Certainement pas puisqu’il existe manifestement des motifs de contestation.

    Mais en attendant, le département est parfaitement droit dans ses bottes en affirmant que le sort de ces malheureux ne lui incombe pas.

    Maintenant, pourquoi donc donner la parole à Ibrahim (ce qui est très bien) sans avoir retranscrit les propos de l’Addap 13, notamment pour comprendre comment sont évalués les critères de minorité? Un des principes de base du journalisme est quand même d’entendre toutes les parties prenantes. Quant au parti pris journalistique en faveur de ces pauvres personnes, il est le bienvenu mais demande dans ce cas un minimum d’honnêteté intellectuelle. Si l’auteur écrit “Ibrahim venu de Guinée, 16 ans”, on suppose qu’un travail de vérification de son âge a été fait par ce même auteur. Où est-il? A défaut, il aurait fallu écrire “Ibrahim venu de Guinée, qui affirme avoir 16 ans”.

    Je ne saurais suggérer à la rédaction que de prendre un peu de hauteur de vue sur le sujet. Oui ces personnes sont effectivement dans une situation désespérante, oui il est absolument essentiel de les aider, oui cela incombe à la préfecture donc à l’Etat et oui ce même Etat est défaillant. Mais il convient aussi de rappeler ceci : Ibrahim est entré illégalement sur le territoire français, et en “errant de squat en squat”, il a commis plusieurs délits de violation de domicile.

    Et que l’on ne se méprenne pas sur mes propos : ça n’est pas parce qu’une personne mineure est entrée illégalement sur le territoire et a possiblement commis des délits qu’elle ne doit pas être aidée. La loi doit s’appliquer. En l’occurence, ces pauvres personnes doivent être prises en charge par la préfecture (et peut être plus tard par le département si le juge décide qu’elles sont bien mineures).

    Or, et cela l’article le retranscrit bien, la loi ne s’applique pas.

    Et la double incompétence de la France en l’espèce, c’est d’une part qu’elle n’a pas su empêcher une telle situation d’arriver, d’autre part qu’elle n’est pas capable de la gérer une fois que cette même situation est survenue.

    Si la France était à la fois ferme et humaniste, elle contrôlerait ses frontières, déciderait et appliquerait le principe que les demandes d’asile aient lieu avant tout dans les états de départ et que soit traitée comme exception le sort des migrants, mineurs ou non, entrés clandestinement sur le territoire national.

    Au lieu de cela, l’Etat a une fois de plus dilué les responsabilité. Moralité, la France n’est même pas capable d’appliquer les lois qu’elle a elle-même votées et chaque autorité publique se renvoie la balle de la responsabilité. L’Etat est faible face aux plus faibles. C’est pathétique.

    Et ça n’est pas la complaisance naïve des médias, dont on ne comprend pas bien à quoi elle sert sinon à se déculpabiliser, qui va faire en sorte de régler le problème, bien au contraire.

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