À Air-Bel, une réunion sur la rénovation de la cité rattrapée par la détresse du quotidien

Reportage
par Samy Hage
le 12 Juil 2024
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La rencontre de mercredi 10 juillet sur le renouvellement urbain de la cité du 11e devait rassurer les locataires, en particulier sur l'épineuse question du relogement. Mais face aux bailleurs, les habitants ont rappelé des problématiques plus immédiates d'insalubrité et de sécurité dans ce quartier prioritaire.

À Air-Bel, une réunion sur la rénovation de la cité rattrapée par la détresse du quotidien
À Air-Bel, une réunion sur la rénovation de la cité rattrapée par la détresse du quotidien

À Air-Bel, une réunion sur la rénovation de la cité rattrapée par la détresse du quotidien

“La réunion de novembre était dans une salle de classe, les trois quarts des gens étaient dehors sans rien entendre”, se remémore un habitant. Cette fois-ci, ce sont 200 personnes qui attendent sous le préau de l’école de la cité d’Air-Bel (11e arrondissement). Il faut dire que le temps presse. Le projet, très controversé, de réhabilitation du quartier doit être présenté le 17 juillet à l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) afin de valider les 180 millions d’euros de financement, dont 71 millions de l’État.

Et beaucoup se plaignent d’emblée d’avoir appris la réunion par hasard. “Les habitants n’ont pas été mis au courant, c’est grave ! Pas d’affiches, c’est nous qui avons dû les faire” affirme un résident. La maire adjointe chargée de la rénovation urbaine, Samia Ghali, évacue ce premier couac, “il n’y a aucune volonté de cacher quoi que ce soit”.

Malgré plusieurs rencontres, beaucoup s’interrogent encore sur des points clés : la taille des nouveaux bâtiments, les rénovations prévues, le tracé de la nouvelle route et surtout les bâtiments qui seront démolis. C’est le principal point de tension. Le projet prévoit la destruction d’immeubles pour faire place à une nouvelle voie publique, visant à désenclaver la cité et ses allées labyrinthiques. “Ça fait trois ans qu’on ne sait pas si on va être relogés. Ma mère vit ici depuis 45 ans. Il y a 6 000 habitants, mais on connait tout le monde ici” s’émeut un jeune homme. Une résidente concernée par la démolition, résume l’incompréhension générale : “Nos bâtiments ne sont pas insalubres. Par contre, on a des bâtiments qui menacent de s’effondrer, des familles qui veulent partir, mais ce ne sont pas ces bâtiments que l’on détruit.”

Face à ces questionnements, le préfet délégué pour l’égalité des chances, Baptiste Rolland, veut “rassurer en donnant les bonnes informations”. La présentation qui suit tente de donner envie à coup d’images de synthèses du futur parc de quatre hectares, de l’allée piétonne et des 941 logements réhabilités. Sur la question des démolitions, dont le nombre avait déjà été réduit en janvier, 169 logements sont finalement concernés, “le strict mimimum” selon Samia Ghali. Un petit livret détaille les bâtiments concernés. Leurs résidents auront droit à un entretien individuel pour établir leurs besoins et envies (taille du nouveau logement, quartier) et recevront ensuite jusqu’à trois propositions. Ceux qui souhaitent rester à Air-Bel pourront profiter de la centaine de nouveaux logements sociaux qui seront construits. Mais il faudra bien les reloger provisoirement jusqu’à l’horizon 2030. “Ma voisine vit dans un T7, ils sont 11 enfants. Il n’y aura pas de solutions”, soupire une habitante peu convaincue par la promesse de retrouver un logement sur Air-Bel.

Le quotidien refait surface

À l’issue des 30 minutes de présentations, une séance de questions/réponses démarre. Les esprits s’échauffent alors rapidement et la réalité du quotidien reprend le dessus. Un locataire se lève pour s’emparer du micro : “J’habite ici depuis 45 ans, on n’a jamais vu la cité dans un état aussi déplorable. Les charges augmentent, les loyers augmentent. Pourtant, les travaux sont bâclés, il y a des infiltrations. Les gestionnaires se prennent pour des bandits”. Il retire ses lunettes de soleil pour regarder les bailleurs dans les yeux et continue : “Pour un problème de serrure, il faut presque faire une lettre à Macron ! Soyez professionnels, on demande un peu de respect et de considération comme vous en donnez aux habitants du 8e”. Il est largement applaudi.

“Pour un problème de serrure, il faut presque faire une lettre à Macron !”

Un locataire d’Air Bel

Construite dans les années 70, la cité fait partie des 12 quartiers prioritaires marseillais visés par le Nouveau programme national de rénovation urbaine (NPNRU). Avec la Castellane, la cité devait même être traitée en priorité, puis les choses ont trainé. La présence de légionelle et le combat des locataires pour faire reconnaître les troubles de jouissance en décembre 2023, sont un symbole d’une forme d’abandon de la cité.

Rania Aougaci, représentante de l’amicale des locataires d’Air Bel, veut espérer : “on parle de 180 millions d’euros injectés pour notre territoire. C’est le rattrapage de 25 ans d’abandon. Le changement parfois, c’est bien ! On a sauvé pas mal de démolitions !”. Elle demande ensuite plus d’implication aux habitants : “ce soir il y a du monde, mais nous, les associations, quand on vous demande de venir, il n’y a personne”. Le public s’agace et une personne la coupe en désignant la représentante d’un bailleur : “Ils vous écoutent pas, ça fait 10 minutes qu’elle est sur son téléphone”.

Frustrations

La réunion se termine dans certaine confusion, le temps manque cruellement pour répondre à tout le monde. Une large partie du public cesse d’écouter et discute avec son voisin. Samia Ghali conclut la séquence en promettant une nouvelle réunion “d’urgence” sur la relation entre les habitants et les bailleurs, en septembre. Les échanges se poursuivent alors individuellement avec les élus et les locataires qui ont encore de nombreuses questions. Certains expliquent même ne pas avoir compris si leur bâtiment allait être détruit.

Baptiste Rolland, préfet délégué à l’égalité des chances discute avec les habitants d’Air Bel

Si certains locataires se réjouissent d’avoir enfin “des informations claires” en particulier sur le relogement, la frustration domine. “La destruction, c’est du carbone, la route, c’est du carbone. L’aspect écologique a été complètement oublié”, expliquent des habitants qui ne comprennent pas l’utilité même de la nouvelle route. “C’est ultra brutal, on reçoit beaucoup d’informations d’un coup sans concertation. On ne sait pas quoi répondre après”, regrette l’un d’eux qui aurait aimé discuter d’un tracé alternatif, évitant la destruction des bâtiments. C’est un des aspects de la rénovation qui a suscité le plus de controverses, et amené à tout remettre à plat il y a quelques mois.

Interrogé sur ce point, le préfet délégué pour l’égalité des chances, Baptiste Rolland, considère que  “cette solution est possible, mais des gens auraient une route sous leur fenêtre”. Sur la nécessité de l’infrastructure, il justifie : “Les quartiers construits à cette époque sont renfermés sur-eux-mêmes. On s’aperçoit aujourd’hui qu’il faut les aérer. D’un point de vue sécuritaire, avoir une citadelle, ça complique les interventions de police.”  Un argument que certains vivent comme un manque de respect : “On nous parque ici et après on nous accuse d’être communautaires !”

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