Dans les Bouches-du-Rhône, ces candidats RN invisibles et injoignables

Décryptage
le 5 Juil 2024
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Comme ailleurs en France, de nombreux candidats RN des Bouches-du-Rhône sont aux abonnés absents. Derrière les fausses excuses, une réelle stratégie d'évitement de la presse se dessine. Et pose de sérieux problèmes démocratiques.

La siège de la fédération du RN à Castellane, au soir des législatives de juin 2022. (Photo : CMB)
La siège de la fédération du RN à Castellane, au soir des législatives de juin 2022. (Photo : CMB)

La siège de la fédération du RN à Castellane, au soir des législatives de juin 2022. (Photo : CMB)

“On ne connait même pas le son de leur voix”. À quelques jours du second tour des élections législatives, le constat est posé dans la rédaction de Marsactu. Tout comme dans de nombreux autres médias bucco-rhodaniens : beaucoup de candidats du Rassemblement national sont aux abonnés absents. Les interviewer en direct, organiser des débats, les suivre en campagne, voire tout simplement, les joindre par téléphone est devenu pour les journalistes une mission quasi impossible. “Nous n’avons pas pu réaliser un seul débat avec un candidat RN, que ce soit avant le premier tour ou le deuxième, confirme Julien Desvages, chef de bureau de BFM Marseille Provence. La raison invoquée officiellement, c’est l’absence de temps ou le fait de privilégier la campagne sur le terrain.” 

Même son de cloche du côté de France Bleu Provence. “Tout a commencé le lundi 17 juin, le premier jour de la campagne. Ce matin-là, on devait avoir le député sortant de la 16e, Emmanuel Taché de la Pagerie, raconte Frédéric Chapuis, rédacteur en chef de l’antenne locale. On avait calé ça le vendredi, mais le dimanche soir, on nous appelle pour nous dire qu’il a un rendez-vous de dernière minute et qu’il ne sera pas là.” Planté la veille pour le lendemain matin, le journaliste cherche alors des solutions, en vain.“On a des moyens techniques qui permettent de faire par téléphone. Ça ne prend que quelques minutes. Pour moi, c’est un prétexte fallacieux.” 

Consigne nationale ?

Au fil de la campagne, poursuit Frédéric Chapuis, les choses ne se sont pas vraiment arrangées. “On a fait notre travail, on a sollicité Gisèle Lelouis, Monique Grisetti, Olivier Rioult, Joëlle Mélin… À chaque fois, on nous dit que ce n’est pas possible, et on nous oriente vers les cadres du parti. Donc, localement, Franck Allisio. Mais il est hors de question que l’on devienne radio Allisio.” Chez BFM Marseille, on n’a même pas eu cette chance. “Le seul qui accepte de débattre, c’est Franck Allisio. Mais au vu de son agenda, ce n’était pas possible”, abonde Julien Desvages.

Dans un article paru le 19 juin, France 3 Provence Alpes détaille ce traitement de la presse par Rassemblement national. “Le parti d’extrême droite refuse de participer aux débats qui étaient prévus pour les 1e, 2e et 7e circonscriptions des Bouches-du-Rhône par France 3 Provence-Alpes”, peut-on y lire. Pour Thierry Bezer, le présentateur phare de la chaîne, il s’agit là d’une “stratégie de l’évitement”. Idem pour le chef de bureau de BFM Marseille, pour qui “la consigne a été donné de ne pas faire de débat. Et même au-delà de ça, nous n’avons pas pu interroger beaucoup de candidats.” “Il y a clairement eu une consigne du national de faire preuve de sobriété médiatique”, assure également Frédéric Chapuis. Ailleurs en France, le schéma semble en effet se répéter.

Nous avons l’obligation de respecter un certain temps de parole par partis et cela nous handicape.

Julien Desvages, BFM Marseille

Pourtant, au sein de la fédération locale, on nie une stratégie de parti. “Il n’y a pas de consigne. On laisse à chacun le choix”, justifie-t-on avant de poursuivre : “mais dans cette campagne éclair, les candidats privilégient le terrain et préfèrent laisser la parole publique à Marine Le Pen, Jordan Bardella et les porte-paroles locaux, dont fait partie Franck Allisio.” Pas de consigne, mais une stratégie respectée par presque tous, donc. Et qui pose, outre un problème de démocratie, des problèmes très concrets aux médias de l’audiovisuel.

“Nous avons l’obligation de respecter un certain temps de parole par partis et cela nous handicape. Nous devons donc justifier auprès de l’Arcom [Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique] que nous avons bien fait notre travail, pour les inviter, les relancer”, détaille Julien Desvages pour BFM Marseille. Dans une autre rédaction, on rapporte les propos du chargé de communication de la fédération RN du 13 : “Sur le ton de la rigolade, il m’a dit : « vous n’avez qu’à annuler les autres candidats ».

Chats, souris et poulet rôti

En allant chercher directement les candidats RN, la presse ne se confronte pas moins à un mur. Le soir du premier tour des législatives, devant le local de la fédération RN des Bouches-du-Rhône place Castellane à Marseille, la communication a été très difficile. Hormis Franck Allisio qui a accepté de prendre quelques minutes pour commenter les résultats, les autres candidats présents – Franck Liquori, Aurélie Quiquis, Arezki Selloum, Olivier Fayssat – ont joué au chat et à la souris. Non invités à rentrer, les journalistes, dont Marsactu, ont fait le pied de grue devant la porte pendant près de deux heures, se voyant systématiquement refuser toute prise de parole à chaque entrée ou sortie d’un candidat.

Autre exemple : dans une énième tentative, les journalistes de Libération à Marseille racontent dans un article paru ce jeudi, comment ils ont tout tenté pour échanger avec Monique Grisetti, candidate dans la 1ʳᵉ circonscription. Mais sur le marché de Saint-Barnabé (12e), ils se sont adonnés au même jeu de cache-cache. Cette dernière a refusé de répondre à leurs questions avant de filer acheter son poulet rôti.

Outre les “fausses excuses”, comment les candidats RN et leur entourage justifient-ils cette stratégie de l’évitement ? Le soir du premier tour, un adjoint à la mairie de Marignane, soutien de Franck Allisio, glissait ainsi à l’un de nos journalistes : “Quand on parle au diable, on le fait avec une longue cuillère”. En adaptant le dicton populaire selon lequel “diner avec le diable”, c’est accepter de fréquenter quelqu’un que l’on estime représenter le mal, donc, en l’occurrence Marsactu. “Vous n’êtes pas tout à fait le diable, mais je préfère quand même garder mes distances…”

“Marine Le Pen est intransigeante”

Si certains candidats RN n’ont jamais permis à Marsactu d’entendre le son de leur voix (Gisèle Lelouis, Monique Grisetti ou Olivier Rioult), quelques-uns, plus rares, semblent bénéficier d’un droit de parole, ou en tout cas, se le sont arrogés. Ils se comptent sur les doigts de la main : Hervé Fabre Aubrespy (11e circonscription), Emmanuel Fouquart (13e) ou encore José Gonzalez (10e). Des personnalités peut-être ancrées dans le paysage politique de plus longue date. Ces deux derniers ont même accepté d’être suivis en campagne. Contacté après la publication du reportage lors duquel il a déclaré au sujet de son parti “on n’arrive plus avec la croix gammée”, José Gonzalez répond toujours bien volontiers aux questions de Marsactu.

Ils ont peur que leur propos soient déformés. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais il y a une cabale dans les médias contre nous.

José Gonzalez, député RN sortant

Si lui n’est pas réfractaire à la presse, il analyse le refus de communiquer de la part de ses collègues ainsi : “ce sont des candidats qui ne sont pas entraînés, qui n’ont pas l’habitude d’être exposés. Ils ont peur que leur propos soient déformés. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais il y a une cabale dans les médias contre nous”, tente José Gonzalez, qui imagine ses collègues également “timides”. Un drôle d’argumentaire pour parler de personnes candidates pour siéger à l’Assemblée nationale. Certains des plus silencieux sont parfois d’ailleurs déjà élus depuis plusieurs années. C’est le cas par exemple de Gisèle Lelouis, conseillère municipale à Marseille depuis 2014 et députée depuis 2022.

Marsactu a également réussi à joindre Olivier Fayssat, candidat dans la 6e circonscription. Issu du parti  Les Républicains, ce Ciottiste est sur le même registre, celui du complot de la presse contre son nouveau camp. “On a un peu l’impression que les médias, c’est comme la météo. On nous dit qu’il pleut et quand on ouvre la fenêtre, il fait beau. Et puis, aujourd’hui, il y a les réseaux sociaux sur lesquels on peut communiquer.” En effetdes candidats très silencieux dans la presse comme Emmanuel Taché de la Pagerie à Arles ou Gisèle Lelouis ne manquent pas de poster des photos et vidéos une à plusieurs fois par jour sur les réseaux.

Reste que leurs discours ne s’éloignent pas des fondamentaux du parti : “Ce n’est pas la personne qui compte mais le programme du RN. Et si quelqu’un sort de la ligne, il se fait rattraper par Marine Le Pen. Elle est intransigeante et sanctionne le moindre faux pas de celui qui sort du bon sens, ou si on détecte un passé douteux”, finit par lâcher José Gonzalez. Intransigeance et silence, tout un programme pour la démocratie.

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Commentaires

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  1. vékiya vékiya

    vu le niveau ils ont raison de se taire.

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  2. Forza Forza

    Marine LP a au moins compris ça : quelques semaines de média-training, ça va pas suffire à ses candidats – deux ou trois vieux briscards, courtiers en prêts ou spécialistes de Tik-Tok feront l’affaire :p
    Et merci à @Violette et à toute la rédac de nous arracher malgré tout quelques sourires au fil de vos reportages de terrain tellement essentiels, dans cette période de grand n’importe quoi.

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  3. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Il y a environ une centaine – le nombre augmente tous les jours – de candidat•es RN, supposé•es être l’élite du parti, qui ont été épinglé•es pour leurs exploits passés (propos racistes, homophobes, antisémites, suprémacistes, voire faits de violence), et ont du mal à policer leur discours devant un micro : il est plus prudent qu’ils gardent le silence. De toute façon, dans le contexte actuel, même un tabouret portant une étiquette RN aurait obtenu 30 % des voix.

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    • julijo julijo

      Il semble qu’ils soient 180 environ candidats douteux pour le RN…
      Ça rappelle un peu en 1981 aux législatives ou le PS pouvait aligner n’importe quelle chèvre et elle était élue !

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    • Thauvinus Thauvinus

      Ou plus récemment, avec En Marche

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  4. didier L didier L

    Le tour de force de Macron et de ses amis est d’avoir en 7 ans perdus toute credibilité ( manque d’empathie, cynisme, ( du travail de l’autre côté de la rue ) ego démesuré, mépris d’un premier de cordée voué à la chute etc …) et d’avoir fait en sorte qu’un mannequin en cire qui se presénterait aux législatives au nom du RN ferait 45% dans bon nombre de circonscriptions. Les Lepen l’on compris et comme globalement les média ne les aiment pas trop … c silence radio dans les rangs. C’est tragique mais c’est la réalité. Dans 30 ans les analystes feront le bilan …

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    • RML RML

      Vous donnez un pouvoir délirant aux macronistes lol. Franchement je trouve que ça en devient ridicule et ça permet bien à tout le monde de se dédouaner de ses propres responsabilités.
      Dans 30 ans les analystes feront le bilan en effet…

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      Les macronistes, ça n’existe pas. Comme le LFI et le RN, Renaissance est un parti autoritariste rassemblant autour d’une personne et de ses idées. Le macronisme, c’est Mr Macron et seulement lui. Dans la 5° république, le Président de la République a de très grands pouvoirs. On ne peut pas vraiment dire que Mr Macron (et ses “collaborateurs”, ministres et députés) ait franchement utilisé la voie démocratique pour gouverner. Les conclusions des diverses conventions citoyennes initiées par lui ont été balayées d’un revers de main ou simplement enterrées, le Parlement a été muselé à coups de 49.3, les mouvements sociaux ignorés voire méprisés (gilets jaunes, manifestations,etc).

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  5. Alceste. Alceste.

    Michel Rocard,ce grand facho selon vos critères a utilisé 28 fois le 49.3.

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      Voyez-vous, cher Alceste, la façon abusive dont vous déformez le propos et en détournez le sens pour “clouer le bec” d’un commentateur ? Qui a parlé de facho sinon vous? Pourquoi rechercher dans un passé de plus de 30 ans un contre-exemple totalement hors de propos? Ne tombez pas dans la vanité du dernier mot à tout prix, s’il vous plaît.

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  6. Elie Elie

    Normal vu la façon dont les médias fustigent systématiquement et déforment les propos du RN .. les médias n’étaient pas trop présent sur les propos antisemite de la LFI

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    • Andre Andre

      Elle, on en a parlé mais ça n’a pas l’air de beaucoup déranger les supporter de LFI qui s’expriment dans ces colonnes.

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Question de point de vue, sans doute, puisqu’à l’inverse il me semble que les médias se sont acharnés à présenter LFI – dont je ne suis pas sympathisant – comme l’incarnation du diable, et ont fait preuve d’une douce indulgence sur les lacunes abyssales des propositions du RN. Mais il est vrai que l’extrême concentration de la presse française entre les mains de quelques capitaines d’industrie est peu favorable à un biais gauchiste.

      Ceci étant, un propos raciste exprimé par un candidat RN est un propos raciste, point n’est besoin de le “déformer” pour qu’il le devienne.

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  7. Alceste. Alceste.

    Je fais référence à la Constitution .C’est tout.
    Et même si cela date de 30 ans elle est encore là malgré les fantasmes de certains.

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  8. Bernard Honorat Bernard Honorat

    José Gonzalez député de la 10e circonscription des BdR ne répond qu’aux électeurs d’Allauch, les autres ils les ignore. Lors du seul débat où il a participé face à Mme Pourcet-Général et Mme Mesure il a tout le temps approuvé ce que disaient les autres, hochet la tête en ne disant rien de significatif du programme du RN. C’est le plus vieux député à t il encore toute sa tête ? Comme Biden ?

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  9. Alceste. Alceste.

    Pour être complet, c’est vous qui employez le terme de ” museler” concernant le Parlement.,cher Richard Mouren.Les mots ont un sens.

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  10. Andre Andre

    Finalement, à lire les commentaires des uns et des autres depuis une semaine, je trouve que les thuriféraires du NFP sont tellement intolérants, bornés, partisans et, pour tout dire vraiment très c.. , que je me demande si je ne vais pas voter RN 🤣.
    Sans blaguer, dans ma circo, ils m’ont balancé un écologiste. Je ne connais pas le gars mais d’après Marsactu, il n’est pas mal. Cependant, jamais au grand jamais, je ne voterai pour un écolo alors que je suis favorable au nucléaire. En fait, avec leurs unions électorales passées en catastrophe pour sauver leurs sièges, ils réduisent arbitrairement notre choix. En réalité, j’irai à la pêche. J’espère qu’il fera beau car aujourd’hui, c’est pas terrible…

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    • Patafanari Patafanari

      Le piquant de la chose, c’est que les journalistes de Marsactu sont pour la plupart des trentenaires progressistes teinté.es de wokisme qui s’adressent à un lectorat composé majoritairement de gauchistes machinaux de soixante ans, restés coincés dans les années quatre-vingt. D’où une impression presque agréable de flottement , de quasi incommunicabilité réciproque.

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