L’O.M. DANS L’ESPACE PUBLIC MARSEILLAIS UN SIMULACRE D’URBANITÉ
À travers l’information qui lui est consacrée comme à travers ses supporteurs, le club marseillais historique de football a une grande place dans la vie de Marseille. Réfléchissons à la signification de cette importance.
Ce n’est pas le football qui occupe une place dans l’espace public marseillais : ce sont les discours et les supporteurs
Nous n’allons pas parler de football, dans cette chronique, mais d’un club. S’il était question de sport quand on parle de l’O.M. dans le débat public, il ne prendrait pas toute la place qu’il occupe. Il joue un rôle majeur dans la construction contemporaine de l’identité marseillaise parce que ce n’est pas le football qui a ce rôle, mais l’ensemble des pratiques de communication suscitées par le club et son activité. Le sport a, d’ailleurs, toujours eu ce rôle politique du sport dans la cité : donner à la ville un espace de confrontation avec les autres villes ou avec les autres pays, mais aussi donner à celles et ceux qui y habitent l’impression d’une gloire. Les médias en chantant les louanges de l’O.M. et les supporteurs en proclamant leur soutien construisent sa place symbolique dans l’espace public, en mêlant l’attrait pour le sport, l’illusion d’une gloire retrouvée et la manifestation de personnages jouant le rôle de héros à qui s’identifier, tous ensemble, aménagent la place du club dans l’identité imaginaire et symbolique de la ville. On se rend bien compte, ainsi, du rôle acquis par le sport dans l’espace public contemporain, à la fois en raison de l’importance des médias audiovisuels dans notre société (la télévision a construit la place contemporaine du football) et en raison du rôle qui leur est reconnu dans des situations de crise économique et sociale. La complexité de la place de l’O.M. dans la ville se manifeste, au demeurant, dans la situation du Stade, à la périphérie, et, de cette façon, à la fois à l’intérieur de la ville et à l’extérieur, à la frontière de la ville.
L’emprise de l’O.M.
C’est que l’O.M. exerce une véritable emprise sur Marseille, bien au-delà du rôle d’un club sportif. Il s’est construit cette place, à la fois consciemment et inconsciemment, en donnant à celles et à ceux qui vivent à Marseille l’impression de se reconnaître dans les joueurs du club et dans ses actions. S’il peut avoir une telle emprise, c’est qu’il ne s’agit pas d’une autorité ou d’un pouvoir imposé, mais d’une emprise acceptée, intériorisée. Les habitantes et les habitants de la ville se reconnaissent dans le club car ils font de ses matches des occasions de partager sa gloire (ou ses défaites) à la fois avec lui et entre eux. Mais, au-delà, cette emprise nous rappelle que le sport est une véritable médiation. Il ne s’agit pas d’une simple institution, mais on se l’approprie en y trouvant un véritable plaisir, en jouant ou en assistant aux spectacles qu’il donne dans l’espace de la cité, ou même ailleurs. L’emprise de l’O.M. est là : dans cette constante adhésion à son activité par les spectateurs, et, plus encore, par les supporteurs qui le soutiennent en se donnant l’impression, ainsi, de recueillir une partie de ses triomphes ou en lui témoignant leur solidarité dans ses défaites. Mais à cela s’ajoute, bien sûr, une part de l’idéal d’une virilité imaginaire. Le football joue, dans nos sociétés, le rôle qu’ont toujours eu les héros de la guerre ou des épopées, en particulier dans nos cultures patriarcales : manifester l’expérience d’une gloire virile retrouvée.
« Panem et circenses »
Nous sommes dans une vieille histoire. La Grèce de l’Antiquité avait imaginé les « Jeux olympiques », ces manifestations de démonstration de force et de puissance à la gloire des dieux de l’Olympe. Il faudra, d’ailleurs, bien que nous évoquions, dans cette chronique, le rôle que jouent, pour la ville, les épreuves marseillaises des Jeux olympiques de 2024. Quant à l’Antiquité romaine, rappelons-nous la formule « du pain et des jeux ». Cette expression satirique du poète latin Juvénal dénonçait la tendance du peuple romain à ne plus rien exiger d’autre, ce qu’utilisaient les empereurs pour se forger une image positive dans l’opinion. C’est bien le rôle des sports, et, en particulier, du football, dans les médias contemporains. Il s’agit de satisfaire cette ancienne demande qui permet au peuple de se retrouver dans la solidarité exprimée au cours des manifestations sportives. Comme le pain, les jeux du cirque se partageaient entre tous ceux qui y participaient en jouant dans les compétitions ou en y assistant. L’O.M. a retrouvé ce rôle à Marseille, de la même façon que tous les clubs de football dans les villes où ils pratiquent leur activité et la donnent en spectacle. Cette dimension économique du football se manifeste dans ce que l’on appelle le « mercato », ce marché des joueurs dans lequel ceux qui pratiquent ce sport se vendent et s’achètent comme s’ils étaient des esclaves. Mais, en même temps, le panem et circenses signifie bien qu’il ne s’agit pas de pratique active, mais de consommation. Les supporteurs de l’O.M. ne jouent pas : ils consomment le spectacle du football comme ils consomment de quoi se nourrir. Dans l’espace public de la ville, le football est une nourriture sociale et culturelle.
Rapiécer un tissu social déchiré au lieu de le recoudre
On sait que cet accroissement du rôle du football dans la socialisation et dans la construction de l’identité urbaine est d’autant plus important que les villes sont en crise. Quand l’équipe de football de Saint-Étienne, ceux que l’on appelaient « les Verts », a connu son heure de gloire, c’était au moment où la ville connaissait une époque tragique sur le plan de l’emploi et de l’activité économique avec la fermeture de l’entreprise majeure de la ville, Manufrance. Si, de nos jours, l’O.M. a cette emprise sur Marseille, c’est que la ville connaît un déclin économique que la gloire du club de football peut donner l’impression qu’elle contribue à l’enrayer. Mais il s’agit d’une gloire illusoire. Le club de football est, en réalité, une pièce qui permet de donner l’illusion que le tissu social de la ville est recousu, alors qu’il connaît, en réalité, la déchirure de son port, de son activité économique, de son rôle dans la vie sociale de la nation. L’O.M. ne reconstruit pas une ville affaiblie : il lui permet de jouer cette reconstruction. Il s’agit d’un simulacre de gloire citoyenne, de prospérité urbaine, et non d’un développement réel. L’O.M. ne donne à la ville que l’expression d’une identité imaginaire. De même que les joueurs font la gloire de l’O.M. mais que cette gloire est accrue par les supporteurs et les spectateurs, le football ne donne pas à la ville une prospérité réelle mais la fiction d’un développement. Il faut cesser de croire que le football peut réparer le tissu social déchiré de la ville en le recousant : pour cela, il ne faut pas regarder, mais agir, il ne faut pas jouer, ni regarder, mais s’engager.
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