Demandeurs d’asile à la rue, l’incompréhension, la fatigue et la peur
En raison de restrictions budgétaires, de moins en moins de demandeurs d'asile peuvent avoir accès à l'hébergement d'urgence dans le département. Depuis plusieurs semaines, des familles doivent quitter les chambres d'hôtel qu'elles occupaient jusque-là, sans autre option que de dormir à la rue. Nous avons rencontré certaines lors d'une permanence associative.
Demandeurs d’asile à la rue, l’incompréhension, la fatigue et la peur
Rue de la République, une famille d’une douzaine de personnes traîne de grosses valises en regardant le nom des rues, sous le cagnard d’une après-midi de juillet. La petite troupe cherche le local de la Cimade, association d’aide aux étrangers. Une fois le lieu trouvé, ils s’engouffrent avec d’autres derrière une porte vitrée. Cafetières et carafes d’eaux y sont disposées sur quelques tables. Très vite, le doux bruit des ventilateurs n’est plus troublé que par de timides interpellations à l’égard des bénévoles. “Je m’occupe du monsieur et j’arrive”, entend-on répété à intervalles réguliers.
La plupart des familles présentes cette après-midi sont des demandeurs d’asile qui se sont vues refuser l’accès à l’hébergement d’urgence en hôtel. Elles viennent ici en désespoir de cause, face à l’impossibilité pour leurs interlocuteurs habituels – la plateforme asile, la préfecture, l’Office français de l’immigration de l’intégration – de leur procurer un toit. Le délégué national de la Cimade Jean-Pierre Cavalié dénonçait cette situation dans une tribune publiée mardi par Marsactu. Depuis fin avril la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS), un service de l’État, a restreint drastiquement l’accès aux chambres d’hôtels en fixant des critères très précis et met fin à l’hébergement de familles qui y étaient installées. Celles qui s’y trouvent encore découvrent chaque matin si elles pourront y rester un jour, six jours, voire quelques semaines de plus.
Deux mois et demi à l’hôtel puis plus rien
Certaines personnes dans la salle apprennent après quelques coups de fil des bénévoles et l’aide d’un interprète que leur logement est reconduit pour un mois. Mais d’autres n’ont pas eu cette chance et se sont déjà habitués à la rue. Sur le visage d’Adelina (tous les prénoms ont été modifiés), un sourire engageant ne parvient pas à effacer les immenses traces de fatigues autour de ses grands yeux noisette. La trentaine, cette mère de trois enfants, Albanaise, trimbale le petit dernier à son sein, l’allaitant pour tenter de l’endormir enfin.
Adelina est arrivée à Marseille le 11 avril dernier, accompagnée de son mari et de sa belle famille, douze personnes en tout. Ils fuient des rivalités meurtrières par lesquelles plusieurs proches ont été touchés. Dans un anglais simple mais efficace, elle explique qu’ils ont d’abord pu bénéficier de trois chambres d’hôtel durant deux mois et demi. Puis l’hôtelier leur a signifié un matin qu’il fallait partir, que la préfecture ne paierait plus pour eux.
D’après ce qu’elle a compris, la plateforme asile lui aurait proposé un logement en centre d’accueil de demandeur d’asile (CADA) et elle l’aurait refusé. Impossible alors d’avoir une seconde chance. “Pourquoi est-ce que je refuserais un logement ? Il y a eu erreur, ce n’est pas possible”, s’interroge-t-elle avec angoisse. “C’est très très dur, je ne sais pas comment l’expliquer”. Adelina a compté, cette nuit sera la douzième qu’elle passe dehors à dormir dans la gare Saint-Charles, avec notamment un bébé, un enfant épileptique qui supporte très mal la chaleur et une belle-mère diabétique. “Je voudrais seulement une chambre… Je suis très très fatiguée.” Ses appels au 115 sont restés sans suite, le centre d’appel ne s’occupant pas des demandeurs d’asile.
Rassemblés autour d’une grande table ovale, les douze membres de la famille d’Adelina piquent du nez à tour de rôle. Le local de la Cimade semble être leur lieu de répit. Le bruit des tasses de café qui s’entrechoquent les font parfois sursauter. Une de ses belles-sœurs tend un smartphone : elle a pris en photo et en vidéo sa famille dans ses abris de fortune, entassée à l’ombre d’un porche avec leurs valises pour matelas. Sur l’écran elle effleure les images de la grand-mère tentant de trouver le sommeil sur un trottoir en plein soleil. Elle même ne semble pas en revenir.
“Si j’avais su que la France ce serait comme ça…”
Assis un peu plus loin, Edin, un autre Albanais en est à sa cinquième semaine à la rue, avec ses deux enfants et son épouse. Son dossier compliqué en est la raison. “J’ai eu droit à l’hôtel quatre nuits, et puis j’ai donné mon empreinte à la préfecture et là, ils nous ont coupé l’hôtel”, s’insurge-t-il. L’hôtelier lui a de surcroît signifié qu’il avait le droit de recourir à la police s’il s’y opposait. Edin et sa famille sont en effet “dublinés” : ils relèvent de la procédure Dublin, qui veut qu’on ne peut demander l’asile que dans le pays européen dans lequel on a été identifié pour la première fois. Il est venu en France il y a trois mois, mais auparavant, il avait demandé l’asile en Allemagne, où il a été débouté, explique-t-il.
“Si j’avais su que la France ce serait comme ça, je ne serais pas venu”, peste-t-il. Il découvre chaque soir l’horreur de la rue, “la drogue, la violence” et les punaises de lit qui ont attaqué la peau de ses petits à cause d’une couverture qu’il avait trouvée pour eux. Edin peut mesurer le fossé avec l’accueil réservé aux demandeurs d’asile outre-Rhin. “Le jour de mon arrivée, j’avais une place dans un foyer, le lendemain on nous proposait un appartement tout équipé”, se souvient-il, amer. Il y est resté 8 mois.
En attendant, tant que son renvoi vers l’Allemagne ou tout autre pays n’a pas été demandé, Edin et sa famille ont bien droit à un logement, comme tout demandeur d’asile, ainsi que ne cessent de le rappeler les associations, s’appuyant sur une décision du conseil d’Etat qui place le droit au logement au rang des droits fondamentaux. “Les critères de vulnérabilité peuvent être fixés pour donner un ordre de priorité sur les listes d’attente, mais pas pour exclure des personnes des logements auxquels tous ont droit”, précise Benedetta Badii de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociales, présente sur place en renfort. Le cas d’Edin pourrait bien faire partie des recours déposés aujourd’hui contre l’État devant le tribunal administratif pour non-respect du droit fondamental au logement.
“La rue cela fait peur quand on est deux femmes”
Dans un coin de la pièce, une femme aux longs cheveux bruns, la silhouette très fine et la peau très pâle est assise à une table, face à la fenêtre, en silence. Sa fille de 12 ans est assise à côté, une casquette sur ses cheveux blonds, comme prête à partir au centre aéré. Sofia est ukrainienne, divorcée et en quête d’un endroit où retrouver le repos après avoir fui la crise que traverse son pays. “Ma seule famille c’est ma fille”, explique-t-elle en quelques mots de russe à l’interprète. Et hier, Sofia et sa fille ont appris par le gérant de l’hôtel où elles logeaient depuis deux mois qu’il fallait partir. Si la petite avait eu moins de onze ans, une solution aurait pu être trouvée, mais elle est trop grande pour correspondre aux critères de grande vulnérabilité fixés pas la DDCS.
“L’hôtel garde nos bagages pour un mois, c’est déjà bien”, essaye-t-elle de relativiser. Mais la réalité c’est que la mère et la fille ont passé leur première nuit dans les rues de Marseille. “Nous n’avons pas arrêté de marcher pour ne pas nous endormir dehors. La rue, cela fait peur quand on est deux femmes. Mais nous avons essayé de rester à proximité des endroits éclairés”, explique Sofia calmement. Sa fille esquisse un petit sourire aimable, détonnant avec la détresse qu’elle et sa mère ont dû éprouver pendant ces longues heures.
Les bénévoles de la Cimade l’assurent, si ils ne peuvent trouver qu’une chambre de disponible à Marseille ce soir, ce doit être pour Sofia et sa fille. Mais bientôt, les volontaires partiront en vacances. “On aimerait fermer”, reconnaît l’une d’entre eux, en appuyant sur le mot “aimerait”. Mais dans ce local, les souhaits de repos et la réalité vont rarement de pair.
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Je pleure, sans savoir si c’est du sort de ces gens davantage que de ma honte.
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Les bidonvilles que l’on croyait disparus fleurissent dans les lieux les plus sordides et dangereux de Marseille. La misère est présente dans de nombreux quartiers, nous sommes impuissants, nos impôts doivent servir å aider les plus faibles. L’Europe doit trouver une solution, que font nos députés européens, les subventions allouées aux réfugiés ne doivent-elles pas leur permettre de vivre décemment ? Il est temps d’obtenir des comptes sur l’utilisation de nos deniers. Les crédits sont là, pourquoi ne
sont-ils pas versés aux bénéficiaires. On n’a pas å se culpabiliser mais il est temps que les responsables et les coupables de telles maltraitances soient dénoncés. Nous n’avons pas å supporter cette cohabitation que les élus ont laissé perdurer.
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