À l’Estaque, malgré un rappel à l’ordre, la forme 10 pollue toujours la vie des riverains

Décryptage
le 16 Mai 2024
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Depuis des mois, les habitants se plaignent de la pollution et du bruit générés par le chantier naval qui accueille des réparations de grands navires dans le nord de Marseille. En avril, l'entreprise a pris des engagements auprès de l'État, mais aucune amélioration n'est encore visible. Une manifestation a lieu ce jeudi.

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La forme 10, l'une des plus grandes plateformes de réparation navale au monde, crée des nuisances qui impactent les riverains du 16e arrondissement de Marseille. (Photo : OB)

La forme 10, l'une des plus grandes plateformes de réparation navale au monde, crée des nuisances qui impactent les riverains du 16e arrondissement de Marseille. (Photo : OB)

Entre le 9 janvier et le 16 mai de cette année, les riverains de l’Estaque proches des bassins du port n’auront eu aucun répit. Bruit constant, lumière nocturne et pollution atmosphérique : tout semble réuni pour faire vivre un enfer aux voisins de la forme 10, cet immense bassin qui accueille des grands navires en réparation. Après le “Saipem Constellation” resté 4 mois, c’est désormais au tour d’un bateau de croisière du groupe Carnival, arrivé le 1ᵉʳ mai dernier, d’occuper le chantier.

“Je me pose la question de déménager. Ça fait trois mois que je n’ai pas dormi”, admet péniblement Sylvain Poirier, président de l’association Action Environnement Estaque (AEE). Installé depuis 1986, au fil des années, il a assisté à l’évolution de la fréquentation du chantier naval, et surtout de la forme 10. Au départ, seulement des porte-conteneurs. Puis en 2010, l’arrivée des bateaux de croisière, amenant avec eux leurs odeurs de mazout ainsi que de la suie. Le riverain de 66 ans se souvient même d’en avoir trouvé sur le linge.

Après la pollution atmosphérique, c’est la pollution acoustique qui s’ajoute en 2020 avec une nouvelle activité de “refit”, c’est-à-dire la réparation de paquebots, qui demandent davantage de travaux. Depuis, les chantiers sont plus fréquents et plus bruyants, jusqu’à devenir invivables pour ceux qui habitent aux abords. “Le seul moyen que j’ai trouvé, c’est de mettre la radio toute la nuit”, assure Sylvain Poirier. Entre insomnies et acouphènes, il reconnaît ne plus avoir suffisamment “de jus pour le combat” tant il a “mal” et a “la tête qui siffle”. Malgré tout, il participera ce jeudi à la manifestation de riverains prévue à 18 h 30 au niveau du rond-point Fontaine des Tuiles.

Des engagements pris…

Les manifestants seront doublement remontés. Par les nuisances dans leur quotidien d’abord, mais aussi à cause d’engagements qu’ils estiment non-tenus. En effet, suite aux contestations des associations de riverains du littoral nord, une réunion s’est tenue en préfecture le 25 avril 2024. Si les habitants n’étaient pas conviés, les services de l’État, le grand port maritime de Marseille (GPMM) et la société chantier naval de Marseille (CNM) étaient présents pour évoquer spécifiquement cette question des nuisances. Dans une réponse écrite, la préfecture nous indique que “les services de l’État ont demandé avec fermeté une action rapide de CNM”.

Le chantier naval s’est engagé à stopper les travaux bruyants la nuit et les dimanches.

Au terme de cette réunion, le CNM a dû prendre des engagements concrets. Le chantier naval va encadrer les horaires “de décapage de coques et autres activités bruyantes”. Ils auront lieu entre 7 h et 20 h du lundi au vendredi, et le samedi “uniquement après information préalable” du CIQ Estaque Gare, et seront par ailleurs interdits le dimanche. Le CNM devra également “réaliser une campagne de mesures des émissions sonores, via des capteurs” et travailler à la mise en place d’une charte en concertation avec le CIQ Estaque Gare et les habitants riverains. Enfin, les armateurs des navires accueillis seront sensibilisés “afin de limiter les annonces et l’illumination des navires pendant la nuit”“Un arrêté préfectoral complémentaire formalisera ces engagements d’un point de vue règlementaire”, indique l’État.

Le 26 avril, au lendemain de cette réunion, lors de la conférence de presse faisant suite à sa réélection à la tête du conseil de surveillance du GPMM, Christophe Castaner a estimé que le chantier naval avait en effet dépassé les seuils acceptables : “Nous avons eu une réunion en préfecture avec les responsables du CNM. Il s’agissait de rappeler à l’ordre l’entreprise. Il y a eu des travaux à des horaires non acceptables. Nous avons convenu avec l’État des règles plus contraignantes pour limiter les nuisances subies par les riverains.”

… sans effet visible

Mais depuis le 25 avril, selon les habitants, la situation n’a pas changé d’un poil. Ils estiment que la nuit, de 20 h à 7 h tous les jours, les week-ends, et même les jours fériés, les ouvriers ne chôment pas, contrairement aux engagements pris. En témoigne cette vidéo filmée par Patrick Robert, président des CIQ du 16e arrondissement, datée du samedi 1ᵉʳ mai dernier, jour férié. “Il y a des règles à respecter, on ne demande pas que le coq arrête de chanter, mais que le bruit soit normal”, déplore-t-il.

Justine, 31 ans, fait du télétravail depuis chez elle et vit donc avec en permanence. Installée depuis deux ans pile en face de la forme 10, elle raconte que “même avec la fenêtre fermée, on entend les bruits des moteurs.” Depuis sa terrasse située à 850 mètres exactement du chantier, elle aperçoit fréquemment des rejets de fumées noires s’échappant des cheminées comme sur la photo ci-dessous. Le 1ᵉʳ mai, elle a été réveillée en pleine nuit par le vacarme de la zone portuaire, qui a ensuite duré toute la journée. “Je suis jeune propriétaire. Si j’avais su que ça allait devenir comme ça, je n’aurais pas acheté”, regrette-t-elle.

14 avril 2024, vue depuis la mer d’une épaisse fumée noire rejetée par l’un des bateaux de croisière de la forme 10. (Photo : DR)

Après ces nouvelles infractions constatées début mai, l’association Cap au Nord, soutenue par d’autres associations de l’Estaque, a envoyé un courrier au préfet, au président du GPMM et au directeur du CNM. Ils exigent “des mesures concrètes” qui soient “réellement appliquées”.

Les riverains sont soutenus en ce sens par le conseiller départemental de ce canton et adjoint au maire de Marseille, Sébastien Jibrayel. L’élu dénonce une “situation [qui] ne peut plus durer”. Pour lui, l’État doit se montrer plus ferme pour encadrer les engagements pris par le chantier : “Cette charte, je veux qu’elle soit complétée par des arrêtés préfectoraux. Sinon, c’est comme mettre un coup d’épée dans l’eau”. 

“Ce sont les armateurs”

Du côté du CNM, on dit comprendre l’impatience des riverains, tout en assurant que les améliorations sont en cours. Le président du chantier naval, Pierenrico Beraldo, se dit même “optimiste”. “On est en train d’essayer de comprendre la source exacte du bruit. On va essayer de tout faire pour minimiser l’impact”, assure-t-il. Concernant le détail des engagements pris en préfecture, il répond que “certaines activités trop bruyantes comme le décapage de coque a cessé”. Il précise également que la campagne de mise en place de capteurs sonores a démarré.

Concernant les nuisances du 1ᵉʳ mai, il se montre catégorique : Le chantier ne fonctionnait pas le 1ᵉʳ mai”, assure-t-il. Confronté à nos informations à trois reprises, il martèle que ses ouvriers “n’ont pas travaillé”. Et que s’il y a eu du bruit : “ce sont les armateurs”. Comprendre : les engagements ont été pris par sa structure, mais pas par les entreprises et équipages qu’il accueille sur la forme 10.

L’électrification, solution miracle ?

Le président du CNM préfère ne pas s’étendre sur cette question et pointe une autre problématique : “Ce n’est pas tant les armateurs qui font ce qu’ils veulent, le souci. C’est aussi la question d’électrifier les quais”. En effet, aujourd’hui, cette partie du port ne permet pas de “brancher” les navires pour les alimenter lorsqu’ils sont à quai. Grâce à ce procédé, les moteurs ne tournent plus en permanence et les vibrations, le bruit et la pollution sont nettement amoindris. Et notamment les nuisances nocturnes : lorsqu’un navire est en réparation, son équipage vit tout de même à son bord ou dans un autre bateau, qui a donc besoin d’être alimenté, y compris la nuit.

La question de l’électrification des quais, déjà en place pour les ferries vers la Corse, apparaît donc centrale. “À terme, nous souhaitons électrifier la totalité des activités du grand port dans les bassins Est et notamment la forme 10, cela correspond à un investissement de 70 millions supplémentaires”, a rappelé Christophe Castaner le mois dernier. D’ici à 2030, tout navire qui arrive dans le port de Marseille devra être branché. Mais en ce qui concerne les bateaux de croisière en escale et les bateaux en maintenance au chantier naval, aucune date n’est donnée. “On va passer en dernier, d’abord, il y aura les paquebots, ensuite le Mucem, et nous ?”, soupire Patrick Robert, qui se prépare à rappeler les autorités à l’ordre lors de la manifestation de ce jeudi.

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Commentaires

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  1. Pascal L Pascal L

    “Un arrêté préfectoral complémentaire formalisera ces engagements d’un point de vue règlementaire”, indique l’État.

    Si c’est comme l’arrêté 2008253PS du 12 aout 2008 concernant la station de transit de produit pulvérulent (hydroxyde d’aluminum) porte 4, poste 14 : “les déchargements d’alumine sont interdit par vent fort (> à 72 km/h) sauf vent d’est à sud-est …” qui n’a jamais été respecté car aucun contrôle, les riverains ont du soucis à se faire.

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  2. Syol Syol

    “”Au terme de cette réunion, le CNM a dû prendre des engagements concrets. Le chantier naval va encadrer les horaires “de décapage de coques et autres activités bruyantes”. Ils auront lieu entre 7 h et 20 h du lundi au vendredi, et le samedi “uniquement après information préalable” du CIQ Estaque Gare, et seront par ailleurs interdits le dimanche. ”
    J’avoue être un peu perdu : en quoi le CNM devrait-il prendre des engagements, puisque l’arrêté préfectoral sur le bruit du 23 octobre 2012 dit déjà :

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  3. Syol Syol

    “Toute personne utilisant dans le cadre de ses activités professionnelles, à l’intérieur des locaux ou en plein air, sur la voie publique ou dans des propriétés privées, des outils, des équipements ou appareils, de quelque nature qu’ils soient, susceptibles de causer une gêne pour le voisinage en raison de leur intensité sonore ou des vibrations transmises, doit interrompre ces travaux entre 20 heures et 7 heures et toute la journée, des dimanches et jours fériés sauf en cas d’intervention urgente.”
    La seule différence porte sur le samedi.

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  4. Jean-Pierre LA8 Jean-Pierre LA8

    Heurts et violences contre les manifestants à l’Estaque en cette fin d’après-midi.

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  5. Catherine BEJA Catherine BEJA

    Violence inacceptables des dockers cégétistes contre des citoyens qui voulaient manifester pacifiquement. Il y avait des enfants…
    Les autorités ont laissé faire !…
    Les vrai responsables ? L’Etat et les collectivités qui ont laissé se développer une industrie portuaire bien trop proche des habitations ! Une aberration totale !
    Comment ont-ils pu imaginer le développement d’un activité industrielle très bruyante et polluante à300m à peine des premières maisons ! C’est d’une effarante stupidité aux conséquences désastreuses

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    • Fabienne Fabienne

      Peut etre une pratique courante ? Je me souviens des gens disait que le gpmm avait essayé de mobiliser ces casseurs contre les manifestations anti croisières

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  6. barbapapa barbapapa

    Milice portuaire violente, autorités qui laissent faire, situation intolérable

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  7. Marc13016 Marc13016

    Petit retour sur l’histoire, c’est de circonstance en ces temps de cérémonie suite au décès de J.C Gaudin (paix à son âme) :
    G. Defferre, en accédant au pouvoir à Marseille dans les années 50, s’était heurté à la CGT. Il semble qu’il a favorisé la monté de F.O précisément pour contrer cet état dans l’état qu’était la CGT à l’époque. ça a marché dans certains domaines (les services administratifs peut être ?!).
    Mais ça fait beaucoup de petits états tout ça ! Que fait donc l’État, le vrai ?

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