La migrance à Marseille
Ces temps-ci, l’actualité, en France, mais aussi, semble-t-il, dans tous les pays, est dominée par la question de la migrance, qu’il s’agisse des migrants et de leurs parcours pour fuir les pays totalitaires ou les situations économiques de crise, ou des réfugiés qui cherchent à être hébergés dans d’autres pays que le leur, quand celui-ci connaît une situation de crise particulièrement insoutenable. Dans ces conditions, il est important de prendre un peu de recul, afin de mieux comprendre ce qu’est la migrance et ce qu’elle implique, à la fois sur le plan politique et sur le plan de la vie urbaine, en particulier à Marseille.
Nous avions évoqué la culture de la mer à propos de la figure urbaine du ghetto, mais sans doute convient-il d’élargir un peu notre approche et réfléchir à ce que représente la migrance dans la culture d’une ville portuaire comme Marseille.
D’abord, il est important de se rappeler qu’à la fois dans l’histoire et dans la mythologie de cette ville, Marseille, ville de bord de mer, a été fondée par des migrants. En effet, ce sont des Grecs qui instituent la ville de Marseille, la cité qu’ils nomment Massilia, en 2600 avant Jésus-Christ. Ce que nous dit cette histoire, c’est à la fois que cette ville est née de l’étranger, puisque ce sont des Grecs qui l’établissent, et qu’elle représente la migrance dans la culture politique et historique de la France. Tous les ports représentent un peu la migrance dans l’histoire et dans la culture, mais Marseille peut-être un peu plus que les autres, car, comme New York aux Etats-Unis, elle est fondée par des habitants venus de l’étranger.
Ensuite, toujours pour comparer l’expérience de Marseille à celle de New-York, il s’agit de villes dont l’identité est faite de peuples multiples. Il ne s’agit pas seulement de villes qui apportent une culture de l’étranger et de la migrance au pays dans lequel elles se situent : il s’agit de villes qui sont faites d’une multiplicité de peuples, d’une multiplicité de langues, d’une multiplicité de cultures et d’identités différentes – et, parfois, antagonistes. C’est ainsi que Marseille est peuplée de Grecs, bien sûr, puisque sont ses fondateurs, mais aussi d’Italiens, d’Arméniens, d’Algériens, de Tunisiens, et d’une foule d’habitants issus d’autres pays, porteurs de cultures diverses. C’est de cette manière que l’identité urbaine de Marseille ne peut se concevoir en dehors d’une relation forte à l’étranger, à l’autre. Sans doute est-ce ce qui la distingue des autres lieux et des autres villes de la région et ce qui peut expliquer les tensions qui ont pu exister, par exemple, entre Marseille et Aix.
Mais la migrance s’exprime aussi d’autres manières dans la culture marseillaise, et, d’abord, dans la multiplicité des cultures, des religions, des traditions d’architecture et d’aménagement, mais aussi dans la multiplicité des façons de vivre la ville, d’habiter l’espace urbain, de s’installer dans les rues et d’y engager à la fois une politique urbaine et une vie quotidienne faite de traditions et d’usages multiples.
Il n’y a pas une culture marseillaise, ou, plutôt, la culture marseillaise n’est pas une : elle est multiple. En voyant la mer, à Marseille, on devine la présence de l’étranger, et on retrouve la présence de ces identités multiples en parcourant la ville. C’est ce qui fait la richesse de cette ville, car c’est une ville qui, mieux que toute autre en France, est à même d’engager des relations approfondies avec des pays différents et de mettre en relation des cultures multiples.
La migrance se manifeste dans la géographie de cette ville. En effet, si l’on cherche à lire l’espace de la ville et ses aménagements, on voit, d’abord, que Marseille s’est construite autour du port : ce qui figure le centre de la ville, c’est une ouverture sur la mer. La ville n’est pas, à Marseille, au bord de la mer, elle l’entoure, elle l’intègre à son espace et à son paysage ; à Marseille, la ville ne s’est pas construite face à la mer, mais autour d’elle. Par ailleurs, on peut lire la migrance dans d’autres formes de l’espace urbain, et, pour commencer, par ce fait que Marseille est une forme de puzzle de quartiers différents, juxtaposés les uns à côté des autres. C’est pourquoi il st si difficile de concevoir une centralité à Marseille.
C’est aussi ce qui explique l’importance d’une institution culturelle comme le MUCEM, Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, dont le pluriel exprime, dès son nom, la diversité, la multiplicité et les différences des langues, des cultures, des histoires, qui ont façonné cette ville. Situé au bord du port, ce qui, en soi, constitue tout un symbole, ce musée vient dire que la culture de la ville est à la fois culture de l’autre et culture de la diversité.
Enfin, bien sûr, la migrance est présente dans la politique de Marseille et dans son économie. Au-delà même du port, qui constitue une figure majeure de l’économie de cette ville, l’autre, à Marseille, est présent dans la politique de la ville, à la fois comme un des enjeux majeurs des élections municipales et de la politique urbaine, et comme un des enjeux essentiels de l’aménagement urbain et de ce que l’on appelle, ici comme partout en France, la « politique de la ville ».
C’est ce qui fait que, dans le même temps, la migrance est ce qui met Marseille en mesure d’imaginer une nouvelle approche de la politique et de l’identité.
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