Sommée de se mettre en règle, la région supprime une bourse à des étudiants infirmiers
Plus de 500 étudiants infirmiers en reconversion vont voir leurs revenus baisser drastiquement à la rentrée de septembre. Ils ne rentreront plus dans les critères pour accéder à une bourse régionale de 500 euros mensuels. La collectivité explique s'être mise en conformité avec les exigences de France travail.
Une infirmière dans une unité de réanimation à la Timone - (Photo d'illustration : Emilio Guzman)
“Moins 500 € par mois, c’est énorme. C’est un budget course pour une famille. C’est la moitié de mon loyer“, ne décolère pas Estelle*. En reconversion professionnelle pour devenir infirmière, la presque trentenaire s’inquiète de son avenir après la suppression de la bourse régionale d’études dans les filières sanitaires et sociales. Elle prendra effet à la rentrée de septembre 2024. Comme Estelle, plus de 533 étudiants répartis dans 16 instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) n’auront plus accès à cette bourse à l’échelle de l’académie d’Aix-Marseille. Et le décompte n’est pas terminé. Le nombre d’étudiants également concernés sur l’académie de Nice (Var et Alpes-Maritimes) n’est pour le moment pas connu.
Ancienne auxiliaire de puériculture, Estelle, a commencé cette nouvelle formation il y a deux ans. Aujourd’hui, elle jongle entre ses études à l’IFSI de la Capelette à Marseille et sa vie de famille. Elle finance ses études grâce à ses droits au chômage, et plus précisément à l’Allocation d’aide au retour à l’emploi-formation (ARE-F) : 1200 euros par mois pendant 18 mois. À cela, s’ajoute, pour l’instant, la bourse régionale d’études avoisinant les 500 euros, distribuée durant les trois années de formation. Pour sa dernière année d’études en 2024-2025, Estelle ne bénéficiera plus du même versement de France travail, mais d’un revenu de fin de formation (RFF) d’un montant de 723 euros par mois. Qui sera sa seule rentrée d’argent. Depuis l’annonce de la suppression de la bourse régionale, elle réfléchit à toutes les possibilités pour continuer de payer ses frais fixes. L’équation s’avère complexe.
Des publics devenus “non-éligibles”
“Si je prends des gardes en plus, on me baisse mes aides au logement. Il faut donc travailler deux fois plus en termes de volumes horaires. C’est un peu le serpent qui se mord la queue”, expose-t-elle. D’autres envisagent de recourir à un prêt et donc de s’endetter. Face à cette perspective, Émilie, qui travaillait auparavant dans l’architecture, a voulu se reconvertir vers un métier axé sur l’humain et le soin. Contrairement à ce choix de coeur, elle n’admet pas les conditions dans lesquelles les étudiants terminent leurs études.“Tout le monde a compté sur cette bourse. Et aujourd’hui, alors que l’on est en plein milieu de notre cursus, on se fait planter un couteau dans le dos. Il n’y a pas d’autres termes. On est estomaqués”, commente-t-elle.
Rien qu’au sein de l’IFSI de la Capelette, 49 étudiants sont concernés.
Le 17 avril dernier, les étudiants de l’IFSI de la Capelette ont reçu un mail de la région relayé par leur administration indiquant que des publics seront désormais “non-éligibles” à l’attribution de la bourse. À savoir, “les étudiants en parcours partiel dont la durée de formation est inférieure à 70 heures, les demandeurs d’emploi bénéficiant de la rémunération de fin de formation (RFF)”, ainsi que, “les étudiants en apprentissage ou en contrat de professionnalisation.” Sur quelque 500 étudiants infirmiers de cette IFSI de la Capelette, près de 59 sont concernés, dès la rentrée de septembre 2024. Il s’agit essentiellement de ceux en reconversion, qui ont pu ouvrir des droits au chômage avec leurs expériences passées.
Comme de nombreux autres étudiants, Estelle et Émilie ont contacté la région qui a désigné France Travail comme responsable de ce changement de politique. Mais pour les étudiantes, tout le monde a l’air de se renvoyer la balle. Contacté par Marsactu, le conseiller régional Bertrand Mas-Fraissinet, président la commission formations sanitaires et sociales explique qu’il s’agit d’une mise en accord avec la loi : si la région a subitement modifié ses critères d’attribution de la bourse, c’est en raison d’une mise en conformité par rapport à France Travail.
Mise en conformité avec une loi qui ne date pas d’hier
Le conseil régional a pris une délibération en ce sens le 15 décembre 2023. En effet, la rémunération de fin de formation (RFF), délivrée par France Travail, “n’est pas cumulable avec une bourse attribuée sur des critères sociaux”, précise-t-elle. Une règle qui est pourtant loin d’être nouvelle. En retraçant les anciennes délibérations régionales, l’incompatibilité entre le RFF et la bourse apparaissait déjà en 2018. Mais au mois de décembre 2023, le paragraphe traitant du caractère cumulable s’est fait plus précis.
“Ça fait deux ans que nous sommes en délicatesse. En 2021, nous avions déjà eu un rappel par le législateur. En décembre 2023, le rappel a été plus brutal”, nous indique-t-on dans l’entourage de Renaud Muselier, le président de région (Renaissance). Notre interlocuteur nous dit que la région réfléchit à trouver des alternatives pour les étudiants concernés. “La priorité, c’est de maintenir le contrat de confiance avec les étudiants. Il s’agit d’accompagner tous ceux qui ont signé pour un plan d’études soutenu par une bourse”, expose-t-on. Contacté, France Travail a répondu ne pas souhaiter s’exprimer sur le sujet.
On ne l’a pas volé cet argent. Si on nous l’a attribué, c’est en fonction de nos revenus. C’est qu’on en avait besoin
Sarah, 39 ans
En attendant, cette situation met en difficultés des étudiants déjà précarisés et pas toujours bien informés par les institutions. Avant de s’engager dans cette formation en 2022, Sarah, 39 ans, s’était renseignée auprès de France Travail sur les modalités d’aides pour financer ses études. “Je n’allais pas quitter un emploi pour me retrouver le bec dans l’eau”, s’insurge-t-elle. En plus de ses études, Sarah doit subvenir aux besoins de ses trois enfants. 723 euros par mois pour sa dernière année de formation, c’est loin d’être suffisant. “On ne l’a pas volé cet argent. Si on nous l’a attribué, c’est en fonction de nos revenus. C’est qu’on en avait besoin”, considère-t-elle.
“12 % des arrêts de formations sont dus à la précarité”
“Il faut savoir que 12 % des arrêts de formations sont dus à la précarité. Les étudiants ont prévu de faire leurs cursus en ayant ces deux aides”, appuie Pauline Bourdin, la présidente de la Fédération nationale des étudiantes et étudiants en sciences infirmières. L’organisation, qui œuvre pour l’équité financière de tous les étudiants, a prévu de rencontrer la région PACA ainsi que France travail. Pauline Bourdin martèle qu’il serait nécessaire “d’avoir un guichet unique” national. D’une région à l’autre, les disparités sur les critères et les échelons des bourses sont importantes.
En Provence-Alpes-Côte d’Azur, d’autres formations dans le secteur sanitaire et social sont aussi concernées par la fin de ce cumul, notamment les éducateurs de jeunes enfants (DEEJE) qui pourraient toucher le RFF pendant le cours de leur formation. Dans la région, 227 instituts de formation du secteur sanitaire ou du travail social sont agréés par la collectivité. Une pétition, signée par les étudiants des 16 IFSI de l’académie a été lancée et plus de 1300 signatures ont pu être récoltées selon La Marseillaise. La mobilisation des déchus de la bourse ne fait que commencer.
* Le prénom a été modifié
Commentaires
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Donc la Région bleue et bleue marine attribue des bourses hors la loi depuis au moins 2018???
Mais dites moi, ça existe la competence à la Région Paca?
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Toujours fascinant de voir à quel point la droite locale est capable de donner des leçons sans se les appliquer à elle-même. Elle distribue une bourse dont elle sait qu’elle n’a pas de base légale et, simultanément, attaque la Ville de Marseille lorsque celle-ci entend aider les commerçants : https://marsactu.fr/emeutes-muselier-veut-que-la-justice-annule-les-aides-municipales-aux-commerces-pilles/
La paille, la poutre, tout ça.
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Donc l’article tourne autour de la précarité des étudiants mais nous apprend presque à la fin qu’en fait la précarité n’est à l’origine que d’un décrochage sur 10 ! Peut être que l’article pourrait également s’intéresser aux 9 autres cas ?
“Il faut savoir que 12 % des arrêts de formations sont dus à la précarité«
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Application de la loi à géométrie variable par la Région. France Travail a « courageusement »refusé de répondre.
Rigueur soudaine contre les élèves infirmières dont on a tant besoin ; par contre 32 millions envolés au Grand Prix de formule 1 généreusement subventionné par Muselier.
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C’est exactement ça!
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Solidaritntre de comm entre renaissants ?
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On est gouvernés par des cons. Il n’y a rien à rajouter.
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