Des toboggans sur l’Arc pour sauver les anguilles des Sargasses
Venues de la mer des Sargasses où elles naissent, les anguilles européennes remontent les rivières pour passer une partie de leur vie en eau douce avant de faire le voyage retour. Depuis l'étang de Berre, elles tentent ainsi de remonter l'Arc où elles sont bloquées par des ouvrages hydrauliques. Des passes sont en cours d'aménagement pour faciliter la migration de cette espèce en "danger critique d'extinction".
Des toboggans sur l’Arc pour sauver les anguilles des Sargasses
Ours polaire, panda, éléphant des savanes, tortue luth… Si l’anguille européenne est bien moins médiatique que ces espèces, elle est en réalité plus menacée que ces dernières. L’anguilla anguilla est classée “en danger critique d’extinction” dans la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature, la case suivante étant “éteinte dans la nature”. C’est la comparaison qu’utilise le Syndicat intercommunal d’aménagement du bassin de l’Arc (SABA) pour expliquer le travail qu’il réalise pour leur préservation. Thalassothoques, les anguilles grandissent dans l’eau douce et se reproduisent en mer. En somme, elles font l’inverse des saumons qui remontent les rivières pour frayer. En revanche, elles effectuent une des plus grandes migrations chez les poissons. Depuis peu et grâce à des balises Argos, on en sait un peu plus sur leur parcours. Nées dans la mer des Sargasses où les anguilles se reproduisent, dans l’Atlantique Nord, les larves se laissent dériver jusqu’en Méditerranée par le détroit de Gibraltar pendant six à huit mois.
Devenues civelles, elles cherchent des zones de croissance en eau douce. C’est ainsi qu’elles arrivent dans l’étang de Berre. Elles remontent ensuite les cours d’eau, à la recherche du paradis aquatique et les redescendent pour retourner dans l’Atlantique Nord une fois leur maturité sexuelle atteinte. L’Arc, qui traverse d’est en ouest les Bouches-du-Rhône, a toutes les caractéristiques pour faire leur bonheur. Mais impossible pour ces poissons migrateurs de parcourir les 83 kilomètres jusqu’à Pourcieux dans le Var : les anguilles ne sautant pas, elles butent sur les ouvrages humains et l’Arc en est cafi.
Faute d’habitat, leurs effectifs sont en chute libre depuis les années 80, au point d’atteindre un stade critique. Installer des toboggans pour leur permettre d’atteindre leur destination est donc une affaire des plus sérieuses. Leur préservation fait d’ailleurs l’objet d’un “règlement anguille” mis sur pied par la Commission européenne en 2007. Sur l’Arc, des travaux sont prévus sur sept seuils en aval de la rivière, leur permettant, dans l’idéal, de remonter jusqu’à la plaine des Milles et Aix-en-Provence.
Zones de reptation périphériques
L’Arc se jette dans l’étang au niveau d’un hameau. La création d’un bras artificiel a formé une île, peuplée de chevaux de Camargue et de flamants roses. Ce jour-là, des algues marines remontent le cours d’eau. Bientôt, leur décomposition viendra gâcher le charmant paysage. “Des anguilles ? On n’en voit guère mais il y en a deux, trois”, s’étonne un riverain de l’embouchure, surpris de cet intérêt subit pour ces poissons migrateurs. Les pêcheurs de l’étang connaissent pourtant bien l’espèce qui est la seconde la plus pêchée après les muges. Cela représente une grosse centaine de tonnes chaque année. La pratique, réservée aux professionnels, est réglementée par arrêté préfectoral. Dans le cadre du plan de gestion français, une cartographie des cours d’eau et de leurs obstacles pour les anguilles a été effectuée. Compte-tenu de la taille des ouvrages présents sur les fleuves – le Rhône est impraticable pour les anguilles – les actions se concentrent pour la plupart sur les cours d’eau plus modestes. L’Arc, de même qu’une partie de la Touloubre qui prend sa source à Venelles et se jette elle aussi dans l’étang, fait partie des zones d’action prioritaires. Le syndicat intercommunal d’aménagement du bassin qui regroupe 25 communes, doit donc se soucier de la migration des anguilles.
“La première chose, c’était de savoir s’il y avait des anguilles”. Les campagnes de “pêche électrique” réalisées en 2011 ont été fructueuses. Les mesures effectuées sur les poissons prélevés (et relâchés) ont permis de comprendre où étaient les blocages. Maxime Lenne, chargé de mission au Saba, arpente les bords de l’Arc avec un sécateur pour couper les ronces. Rendez-vous est donné entre la Fare-les-Oliviers et Berre-l’Etang, à un endroit où le convoi ITER passe un gué en béton aménagé spécialement dans le lit de la rivière. Derrière le pont en pierre historique qui enjambe la rivière, aujourd’hui hors service, se trouve le premier obstacle. Un seuil barre la rivière, créant une retenue d’eau qui alimente un canal d’irrigation. L’ouvrage est privé, comme la quasi-totalité du cours d’eau. L’installation des toboggans devrait normalement revenir aux propriétaires mais c’est la SABA qui s’en chargera avec un financement pris en charge à hauteur de 80% par l’Agence de l’eau.
Vidéo réalisée par le syndicat intercommunal d’Aménagement du Bassin de l’Arc
Dans le cadre de leur migration le long des rivières, les anguilles doivent être capables de monter et de descendre les ouvrages puisqu’elles remontent les rivières et les redescendent plus tard. Elles rampent sur le côté mais ne sont pas capables de monter des marches. “Elles cherchent des zones de reptation périphériques, des surfaces humides. Nous allons reproduire ces conditions pour qu’elles puissent passer quel que soit le niveau d’eau”, explique Maxime Lenne.
Ce premier seuil ne pose pas tellement de soucis mais il sera aménagé quand même. Un peu plus loin, un second est plus problématique. Une dalle a été posée il y a quelques années en guise de test. Elle est composée de picots en béton, très rapprochés, aujourd’hui recouverts en partie d’algues. Pour les obstacles plus petits sont préférées des dalles en plastique avec des plots plus hauts entre lesquels les anguilles se faufilent. Quand cela est possible, les seuils sont “effacés”, c’est-à-dire supprimés. Cela devrait être le cas pour deux des sept seuils sur lesquels sont prévus des aménagements. Difficulté supplémentaire, les passes à anguille doivent fonctionner quelque soit l’étiage (niveau d’eau) et en ce printemps il est au plus bas.
Usine hydroélectrique et cascade
Le voyage des anguilles devient beaucoup plus compliqué au niveau du seuil du Moulin du Pont entre Coudoux, Velaux et Ventabren. Une double cascade naturelle surmontée d’un seuil très ancien qui barre la rivière. Un obstacle de plusieurs mètres impossible à passer sauf pour les plus agiles ou téméraires. Les résultats des campagnes de pêche l’ont confirmé : les anguilles sont treize fois moins nombreuses après ce point. Installer une passe à anguille s’avère beaucoup plus compliqué sur ce seuil-là, plus naturel qu’artificiel. “C’est un casse-tête, avoue Maxime Lenne. Nous en sommes au stade des études préliminaires”. Pour les trois premiers seuils, plus petits, un appel d’offres est actuellement en cours. Pour celui du Moulin du Pont, il faudra innover, aucun des systèmes existants ne répondant directement au problème. Un contournement, comme cela peut être le cas parfois, serait trop coûteux et compliqué compte-tenu de la configuration du lieu. Les dalles évoquées précédemment ne peuvent pas convenir ni même les systèmes de passe dits en “balais brosse”, avec parfois des bassins de repos, grâce auxquels les anguilles montent et descendent en zig-zag.
Une autre surprise attend les anguilles les plus vaillantes qui ont réussi à passer la double chute : une petite usine hydroélectrique que l’eau traverse. “Nous avons estimé la mortalité à 50% quand l’usine fonctionne mais cette année cela n’a pas été le cas”, explique Maxime Lenne. Il faudra trouver un moyen pour que les anguilles ne se fassent pas hacher menu ou ne restent pas coincées lors de la descente. Mais avant cela, il reste à régler la question de la montée. Sans ce seuil, les anguilles pourraient poursuivre de quelques dizaines de kilomètres leur périple, remonter jusqu’à la plaine des Milles et Aix-en-Provence où se trouve l’obstacle suivant. Aujourd’hui, pour la quasi-totalité, c’est la fin du voyage. Elles restent un temps, grandissent et repartent vers l’Atlantique Nord sans même avoir vu l’aqueduc de Roquefavour.
Commentaires
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
Décidément, de nos jours, migrer est compliqué …. même chez les anguilles l’homme sait barrer la route !
Merci pour ce bel article ; j’en découvre encore sur ma région
Se connecter pour écrire un commentaire.
Une communion d’actions sympathiques et consensuelles propre à sensibiliser concrètement à l’environnement et décrite avec force détails.
Clémentine, merci pour votre article rafraichissant
Se connecter pour écrire un commentaire.
Merci au Saba pour son travail sur le bassin de l’Arc. Merci aux riverains de prendre soin de ce cours d’eau en le laissant vivre sa vie de rivière et pas de canal…
Se connecter pour écrire un commentaire.