Au tribunal, deux policiers défendent la “proportionnalité” de leurs coups de matraque

Actualité
le 29 Mar 2024
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Deux fonctionnaires étaient jugés ce vendredi pour violences à l'encontre d'un couple, lors d'une manifestation non déclarée contre la réforme des retraites à Marseille en mars 2023. La jeune femme avait subi six points de suture à la tête. Le parquet a requis cinq et six mois de sursis.

Capture vidéo montrant les deux policiers mis en cause, le 28 mars 2023 à Marseille. (DR)
Capture vidéo montrant les deux policiers mis en cause, le 28 mars 2023 à Marseille. (DR)

Capture vidéo montrant les deux policiers mis en cause, le 28 mars 2023 à Marseille. (DR)

La scène dure cinq secondes, mais elle a occupé le tribunal correctionnel de Marseille pendant cinq heures ce vendredi 29 mars. Avec une question : les coups de matraques qui se sont abattus sur un jeune couple en marge d’une manifestation non déclarée étaient-ils “légitimes” et “proportionnels“ ? Les faits remontent au 28 mars 2023, lors des mobilisations contre la réforme des retraites. Aux alentours de 22 heures ce soir-là, un petit cortège autonome d’environ 300 personnes s’avance sur le boulevard Charles-Nédelec, qui longe la gare Saint-Charles. Après sommation, les policiers effectuent un premier “bond offensif”. Puis un deuxième. C’est là que le couple est blessé. La femme, le crâne en sang, se verra attribuer cinq jours d’incapacité de travail (ITT).

Quasiment un an jour pour jour après, deux policiers ont dû répondre de violences avec arme et en réunion par personne dépositaire de l’autorité publique. Le soir des faits, ils étaient en poste à la compagnie départementale d’intervention (CDI) et affectés à l’une des deux colonnes chargées de disperser le groupe. La première s’appelait “Alpha”, la seconde, la leur, “Bravo”. Le “bond offensif” opéré par la colonne “Bravo” n’a qu’un seul but : diviser le cortège en deux pour faciliter sa dispersion. Sauf que Marion et Léo*, fuyant le gaz d’une grenade lacrymogène, n’ont d’autre choix que d’avancer vers les policiers.

Les policiers disent y voir un comportement “hostile”. D’où les coups de matraque, que l’on distingue très clairement sur la vidéo qu’un voisin a postée sur le réseau TikTok et que Marsactu republie ici. Mais dans l’immédiat, comme cela arrive régulièrement dans les affaires de ce type, le couple est d’abord embarqué et placé en garde à vue pour “violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique”. Léo, immédiatement amené à Noailles, sera rejoint quelques heures plus tard en cellule par Marion, qui s’est d’abord fait recoudre le crâne à l’hôpital sous escorte policière.

“Quand j’arrive à Noailles, je vois que ma cliente a les cheveux rouges de sang”, se souvient l’avocat du couple, Nicolas Chambardon. Dès le lendemain, le parquet abandonne les poursuites contre le couple. Deux jours plus tard, l’inspection générale de la police nationale (IGPN) est saisie.

Matraque et “barrage ferme”

Ce vendredi, la juge qui préside l’audience, Cécile Pendaries, interroge d’abord les victimes : “selon vous, quand vous voyez les policiers qui arrivent vers vous, ça signifie quoi ?” Réponse de Léo : “je crois que le message est clair, ça signifie que la manifestation est finie. Il y a un gros nuage lacrymogène, et on veut juste rentrer chez nous.” Sur la vidéo TikTok, on aperçoit une dizaine de personnes tentant, comme le couple, de fuir le nuage de gaz, et contraints de se diriger vers la colonne “Bravo”.

Sauf qu’en face, la colonne a “pour ordre de faire un barrage ferme. Un barrage ferme, ça veut dire que personne ne passe ! Je leur ai dit de reculer, ils ont pas écouté, on a dû utiliser nos matraques”, déroule Vincent L., le plus expérimenté des deux prévenus, policier depuis 2007. Vincent L. est toujours en poste à la CDI. Ce n’est pas le cas de son collègue, Guilhem P., qui travaille depuis trois mois à la brigade spécialisée de terrain (BST) de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, “dans les quartiers de reconquête républicaine”, tient-il à préciser. Bientôt, le jeune fonctionnaire espère rejoindre la prestigieuse brigade de recherche et d’intervention (BRI) de Paris. Mais une condamnation sur le casier judiciaire pourrait compromettre ses plans.

Moi, je pense qu’on a bien agi. Et s’ils avaient reculé, ils auraient pas été blessés. C’est leur décision qui a fait cette situation.

Guilhem P., policier

Alors Guilhem P. se défend. “On parle de matraque, mais je voudrais préciser que ce n’est pas exact, c’était un bâton de gomme. C’est très léger, ça peut pas faire vraiment mal, c’est pas du tout comme une matraque télescopique”, plaide-t-il. “On voit que la victime a une plaie à la tête”, rappelle la présidente. “Moi, je ne l’ai pas frappée à la tête”, intervient Vincent L. “Moi non plus, et je pense pas qu’un bâton de gomme puisse faire des dégâts comme ça”, ajoute Guilhem P. En cinq heures de débat, les deux policiers n’ont pas exprimé la moindre remise en question.

Vincent L. assure ne pas contester les blessures des victimes : six points de suture au crâne pour elle, des nombreuses ecchymoses sur le corps pour lui. “On ne conteste pas. Mais quand j’ai percuté monsieur, il a entraîné madame dans sa chute, et j’ai vu son crâne qui frottait le mur, donc ça pourrait expliquer.” Dernière question de la présidente : “quelle analyse vous faites de la situation, a posteriori ?” Réponse de Vincent L., du tac au tac : “quelle analyse ? Qu’il faut écouter les policiers. Je leur ai dit de reculer, ils ont pas écouté, on doit les faire reculer par la force s’il le faut.” Guilhem P. : “moi, je pense qu’on a bien agi. Et s’ils avaient reculé, ils n’auraient pas été blessés. C’est leur décision qui a fait cette situation.”

La “colère légitime” des victimes

La procureure Sylvie Odier intervient : “pourquoi vous mettez un autre coup à monsieur alors qu’il est déjà au sol ? Puis pourquoi vous les interpelez ? L’ordre que vous avez reçu était clair, c’était de disperser.” Guilhem P. explique que pour lui, la violence est caractérisée parce que “monsieur a touché mon bouclier et que le bouclier, c’est le prolongement du policier”. La défense appelle un témoin. Il s’agit du commissaire Philippe Coton, aux ordres sur le terrain ce soir-là. Au visionnage de la vidéo, celui-ci croit pouvoir affirmer qu’au vu de leur comportement, le couple de victimes “avaient pour intention de rester dans la manifestation. Donc les repousser, c’était conforme à ce que j’ai demandé”.

En revanche, commissaire et policiers sont moins affirmatifs lorsque la procureure les interroge sur le procès-verbal d’interpellation des deux victimes. Celui-ci n’a pas été rédigé par les prévenus, ils n’en ont pas l’autorisation lorsqu’ils sont en opération de maintien de l’ordre. C’est donc un troisième gardien de paix qui s’en est chargé. Alors même qu’il n’était pas témoin de la scène. “Pour moi, ça jette un peu le discrédit. Comment on peut avoir confiance ensuite ?”, s’interroge la procureure.

C’est technique et difficile d’établir la proportionnalité du geste. Mais là, c’est trop. C’est too much.

Sylvie Odier, procureure

Dans ses réquisitions, Sylvie Odier évoque le “traumatisme” et la “colère légitime” des victimes. Elle estime que le “bond offensif est aussi légitime”. Mais pas les violences qui s’ensuivent, pour de nombreuses raisons. “Les manifestants ne sont pas hostiles à cet instant, tranche-t-elle. Ce sont les policiers qui vont vers eux, et sans trop d’autorisation, puisque l’ordre était de disperser. Puis, il y a la violence de cette interception.” Avant de requérir cinq mois de sursis pour Vincent L., et six mois de sursis pour Guilhem P. “C’est technique et difficile d’établir la proportionnalité du geste. Mais là, c’est trop. C’est too much. La percussion, la matraque, les coups au sol.”

Du “tir au pigeon”, estime Nicolas Chambardon, l’avocat des victimes. “Ce n’est pas un procès comme un autre. Parce qu’on a le sentiment que les parties civiles sont autant coupables que les prévenus”, plaide-t-il. En défense, deux relaxes sont demandées. Sandrine Pauzano, l’avocate de Vincent L., rappelle que “les policiers se préparent toujours au pire en maintien de l’ordre. Ce qu’ils risquaient, objectivement, c’était d’être pris en étau entre deux bouts de cortège hostiles.” Julie Mulateri, l’avocate de Guilhem P., dépeint son client comme un “policier respectueux”, qu’on est “content de mettre sur la voie publique”, et estime que ses agissements étaient “proportionnels au trouble à faire cesser”.

À cette question, un collègue des deux policiers, interrogé au cours de l’enquête sur les agissements des prévenus, avait amorcé cette réflexion : “pour moi, ça restera toujours proportionné. Mais suis-je objectif ?” Le délibéré est fixé au 31 mai.

*Les prénoms des victimes ont été modifiés à leur demande

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Commentaires

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  1. Richard Mouren Richard Mouren

    Avant la question de la proportionnalité des coups, il y a la question: pourquoi des coups? alors que les personnes frappées étaient en train de partir? Quand on regarde la vidéo, on a bien l’impression que les coups sont complètement gratuits et on ne voit surtout pas la “rebellion violente ” des deux personnes frappées. Ca pose quand même question.

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  2. Richard Mouren Richard Mouren

    J’ai adoré la phrase “….c’était un bâton de gomme. C’est très léger, ça ne peut pas faire vraiment mal, c’est pas du tout comme une matraque télescopique.” Ca ressemble à un gag d’un stand-upper, mais ça fait rire un peu grinçant.

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  3. Patafanari Patafanari

    Emballez, c’est pesé ! Ca fait donc pile un mois de sursis par point de suture.

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  4. Bernard LAMIZET Bernard LAMIZET

    Au tribunal, un des policiers entendus utilise les mots de Zemmour, “reconquête”. La justice est devenue le lieu de diffusion des mots de l’extrême droite ? Que signifie cette expression, “reconquête républicaine” ? La France devient un pays de conquête, un pays en guerre ? La république est en danger, à Bobigny et en Seine-Saint-Denis ? Et si c’était ka police, qui, ainsi, metait en danger le caractère républicain de notre pays en s’attaquant, comme ils ont à en répondre, à la solidarité contre les retraites ?

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  5. vékiya vékiya

    on n’est pas violent avec un bâton de gomme entre les mains voyons. ils resteront dans la police républicaine de macrozy et seront promus sous zemoupen.

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  6. julijo julijo

    au tribunal, ces deux “fdo” exemplaires apparaissent vraiment comme deux pauvres types.
    ils ont reçu des ordres, il fallait disperser à tout prix.
    certain que le gradé qui a décidé de ces ordres n’a pas autorisé ces deux branques décérébrées à taper sur les gens…mais bon, la nature humaine est ainsi faite, ils avaient ce soir là le “pouvoir” ils en ont profité, c’est pas si souvent pour eux.

    que font des individus pareils dans les forces de l’ordre ? pas capables de se retenir, et en plus, plutôt fiers de ce qu’ils ont provoqué. quels sont ces gradés qui les qualifient de : “policier respectueux” ?
    et puis : ” Ce qu’ils risquaient, objectivement, c’était d’être pris en étau entre deux bouts de cortège hostiles” ???? les deux citoyens tabassés avaient des armes ? ils risquaient quoi ????

    l’épisode est affreux, déjà si c’était le seul, ce n’est pas le cas.
    c’est très inquiétant.
    quand on envisage ce procès, on se demande de quoi on parle ?
    qui sont ces gens chargés de nous “protéger” ?

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      qui sont ces gens et comment sont-ils formés????

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