Couvre-feu et drone : un carnaval de la Plaine sous haute surveillance

Un des chars du carnaval de La Plaine 2023. Photo LC

Une course de radeaux pour l’accueil de la “flemme olympique”, un grand bal des “feux olympiques”, des jeux de piste anti-gentrification, un concert puis le défilé suivi du procès du caramantran… Le traditionnel carnaval indépendant de la Plaine tient sa 24ᵉ édition ce week-end du 16 et 17 mars. Un rendez-vous qui, aussitôt le programme dévoilé, se retrouve, une nouvelle fois, au centre des batailles politiques locales. Avec en prime une réponse sécuritaire inédite de la part du préfet de police.

Ce jeudi 14 mars, sur les coups de 11 h 30, trois élus du groupe d’opposition municipale de droite, Une volonté pour Marseille, ouvrent le bal. À l’angle reliant le boulevard Chave et la place Jean-Jaurès (5ᵉ), l’élue LR et présidente de la RTM, Catherine Pila, l’ancien maire des 4/5, Bruno Gilles (Horizons) et le conseiller municipal Jean-Baptiste Rivoallan sont réunis pour une conférence de presse. Leur objectif ? “On veut que la mairie de Marseille se positionne”, annonce clairement celle qui est à la tête de ce groupe.

“Ce carnaval n’est pas un carnaval, mais un rassemblement politique des gens d’extrême gauche. Il faut l’interdire”, estime Jean-Baptiste Rivoallan. “Cela fait trois ans et demi que je demande l’arrêt de ce rassemblement. Malheureusement, sans aucun résultat”, avance l’élu venu en compagnie de son fils car “c’est compliqué de venir jusqu’ici depuis le 8ᵉ et de réussir à se garer”.

J’ai vu le carnaval évoluer et se dégrader. C’était franchement assez rigolo jusqu’en 2021, où 6000 personnes sont venues ici de toute l’Europe.

Bruno Gilles, ex-maire de secteur (Horizons)

La présidente de la RTM, de son côté, se dit “outrée par l’affiche qui promet de mettre le feu et contient un slogan antirépublicain”. Le visuel dont il est question concerne un bal prévu le samedi 16 mars, la veille de la journée de défilé. Le message “Les Feux olympiques”, y est écrit en grand, suivi de “soutien antirep”. Une formulation qui peut aussi signifier “anti-répression”. Mais les trois élus sont formels. Pour eux, ce rassemblement n’amènera “que de la dégradation du mobilier urbain et des échauffourées avec la police”.

“J’ai longtemps été maire du secteur. J’ai vu le carnaval évoluer et se dégrader. C’était franchement assez rigolo jusqu’en 2021, où 6000 personnes sont venues ici de toute l’Europe”, relate de son côté Bruno Gilles. L’élu dénonce à son tour des risques de “débordements et de casses diverses et variées” et annonce que la métropole portera plainte en cas de détérioration de mobilier urbain. L’ancien maire du secteur appelle à son tour la mairie à se positionner et à “siffler la fin”.

Autres voix qui se sont faites entendre en amont du carnaval, celles de collectif des Riverains de la Plaine, en conflit régulier avec les organisateurs de l’événement. Dans un communiqué, le groupe expose son inquiétude et appelle à la fin de l’auto-gestion du carnaval. Les auteurs du texte disent regretter l’époque où le carnaval restait une “fête de quartier. Il est maintenant devenu un événement politisé sur 2 jours, qui dépasse largement les frontières de Marseille et de la France”, écrivent-ils. Selon eux, la réunion se terminera “inexorablement par d’importants affrontements avec les forces de l’ordre”, et causera une longue liste de dégradations et de nuisances. Pour éviter ce scénario, ils invitent les organisateurs à prendre leurs responsabilités. “Nous leur demandons depuis plusieurs années, ainsi qu’aux élus et aux autorités de mettre en place des mesures efficaces de préparation, de prévention, d’encadrement et de réparation. Citoyens et biens publics doivent être protégés et la loi respectée.”

Des mesures préfectorales inédites 

L’encadrement des manifestations ne dépend pas de la municipalité, comme le sous-entendent les élus de droite, mais de l’État. Lequel n’a pas tardé à faire connaître sa position sur le sujet, toujours dans la journée de jeudi. Le nouveau préfet de police des Bouches-du-Rhône, Pierre-Edouard Colliex, a pris plusieurs arrêtés pour encadrer l’événement. Mesure inédite depuis les vingt-quatre ans d’existence du carnaval : interdiction de la poursuite des manifestations à partir de 18 h 30 ce dimanche. Les réjouissances devront donc durer 4 h 30, pas plus. Les carnavalières et carnavaliers qui ne respecteront pas ce couvre-feu risquent une amende de quatrième classe, pouvant aller jusqu’à 750 euros.

Autre mesure prévue ce dimanche, la police pourra enregistrer et transmettre des images captées par un drone. Pierre-Edouard Colliex interdit aussi la vente, aux abords directs de la place Jean-Jaurès, de boissons contenues dans du verre et de boissons alcoolisées à emporter à partir de dimanche 10 h et jusqu’à lundi. Même chose pour l’utilisation, le port et le transport de feux d’artifices, d’armes et de tout objet pouvant constituer une arme par destination.

Si le carnaval s’était bien passé les autres années, on n’aurait pas eu à faire ça.

Roland Cazzola, conseiller municipal à l’espace public

Enfin, les collectivités territoriales sont chargées par la préfecture du retrait de “tout ce qui serait susceptible d’être utilisé comme combustible ou instrument de violences urbaines”. Une demande qui a conduit la Ville à imposer aux bars et restaurants de la place une fermeture des terrasses à partir de 17 h le jour du carnaval. “On est un peu embêtés pour les commerçants parce que c’est l’un de leurs plus gros jours en termes de chiffre d’affaires. Mais on ne peut que se conformer aux recommandations de la préfecture”, expose Roland Cazzola, conseiller municipal délégué à l’espace public. “Si le carnaval s’était bien passé les autres années, on n’aurait pas eu à faire ça”, ajoute-t-il. Pour ce qui est de répondre aux invectives politiques, ni l’adjoint à la sécurité Yannick Ohanessian, ni le maire Benoît Payan n’ont à ce stade pris la parole. “On ne rentre pas dans cette polémique absurde”, balaye Roland Cazzola. On saura dimanche soir si un carnaval sous restrictions est gage d’apaisement.