La cité judiciaire à Euroméditerranée peut-elle réinventer le centre-ville de Marseille ?
Après l'annonce de l'emplacement du projet de construction de la future cité judiciaire dans le quartier Euroméditerranée, Marsactu s’est demandé à quoi pourrait ressembler le futur centre-ville une fois le chantier terminé.
La rue Verneuil, quartier de la Joliette. (Photo : YS)
Les réactions ont été vives à l’annonce du ministre de la Justice en novembre 2023. À l’horizon 2030, tout le petit monde de la justice marseillaise quittera le centre-ville pour rejoindre le périmètre d’aménagement public Euroméditerranée, entre l’entrepôt Sogaris et la cité scolaire internationale. Un projet contre lequel se sont élevés les professionnels du secteur, suivis par les commerçants des alentours de l’actuel palais de justice puis par le maire de Marseille lui-même. Des alertes que le ministère a donc écartées, pour des raisons de budget principalement : construire un tel bâtiment dans le centre représente, explique-t-il,”un chantier trop compliqué et trop onéreux”.
Du cours Pierre-Puget à la Joliette, le centre-ville doit donc s’attendre à une mutation profonde. “Les avocats qui ont pour la majorité leur bureau à proximité du tribunal vont chercher à se rapprocher de leur lieu d’exercice”, estime le bâtonnier de Marseille, Mathieu Jacquier, opposé à ce déménagement. La proximité géographique avec le tribunal est en effet essentielle quand il s’agit d’aller au moins une fois par jour faire une démarche, récupérer un document ou consulter un greffier. Rester dans l’ancien quartier judiciaire ajouterait donc un temps de trajet non négligeable à ces professionnels. Pour la chambre de commerce et d’industrie, le risque est que le centre-ville se vide de tous ses avocats, clients au pouvoir d’achat non négligeable dans un secteur par ailleurs plutôt paupérisé.
Éric Dupond-Moretti avait assuré en novembre dernier sa “ferme résolution de ne pas laisser le centre-ville se dévitaliser”. L’actuel palais Monthyon est pressenti pour devenir une école pour magistrats, greffiers ou avocats. Les deux autres bâtiments, rues Fortia et Autran, pourraient accueillir des activités privées, qui doivent être déterminées. Le déménagement d’absolument tous les avocats n’est par ailleurs pas imaginable. “Une offre suffisante de bureaux pour accueillir les cabinets d’avocats n’existe pas à Euroméditerranée”, déplore le bâtonnier.
Un argument de plus est brandi par les antis, qui montre à quel point le débat est crispé sur cette localisation : le risque de tsunamis. Pour le bâtonnier, le risque de submersion et de tsunami qui plane sur cette future cité judiciaire n’est pas à prendre à la légère.
Les avocats sont attachés à ce centre historique de la ville. Ils perdent le prestige et le capital symbolique de ses bâtiments.
Camille François, sociologue
Si le projet coince, c’est aussi pour des raisons symboliques. “Les avocats sont attachés à ce centre historique de la ville. Ils perdent le prestige et le capital symbolique de ses bâtiments, explique le sociologue Camille François. On les emmène dans un building de verre et de béton à quelques dizaines de minutes de ce centre-ville. Ça va les obliger à prendre la voiture, les tunnels, ou les transports en commun, ce qu’on imagine plus difficilement.”
Les élus écologistes marseillais ont aussi fait connaître leur opposition. Dans une conférence de presse donnée récemment, ils regrettaient que l’emplacement à Euromed ne soit pas plutôt utilisé pour un projet “d’industries low-tech”. “Est-ce que ça a du sens de construire cette skyline et de concentrer l’activité administrative au même endroit ?”, questionnait ainsi Stéphane Coppey. “On aurait dû valoriser les bâtiments déjà existants”, exposait de son côté Sébastien Barles, adjoint au maire délégué à la transition écologique.
Imaginer des compensations
Le choix d’implantation du projet ne convainc pas jusqu’à la présidente d’Euroméditérranée, Laure-Agnès Caradec, qui est également présidente de l’agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise (AGAM) et conseillère municipale LR. “En tant que présidente d’Euroméditerranée, je suis ravie, même si j’aurais préféré au départ que tout ça reste en centre-ville. Sur cet emplacement, ce sera désormais la cité judiciaire mais ça aurait très bien pu être autre chose.”
“Je comprends qu’il y a beaucoup d’inquiétudes qu’en tant qu’élue de la ville de Marseille, je partage. Mais on peut imaginer que les impacts indirects soient nettement limités si on offre des options alternatives pour maintenir la dynamique et l’attractivité du centre-ville” développe-t-elle. Laure-Agnès Caradec évoque par exemple la mise en place d’une zone franche à l’échelle du centre-ville. Des mesures d’accompagnement indispensables selon elle qui pourront, elle l’espère, être soutenues par l’État. La présidente d’Euromediterranée aura l’occasion d’en discuter avec les différents acteurs à l’occasion d’une concertation lancée par le préfet lors d’une première réunion en préfecture prévue la semaine prochaine pour rassembler les acteurs sur les modalités du projet.
Un centre-ville alternatif qui n’a pas pris
Le déménagement des services de la justice ne va probablement pas défigurer le centre-ville historique de Marseille. “Si le bâtiment historique du tribunal est vidé de ses fonctions et de sa population, ça va certes impliquer des réaménagements de la vie quotidienne de ce quartier qui tourne effectivement en partie autour du tribunal”, admet Camille François pour qui Marseille ne peut toutefois pas être comparée à n’importe quelle ville. “On n’est pas dans le cas d’une ville moyenne qui dépend de la sous-préfecture et où quand on supprime le tribunal de proximité, la ville s’effondre. Par la proximité au Vieux-Port, je ne pense pas que la disparition du tribunal va impliquer la mise sous cloche ou un déclin de vitalité du quartier. Des activités privées risquent de prendre la relève de cette activité publique”, estime le maitre de conférences qui a coordonné en 2021, avec Kevin Vacher, un dossier dans la revue Métropolitiques, intitulé “Marseille : les batailles du centre-ville”.
Pour qu’une grande migration vers la Joliette s’opère, il faudrait par ailleurs que le “nouveau centre” soit vraiment attractif. Aux yeux de l’urbaniste et sociologue Etienne Ballan, le projet de cité judiciaire n’est pas suffisamment structurant : “Euroméditerranée est pensé comme le futur centre-ville de Marseille depuis maintenant 25 ans par l’État et une partie des collectivités. Mais une centralité, ça ne se décrète pas. On ne la met pas sur une carte, on l’étire à partir de ce qu’elle est déjà. Et si on l’étire trop, à un moment donné, ça craque, comme un élastique”.
Pour élargir ou déplacer le centre-ville, il faudrait une cohérence entre ce territoire et le reste du centre-ville. Or le quartier d’Euromed a justement été construit dans cette dynamique de faire un nouveau centre-ville alternatif, avec de grandes infrastructures immobilières, de transports et de grandes infrastructures publiques, rôle que viendra remplir la cité judiciaire. Avec une lecture plus politique, Camille François estime qu’on a imaginé là “un centre-ville alternatif, qui serait débarrassé de toute l’histoire populaire, immigrée du centre-ville historique de Marseille”. De ce fait, il y a de fortes chances pour le sociologue que le centre-ville historique de Marseille et Euroméditerranée restent des espaces relativement déconnectés.
Un équipement judiciaire qui va “rayonner”
Un centre-ville ne se définit par uniquement par son activité économique. C’est aussi ce qu’explique, avec sa casquette de sociologue, le militant de la lutte contre l’habitat indigne Kévin Vacher : “une cité judiciaire ou des bureaux ne font pas l’activité d’un centre-ville”. Il faut que l’activité économique soit cumulée avec des activités culturelles, touristiques, sociales, insiste-t-il, parce qu’“un centre-ville, c’est un élément symbolique d’une ville : un lieu d’attachement”. Pour lui, dans Euroméditerranée, “rien n’est fait pour que des vies sociales de quartier se construisent”.
Autre regard, plus enthousiaste, celui de Séverine Bonnin-Oliveira, maître de conférences à l’institut d’urbanisme et d’aménagement régional. La chercheuse pense au contraire que la transformation du quartier à la Joliette peut venir de cette implantation. “Il y a d’abord un équipement un peu fort qui arrive et derrière, une volonté que ça fasse bouger l’offre de commerce et de services”. L’ouverture de la cité scolaire internationale dans le même secteur pourrait contribuer à cette dynamique : “C’est un équipement de plus qui arrive dans un contexte de renouvellement urbain qui est déjà lancé”.
En apportant la nuance de l’attachement affectif cependant. Car si le projet de cité judiciaire va “rayonner” en “attirant des usagers et des consommateurs qui ne sont pas forcément du quartier”, l’universitaire souligne qu’un centre-ville à une centralité fonctionnelle et historique. “Si cette dimension fonctionnelle existe dans le centre-ville Euromed, ce n’est pas le cas de la dimension historique. Le centre identitaire reste plus restreint. En d’autres termes, je ne suis pas sûre qu’un habitant d’Euromed se dira habitant du centre-ville.” Pour s’en assurer, rendez-vous dans une petite dizaine d’années.
Commentaires
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Tout d’abord Marsactu le monde judiciaire n’est pas tout petit. Un Barreau très important, nombreuses juridiction font que magistrats,greffiers,auxiliaires de justices,fonctionnaires représentent des effectifs importants. Et ce nombre devrait augmenter encore par nécessité et par programmation budgétaire.
Marseille n’est qu’un jeu de vases communicant.
On vide la rue de la République, on rénove,on espère l’arrivée des Parisiens ou autres .Nada.Au passage le petit monde immobilier marseillais c’est bien servi.
On vide le Centre Bourse pour les Terrasse du Port, le Centre Bourse est sordide et les alentours avec, les Terrasses ne refusent yas du monde avec une offre que l’on retrouve partout.Rappellez vous l’argument de la mère Vlasto et les croisieristes Les croisieristes espagnols viendront acheter du Zara à Marseille. Encore un génie.Et grosse opération pour l’immobilier local.
Euromediterranee doit être le centre ville de Marseille, ce que je viens de découvrir il va falloir mettre le vieux port au poste 164.
Cette ville est pauvre, en décroissance, aucune ambition économique à part le cas CMA-CGM.
La mère Caradec veut maximiser Euromedirerranee au détriment du cœur de Marseille.St Fe et Rome sont de véritables gourbis, voilà le sort réservé à Paradis et au quartier Palais de Justice.
Les capitales régionales renoncent leurs centre-ville, ici nous les détruisons.Cette ville est vraiment une ville ce cons
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Habituellement, la soupe d’Alceste me nifle, là c’est pas pareil, hors la vulgarité, il y a du vrai
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Sauf que St Fe et Rome ne sont pas de veritables gourbis…pour le reste je le suis perdu dans votre reflexion…
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Renovent et non pas renoncent
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Ville de cons
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partez alceste, c’est vraiment ce que vous avez de mieux à faire.
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je n’ai pas, pas encore, d’opinion définitive.
certains arguments me sidèrent.
– les avocats veulent maintenir une proximité géographique entre un tribunal et leur bureau ; certes, si ils gardent leur étude en centre ville, ils seront obligés de se déplacer en tc, voire en voiture particulière et là courage, ils essayeront les vélos ou les trottinettes. dur ! (comme beaucoup de marseillais !)
– on va vider le centre ville avec le départ de ce -grand- monde judiciaire ; certes, mais bon, je le trouve déjà pas très occupé ce quartier monthyon, fortia, autran…..j’y passe -à pied- assez régulièrement ça ne foisonne pas, le cours p puget est très paisible. ca va surtout vider les petits restau et snacks du secteur.
– un nouveau batiment tout en verre et acier, comme souvent plutôt moche….sera un plus pour euroméditerranéen ? bof ce nouveau futur centre ville n’est déjà pas souriant et avenant…a-t-on besoin de rajouter une “skyline”
– pour le risque de tsunami, et de submersion c’est un problème d’architectes. dans des pays aux métropoles en bord de mer, ils savent faire. r.a.s.
bref, je n’ai pas d’opinion.
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“Quand il s’agit d’aller au moins une fois par jour faire une démarche, récupérer un document ou consulter un greffier. ” … donc pas d’internet ni de téléphone ?
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C’est la SKYLINE ratée sur fonds publics!
Ca fait juste 20 ans que la droite locale, sous l’influence de la finance et de la promotion immobilière, nous vend le mirage de la SKYLINE, après nous avoir vendu la “rénovation” de la Rue de la République par les fonds de pension Lone Star et Lehmann Brothers.
On voit le résultat
La H99 qui prend 20 ans de retard.
Aucun investisseur de long terme pour la Marseillaise de Nouvel, payée par le contribuable qui ne demandait rien.
La Porte Bleue de Pietri qui va couler sa boîte, franchement qui veut investir 7500 € le m2 la?
A fait juste 20 ans que quand on montre ce désastre à des universités d’Europe, ils disent: mais comment votre élite peut elle répéter toujours les mêmes erreurs ? La régénération urbaine par le WATERFONT, ça marche à Londres.
Mais on n’est pas à Londres !
Alors la, relancer la SKYLINE en panne par une nouvelle tour judiciaire, c’est bien typiquement un projet de financer et de betonneurs.
Sans pitié pour l’économie fragile du centre historique qui risque une spirale recessive.
Ah les apprentis sorciers sont encore au pouvoir.
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Pas que la droite
La tour la Marseillaise a pu être construite parce que Caselli président socialiste s’est engagé à y déplacer les services de la Communauté Urbaine devenue Métropole ce qui au passage a vidé les Docks
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ah oui, brasilia8 a raison, la droite de gaudin et muselier, et teyssier et la gauche du ps caselli….tous d’accord !
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J’habite à Arenc, j’y suis bien merci (même s’il y a encore du boulot) mais cette histoire de “centre-ville” m’a toujours fait rigoler. Le repère du centre-ville c’est le Vieux Port, et dans dix ans il n’aura pas bougé (enfin j’espère 😄).
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L’implantation de l’hôtel de région et de celui du département au nord du Lacydon relèvent plus ou moins de la même démarche de nordisation et ne semblent pas avoir transformé leur entourage immédiat en quartiers “biz’ness, animé et exemplaire de civisme”
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Aïe Aïe Aïe, quand les décideurs parlent de « rayonnement « ( de la France, de la cité judiciaire, de l’entreprise, etc), on est à peu près sûr que ça va finir en jus de poutargue.
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Le rayonnement c’est comme le ruissellement c’est magique il faut y croire pour que cela marche
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Merci Marsactu pour vos enquètes
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Des transferts, encore des transferts, toujours des transferts et jamais de véritables créations dactivite. On enleve à gauche pour remettre à droite sans aucune plus value. On ne prend pas en compte les besoins des marseillais et on ne relie pas entre elles les zones d’activites économiques, culturelles, scolaires, de loisirs et bien sûr de logements car il faut des habitants pour faire vivre tout cela.
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