Surchauffe à Pôle emploi : plus de 500 chômeurs par agent à Marignane
La fonction publique manifeste aujourd'hui pour la sauvegarde du service public. Parmi les revendications, celles des salariés de Pôle emploi qui dénoncent la dégradation du service rendu aux chômeurs. Des chiffres récemment publiés par la direction montrent l’immense décalage entre le nombre d’usagers et les effectifs disponibles pour les suivre.
Surchauffe à Pôle emploi : plus de 500 chômeurs par agent à Marignane
“Le nombre de chômeurs augmente, pas celui des agents”, résume Jean-Marc Robert. Avec ses collègues de Pôle emploi, le syndicaliste SUD battra les pavés du Vieux-port ce mardi dans le cadre de la journée d’action dans la fonction publique. Les agents chargés du suivi des chômeurs désespèrent de voir un jour s’améliorer le service rendu aux usagers.
Dans un département où le taux de chômage est presque deux points supérieur à la moyenne nationale avec 12,2 %, et encore plus élevé à Marseille où il culmine à 13,1 % au dernier trimestre 2015, l’enjeu est loin d’être anecdotique. Mais les chiffres confirment le faible accompagnement dont bénéficient les demandeurs d’emploi.
Ce constat est directement permis par Pôle emploi. Pour redorer son image après des années d’opacité, l’entreprise de service public a décidé d’ouvrir le capot et présenté début janvier les chiffres de l’activité de chacune de ses agences. Pour les Bouches-du-Rhône, les chiffres sont dans la fourchette nationale sans être rassurants pour autant. L’indicateur le plus révélateur étant le nombre de dossiers suivis par agent. Ainsi, pour l’antenne de Marignane, un salarié se retrouve en moyenne avec 508 chômeurs en portefeuille.
Voir en plein écran. En rouge, les agences dans lesquelles le nombre de dossiers de type “suivi simple” dépasse 350 par agents. Survoler les épingles pour voir les détails.
La norme en matière de nombre de dossiers varie selon la modalité du suivi, qui peut être “renforcé”, “guidé”, ou “simple”. Plus le suivi est léger plus le nombre de dossiers par agent augmente. Ainsi, en théorie, chacun d’eux ne peut pas avoir à traiter plus de 75 demandeurs d’emploi en suivi “renforcé”. Pour le suivi “guidé”, le maximum par portefeuille monte à 150. Pour les dossiers “simples”, la limite est fixée à 200. En se basant sur ce dernier chiffre, la carte montre que cette limite est dépassée dans la plupart des agences bucco-rhodaniennes. Dans l’agence des Chartreux à Marseille, un agent peut en traiter 411, quand il en traiterait 204 à Aix-Thumine et 508 à Marignane. À noter toutefois : le taux de satisfaction des usagers rapporté par Pôle emploi paraît ne pas être directement corrélé à ces chiffres astronomiques. Aucune agence n’est en dessous de 50% de taux de satisfaction. À Marignane, il est de 59%.
A la direction, on ne s’alarme pas plus. “Il peut y avoir des hausses momentanées”, justifie Nicolas Garnier, directeur territorial des agences Pôle Emploi dans les Bouches-du-Rhône, qui estime que les chiffres locaux ne s’écartent “pas de façon flagrante” des nationaux. On est en effet loin des 1125 dossiers suivis par agent à la Tour-du-Pin en Isère. Pour Jean-Marc Robert, ils disent au contraire la piètre qualité du service rendu : “Quand on suit autant de personnes, on ne suit rien du tout”.
Les statistiques ne sont en effet pas flatteuses sur les performances de l’ex-ANPE . Un rapport de la Cour des comptes publié en juillet 2015 estime que Pôle emploi “ne serait à l’origine directe de la reprise d’emploi, selon les déclarations des demandeurs d’emploi, que dans 12,6 % des cas”.
Un nouvel accueil plus moderne … ou plus précaire ?
L’année 2016 a apporté son lot de nouveautés pour faire face à la crise. Des modifications importantes dans la prise en charge du demandeur d’emploi ont pris forme ces dernières semaines. Mais difficile de comprendre si c’est la modernité ou l’austérité qui ont guidé ces nouvelles orientations. Premier changement, depuis le 11 janvier, les agences de la région PACA sont fermées toutes les après-midis. Nicolas Garnier nuance : “Les agences ne sont pas fermées, elles sont ouvertes aux rendez-vous, et une personne avec un besoin urgent peut être accueillie”.
Pour ce dernier, l’objectif poursuivi est une meilleure personnalisation du suivi : “jusqu’ici, 80% des personnes reçues ne le sont pas par leur conseiller. L’après-midi, les conseillers peuvent se consacrer au suivi de leurs dossiers, aux rendez-vous physiques, par téléphone ou par mails.” Mais d’après Jean-Marc Robert, la conséquence est surtout “mécanique”. Le nombre de personnes venant le matin aurait déjà doublé.
Digitalisation
La deuxième grande nouveauté n’est pas un bouleversement, mais plutôt l’achèvement d’une évolution déjà bien amorcée : la digitalisation. Depuis ce lundi, toutes les inscriptions doivent se faire obligatoirement en ligne. “Les gens sans domicile, sans électricité ni internet pourront se faire aider le matin !”, raille Jean-Marc Robert. Si le nombre de demandeurs équipés est assez haut, la question de leur bonne maîtrise de l’outil reste problématique. D’autant plus que les erreurs dues à une manipulation hasardeuse demandent aux conseillers un important travail a posteriori.
Dans la même optique de passage au numérique, Pôle emploi a donné le jour à un site nommé Emploi Store sur lequel on peut faire une “analyse de personnalité”, “choisir son métier” ou avoir accès à des offres d’emplois, comme en agence. Du côté de la direction générale, Nicolas Garnier explique qu’ici aussi, l’objectif est la personnalisation du processus : “Tout ce qu’on peut automatiser permet de gagner du temps et ainsi de valoriser la plus-value d’un rendez-vous physique. Nous cherchons à mobiliser le bon canal : ceux qui sont autonomes dans leur recherches peuvent ainsi optimiser leur temps en passant par internet, ceux qui ont besoin d’un suivi plus renforcé peuvent se rendre en agence.”
Un argument qui ne convainc pas les syndicats, qui y voient plutôt une nouvelle source d’inégalités face à la recherche d’emploi, entre les demandeurs à l’aise avec les nouvelles technologies et ceux qui devront patienter dans les agences en matinée. “La moitié des inscrits à Pôle emploi ne sont pas indemnisés. Pour ceux-là, on peut être sûre que beaucoup seront découragés et jetteront l’éponge”, s’inquiète Jean-Marc Robert.
“Éloigner les demandeurs d’emploi des agences”
Sur les appels à la grève, les trois syndicats signataires dénoncent un schéma qui vise à “éloigner les demandeurs d’emplois de nos agences”. Ils s’inquiètent des nombreuses délégations, déjà fréquentes des attributions de Pôle emploi à des associations ou entreprises privées, au personnel selon eux peu ou pas qualifié et mal rémunéré. “L’objectif on le connaît : comprimer les effectifs du service public, précariser”, lâche le syndicaliste SUD. Ce dernier craint aussi la possible territorialisation des services de l’emploi. “La région, qui a la charge de la formation et est désormais le grand ordonnateur de l’orientation économique, pourrait par exemple très bien reprendre la tutelle de l’emploi.”
À l’heure où le chômage est le sujet de préoccupation principal des Français, les acteurs territoriaux ne manquent pas de proposer leurs propres mesures pour aider au retour à l’emploi, tels les “guichets emploi” promis récemment par Martine Vassal dans les Bouches-du-Rhône. Les sceptiques y voient la fin du service public national et égalitaire. Jean-Marc Robert ajoute avec malice “ce serait politiquement subtil, car les journalistes devraient additionner les chiffres des 13 régions avant d’obtenir les chiffres nationaux !”.
Cartographie : Julia Rostagni
Commentaires
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Plusieurs commentaires :
– géographe de formation, je suis assez surpris ou choqué : pourquoi pas d’agence dans le Pays d’Arles ? ;
– comme touts les services publics, Pole emploi subit des réductions d’effectifs par rapport à la masse de travail (ici en hausse). De ce fait, il réduit ses heures d’ouverture et accentue la dématérialisation. En ce sens, c’est un progrès. Par contre, il faut que l’accueil physique sur rendez vous soit efficace, efficient. Avec une telle masse de dossiers, il est clair que les agents sont obligés de faire de l’abattage et non du traitement personnalisé.
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