QU’EST-CE QU’UN « BUDGET PARTICIPATIF » ?

Billet de blog
le 27 Jan 2024
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Dans « Marsactu », hier, Marie Lagache a présenté le projet de la municipalité du Printemps marseillais de concevoir, pour la ville, un « budget participatif. Essayons de mieux comprendre de quoi il s’agit.

Qu’est-ce qu’un budget ?

Comme d’habitude dans cette chronique, commençons par les mots. Le mot « budget » est, tout de même, assez ancien, puisque le Dictionnaire étymologique de Dauzat, Dubois et Mitterand (Larousse) date son entrée dans notre langue de 1768. Ce qui est plus intéressant, c’est la façon que ce mot a eue d’entrer dans notre langue. C’est qu’il s’agit, en réalité, d’un retour dans la langue : quand il entre dans le lexique français, le mot « budget » est issu de l’anglais, où, comme aujourd’hui, il désigne la façon dont l’État organise ses recettes et ses dépenses. Mais l’anglais avait lui-même formé ce mot à partir d’un ancien mot français, bougette, qui désignait un petit sac. Ce sac a désigné, en anglais, le sac du trésorier de l’État. Le budget n’est donc, finalement, rien d’autre qu’un porte-monnaie. Mais ce qui est le plus important, pour comprendre de quoi l’on parle quand on parle du budget, qu’il s’agisse de celui de la nation ou de celui de la ville, c’est qu’il ne faut surtout pas le réduire à son aspect économique – ce que voudraient bien faire les économistes libéraux. Un budget, c’est une affaire politique, car il s’agit de décider de qui viennent les recettes et à quoi est utilisé l’argent public. En même temps, il s’agit d’un outil de prévision politique. Le budget a donc une signification politique : en l’occurrence, le budget de la ville de Marseille est l’outil essentiel de ce que l’on appelle la politique de la ville.

 

Qui décide le budget ?

Plusieurs acteurs sont impliqués dans l’élaboration du budget. Le pouvoir exécutif (à Marseille, le maire et la municipalité) propose le budget et met en œuvre son application en recueillant les recettes et en ordonnant les dépenses. Les pouvoir délibératif (le conseil municipal) décide en quoi consistera le budget au cours d’un débat politique. Le budget est donc élaboré et mis en œuvre par les acteurs de la politique de la ville qui représentent les habitantes et les habitants à l’issue des élections municipales. Le budget est donc triplement une affaire politique : il s’agit des recettes et des dépenses d’une institution politique (la ville), il est élaboré et mis en œuvre par des acteurs politiques désignés par la population, et, enfin, la décision dont dépend le budget est une décision politique des institutions et des pouvoirs municipaux. C’est par le budget que la municipalité met en œuvre son pouvoir et le rend lisible en lui donnant du sens, et, surtout, au cours des élections qui ont régulièrement lieu, elle rend compte de ses budgets et les soumet à l’approbation des citoyennes et des citoyens. Mais c’est aussi de cette manière que le budget ne se réduit pas à des rubriques et à des chiffres, mais donne pleinement à voir la ville et ses mutations en les articulant aux projets préparés par le budget et à permet à celles et ceux qui y vivent de comprendre ce que signifie politiquement habiter la ville. 

 

La participation de la population à l’élaboration du budget et la démocratie directe

L’idée d’un « budget participatif », comme son nom l’indique, est de faire participer à son élaboration celles et ceux à qui il est destiné, celles et ceux dont le budget contribuera à organiser la vie dans la ville : le budget construit la façon dont nous habitons la ville. Le projet d’un budget participatif consiste à impliquer celles et ceux qui vivent dans la ville dans l’élaboration des recettes et des dépenses dont dépendra leur façon de l’habiter. Un budget participatif consiste, ainsi, dans une démocratie budgétaire directe. La démocratie directe est fondée sur la participation des citoyennes et des citoyens eux-mêmes à l’administration, alors que, dans la démocratie représentative, ils déléguent leurs pouvoirs à leurs élus. Finalement, le sens d’un budget participatif est de situer les choix budgétaires dans la démocrate directe au lieu d’en charger les élus.

 

Petite lecture des documents présentés par la municipalité

Les documents proposés par la municipalité sur son site Internet présentent ainsi le budget participatif : « Vous proposez de novembre 2023 à janvier 2024, vous votez en juin 2024, nous réalisons de 2024 à 2026 ». Ce calendrier permet, ainsi, de montrer à la population qu’il ne s’agit pas d’un simple catalogue d’idées, mais d’un engagement de la municipalité. D’abord, il convient de rappeler qu’il s’agissait d’un des engagements du Printemps marseillais lors des dernières élections municipales. Surtout – et c’est sur ce point que l’on pourra juger s’il s’agit d’une proposition démagogique ou d’un engagement réel des pouvoirs municipaux – c’est une façon de sortir de la logique classique qui fait du budget une manière d’exercer le pouvoir en se donnant le monopole des choix et des décisions, pour mettre le  débat budgétaire au cœur de l’espace public. Sans doute, cette façon d’impliquer les habitantes et les habitants est-elle une façon de rendre le pouvoir à la population qui en a si longtemps été privée.

 

La ville est un espace politique

Au fond, c’est de cela qu’il s’agit : il s’agit de faire redevenir la ville un espace politique en ouvrant l’élaboration du budget à un véritable débat. Nous voilà de retour aux deux conceptions de l’espace politique de la ville qui sont les nôtres, la grecque et la latine, et à la différence essentielle entre elles. Dans la culture grecque, le premier mot est polis, qui signifie « la ville », et les citoyens sont les politai, ceux qui y vivent, tandis que, dans la culture latine, le premier mot est civis, le citoyen, et la civitas, la cité, est l’ensemble des citoyens. Dans la culture grecque, c’est la ville qui fonde la citoyenneté, alors que, dans la culture latine, c’est le rapport à l’autre qui fonde le politique (car civis désigne le citoyen et le concitoyen), et la ville est l’ensemble des habitants qui, ensemble, constituent un espacer politique. C’est cet que désignent le choix d’élaborer le budget : ou il est élaboré par les pouvoirs de la ville et il est imposé à ses habitants, ou ce sont les citoyennes et les citoyens qui élaborent le budget et il est appliqué par la municipalité.

 

Les enfants dans tout cela ?

Dans son article, M. Lagache parle d’une façon d’impliquer les enfants dans le budget participatif. L’essentiel est peut-être là : en participant directement à l’élaboration d’un budget qui les concerne, les enfants vivent leur première expérience de la vie sociale et de la vie politique. Si les choses se passent bien, peut-être se rappelleront-ils cette expérience devenus adultes et feront-ils le choix de s’impliquer davantage dans la vie politique des espaces où ils vivront. Peut-être, ainsi, la ville pourra-t-elle redevenir enfin ce véritable espace politique qu’elle a souvent cessé d’être.

 

Limites et impasses d’un budget participatif

Ne nous laissons pas bercer sur le « mol oreiller » des mots et des discours politiques. Il faudra évaluer, le moment venu, la façon dont la démocratie directe aura fondé la politique de la ville sur les choix budgétaires de la population. Quoi qu’il en soit, le budget participatif aura été conçu. Les limites et les impasses d’un tel budget sont connues. D’abord, nous avons pointé plus haut le risque d’une sorte de populisme budgétaire : il ne faut pas réduire le budget à une affaire de choix de services et de consommation. Par ailleurs, le budget est une affaire de temps long, qui ne saurait se limiter à son expression dans le temps court d’un débat. Enfin, il importe que les choix budgétaires conservent leur signification politique : permettre et renforcer le vivre ensemble dans la ville.

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