Lâché par l’État, le projet municipal de salle de shoot à Marseille fragilisé

Décryptage
le 19 Jan 2024
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Ce mardi, l'État a mis son véto à la dernière minute au projet d'installation d'une salle de consommation de drogue au 110, boulevard de la Libération. Ce revirement met le projet sur la sellette. Ce dispositif médico-social était une promesse phare du Printemps marseillais.

Matériel d
Matériel d'injection mis à disposition par le Bus 31/32, association qui accompagne les usagers de drogue. (Photo : Geneviève Mitry)

Matériel d'injection mis à disposition par le Bus 31/32, association qui accompagne les usagers de drogue. (Photo : Geneviève Mitry)

La nouvelle a fait le tour des médias, ce jeudi : la salle de shoot, au 110, boulevard de la Libération à Marseille, ne verra pas le jour. Mercredi soir, une réunion du comité de pilotage du projet, qui n’attendait plus que la validation de l’État, a eu lieu. Comme l’a révélé La Provence, son issue est sans appel : cette validation ne viendra pas. “Les choses ont été très claires et actées. Pour faire une HSA [halte soins addictions, l’autre nom de la salle de shoot], il faut un consensus. Il n’y a pas de consensus. J’en prends acte et je verrai quelles suites je donne, explique au lendemain de cette réunion Benoît Payan, le maire de Marseille (DVG). Mais comme je l’ai dit, je n’ai pas l’intention de laisser les toxicomanes roder dans les rues, il faut les soigner. Mais non, il n’y aura pas de HSA au 110, boulevard de la Libération.”

Ce dispositif médico-social, qui a pour but de recevoir des usagers de drogue lors de leur consommation pour réduire au maximum les risques faisait partie des promesses de campagne du Printemps marseillais. En refusant le lieu choisi pour son implantation, l’État remet sérieusement en question l’ouverture d’une halte durant ce mandat municipal. D’autant plus qu’aucune voix politique pour s’opposer à ce revirement de dernière minute ne s’est fait entendre au niveau local.

“Avis négatif de trois ministres”

Que s’est-il passé lors de ce comité de pilotage ? “Il y a eu conjointement un avis négatif de trois ministres [Santé, Justice, Intérieur] à une demande formulée par la Ville de Marseille pour un projet déjà identifié”, précise le préfet de région, Christophe Mirmand, interrogé par Marsactu. Pour autant, l’État n’était, jusqu’à présent, pas absent des discussions. Il était représenté à plusieurs niveaux au sein du comité de pilotage, via notamment l’agence régionale de santé, mais aussi la préfecture.

Ce n’est pas une remise en cause de cette HSA mais une réflexion doit être menée à la fois sur ces modalités de fonctionnement et son emplacement.

Christophe Mirmand, préfet de région

Pour justifier ce changement d’avis soudain, le préfet évoque le processus de concertation, particulièrement tendu.  “Le projet de site a été soumis à concertation publique et à cette occasion, des oppositions et des difficultés sont exprimées. Il s’agit de prendre acte de cette opposition. Ce n’est pas une remise en cause de cette HSA mais une réflexion doit être menée à la fois sur ces modalités de fonctionnement et son emplacement”, développe-t-il.

Dans un premier temps, les recherches s’étaient portées sur le 1ᵉʳ arrondissement avant que la maire de secteur, Sophie Camard, ne s’oppose ouvertement à accueillir le projet. “Je ne vois pas de lieu qui pourrait accueillir ce genre de dispositif, en tout cas pas dans le 1ᵉʳ arrondissement. La ville est grande”, répondait-elle à Marsactu en avril dernier. Finalement et après des mois de tergiversations, l’annonce de l’atterrissage de la salle dans le 4ᵉ arrondissement voisin apparaissait comme une sorte de compromis.

Mais avait provoqué un tollé parmi un certain nombre de riverains. Ces derniers pointaient notamment la proximité d’écoles et le fait que les problématiques liées à la consommation de drogue sur la voie publique se concentrent plutôt du côté du 1er arrondissement, à plusieurs centaines de mètres de là. Les réunions d’information organisées dans la foulée n’auront pas suffi à calmer les ardeurs. “Nous sommes soulagés par cette annonce qui conforte ce que nous disons depuis le début. Notre quartier n’a pas de problème de consommation de drogue dans la rue, c’est la reconnaissance du terrain”, réagit Perle Perrin, fer de lance de la contestation citoyenne.

“Il n’existe pas d’endroit parfait”

Pour le maire des 4/5, cet échec “permet de tirer des enseignements”. Surtout, celui qu'”il n’existe sans doute pas d’endroit parfait pour installer une halte soins addiction et que son implantation, son fonctionnement, les indispensables mesures de sécurité qui l’accompagnent doivent être débattues le plus en amont possible et de la façon la plus transparente”, écrit Didier Jau (EELV) dans un communiqué qui sonne aussi comme une critique de la méthode appliquée par la mairie centrale. Pas sûr que la majorité ne se donne l’opportunité de pouvoir appliquer ces enseignements avant la fin du mandat.

Avec Aurélien Rousseau, il y avait des échanges, du soutien. Depuis, plus rien. J’étais consciente qu’il y avait un problème de temps, la HSA de Marseille n’était plus une priorité.

Michèle Rubirola, adjointe au maire

De son côté, la première adjointe déléguée à la Santé, Michèle Rubirola, a réagit, aussi par communiqué, dès mercredi soir. Si elle se félicite que “la démarche entreprise ait permis à tous les élus, y compris une partie de l’opposition, et à l’ensemble des acteurs institutionnels de confirmer la nécessité sanitaire et sociale d’ouvrir une HSA à Marseille”, pour cette dernière, c’est clairement la nouvelle équipe gouvernementale qui a mis un coup d’arrêt au projet boulevard de la Libération.“Avec Aurélien Rousseau [avant-dernier ministre de la Santé], il y avait des échanges, du soutien. Depuis, plus rien. J’étais consciente qu’il y avait un problème de temps, la HSA de Marseille n’était plus une priorité. Trois mois après le dépôt, le dossier est devenu trop complexe”, précise-t-elle à Marsactu.

Michèle Rubirola a fait de cette salle de consommation à moindre risque son projet phare. Il y a quelques mois, elle confiait à Marsactu que l’ouverture de cette salle devait se faire au plus vite, au risque de pâtir ensuite de l’approche des élections municipales : “Il faut que cette salle ouvre en 2023, ce n’est pas un projet de fin de mandature. Je sais que cela marche, mais il faut le temps que la population en ressente les effets positifs.” Des conditions qui semblent aujourd’hui compromises.

L’opposition se délecte

Spectatrice de ce retournement de situation, l’opposition municipale, elle, se délecte. Présente lors de chaque rassemblement contre l’installation de la salle de shoot au 110, la droite locale s’est empressée d’organiser une conférence de presse ce jeudi. Bruno Gilles, conseiller municipal (Horizon) et ancien maire des 4/5, a ainsi exprimé sa “joie d’avoir gagné ce qui est peut-être un premier combat politique important depuis juillet 2020”, avant de poursuivre : “Cette nouvelle est un véritable camouflet pour la majorité Printemps marseillais”.

La politique municipale est rejetée par l’État comme elle l’a été par les habitants.

Catherine Pila, cheffe de file de l’opposition (LR)

Cheffe de file de l’opposition au sein du conseil municipal, Catherine Pila (LR) ne s’est pas privée pour en remettre une couche : “c’est un revers politique pour le maire qui était en phase avec sa première adjointe. Aujourd’hui, la politique municipale est rejetée par l’État comme elle l’a été par les habitants.”

Même au sein de la majorité municipale, on souffle avoir vu venir le cafouillage. “Il faut bien dire que c’était mal boutiqué. Le seul endroit où ça avait du sens, c’était autour de la gare Saint-Charles, mais Sophie Camard s’est couchée en travers et ça a donné cette solution bancale”, confie-t-on à Marsactu. La semaine dernière, déjà, lors d’une interview accordée à La Provence et BFM Marseille, le maire lui-même semblait peu optimiste pour une poursuite du projet à cet endroit.

Quels espoirs reste-t-il aux usagers, associations et défenseurs de ce dispositif qui a fait ailleurs ses preuves ? Contactée, l’association Asud mars say yeah, porteuse du projet et spécialisée dans la réduction des risques, n’a pas souhaité s’exprimer. Après des mois de travail et si proche du but, il faut dire que la nouvelle passe mal.

“HSA mobile” ou relocalisation au sein de l’hôpital

“Ma boussole est toujours la même : prendre en charge les plus vulnérables. C’est le combat de ma vie, bien avant d’être élue. C’est aussi le respect d’une promesse de campagne fondatrice du Printemps marseillais. Je reste plus que jamais engagée pour mener à bien ce projet de santé publique”, martèle Michèle Rubirola. Si la municipalité est aujourd’hui prudente, l’État n’écarte pas complètement une relance, sous une autre forme. “Cela peut être par exemple le choix d’une HSA mobile telle qu’elle est expérimentée ailleurs. D’autres réflexions sont en cours et vont se poursuivre dans les prochaines semaines”, avance le préfet des Bouches-du-Rhône. Une autre source, côté État, évoque quant à elle une relocalisation au sein de l’hôpital. Une formule défendue par la droite locale, même si pour les spécialistes, elle ne permettrait pas d’aller au plus près des usagers.

La semaine dernière, le maire de Marseille réaffirmait encore sa volonté de mener à bien ce projet. “Quoi qu’il en soit, je souhaite que ça puisse exister, en milieu médical, en milieu clos, on verra bien”, affirmait-il à nos confrères. Aujourd’hui, la question même de la forme que doit prendre ce dispositif est remise sur la table. Avec elle, vient une autre question, éminemment politique : quelle place pour les toxicomanes dans la ville ?

Avec Benoît Gilles, Jean-Marie Leforestier et Julien Vinzent

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Commentaires

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  1. Happy Happy

    Que des riverains soient contre, ça se conçoit. Que des élus locaux se rangent de leur côté, ça ne surprend pas. Mais qu’un projet de santé publique soit sabordé par trois ministres, dont celle de la santé… On attend avec impatience leurs arguments détaillés ! Macron a appelé ses ministres à être solidaires…avec eux mêmes… Peut-être ces trois là ont-ils voulu montré leur solidarité avec l’ambition personnelle de leur collègue agresti roubache ? Pour le Printemps marseillais, c’est l’hiver qui va durer encore 2 ans et demi…

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  2. Frederic Legrand Frederic Legrand

    L’échec dans ce dossier est malheureusement avant tout celui du Printemps marseillais… Laisser une mairie de secteur faire blocage alors qu’il était plus pertinent d’implanter la HSA dans le 1er, c’est revenir au fonctionnement “le maire d’arrondissement maître chez lui” des mandats Gaudin.

    Une fois le choix de Libération arrêté, l’annonce a été faite en priorité dans la presse, et les premières réunions de concertation n’ont pas donné suffisamment de précisions sur les mesures de vigilance et de gardiennage autour de la HSA, alors qu’il était évident que ça allait être un point d’inquiétude légitime des riverains, d’autant plus fortement que la droite était en embuscade.

    Ajoutez à ça un Benoît Payan aux abonnés absents sur ce dossier, alors qu’il était censé être l’urgentiste qui sait gérer les rapports de force politique, et à l’arrivée on a un projet d’importance sanitaire touché coulé, la droite qui crie victoire et les partisans de la HSA dépités par la méthode du PM. De la belle ouvrage.

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    • Patafanari Patafanari

      Marseille est de retour

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    • Regard Neutre Regard Neutre

      Oui,avant d’annoncer l’implantation d’une salle de soins pour les toxicomanes addictifs, une étude de faisabilité approfondie est généralement recommandée pour assurer l’acceptation de son lieu d’accueil,ce n’est ni un commissariat ni une gendarmerie…
      Aussi,devant un groupe scolaire, le projeteur politique a reçu un zéro pointé et il le mérite!
      Est-ce les services,de l’État ou de la municipalité, qui ont choisi le lieu?Qui a fait la bourde?
      Michèle Ruberola, maire élue par les Marseillais, a été mal conseillée sur cette implantation pour le bonheur de l’opposition politique,mais pas que…
      En l’espèce,une étude de faisabilité solide permet de prendre des décisions éclairées et de s’assurer que l’implantation répond aux besoins spécifiques de la communauté, tout en minimisant les risques potentiels.

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    • Oscurio Oscurio

      As-t’on vraiment des exemples d’études de faisabilité avec des riverains qui sont pour une salle de shoot ?
      Le problème pour moi est plus large que le PM, il est français.
      Il faudrait peut-être implémenter dès le départ plusieurs salles de shoot, afin que les arrondissements, riverains comme maire, ne puissent pas tenter de se refiler la patate chaude.

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  3. polipola polipola

    Minable Payan.

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  4. julijo julijo

    je trouve honteux que des gens comme gilles et pila avec le bilan qui est le leur , exprime leur “joie” a voir repoussé la création de cette hsa.
    qu’ils soient satisfaits d’avoir épaulés les riverains du projet dans ce refus de l’emplacement, on peut le comprendre, mais la “joie” !!

    la couche de pila : “…Aujourd’hui, la politique municipale est rejetée par l’État comme elle l’a été par les habitants.” (les habitants du bd de la libération)
    alors ça, ce serait plutôt satisfaisant…quand on voit l’ensemble des dernières décisions prises – pas prises- par le gouvernement.
    consternant pour la ville, mais on s’en remettra.
    le super plan marseille en grand, va-t-il plonger avec agresti roubache ? ou pas ???

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Il y a une autre réalité qui est “rejetée par les habitants”, mais sans doute est-il déplacé de le rappeler à Sainte Pila : c’est la “qualité de service”, déplorable, de la RTM.

      Il est, certes, beaucoup moins fatigant de faire de la politique politicienne et de lâcher des petites phrases inutiles que d’être à son poste de présidente de la régie.

      Entre un vice-président de la Métropole délégué aux transports invisible et une présidente de la RTM ectoplasmique, les usagers des bus, métros et tramways savent que leur sort n’intéresse personne. Ils sont pourtant beaucoup plus nombreux que les personnes qui préfèrent voir les toxicomanes crever dans la rue.

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  5. jacques jacques

    Rubirola a imposé son choix sans demander l’avis de personne. ” C’est comme ça un point c’est tout”. Et Jau qui n’a pas l’aplomb de Camard a fait le canard. Avait il une autre solution?
    A part ça on continuera la chasse aux seringues et bombonnes de nh2 dans les bosquets de la rue chape et les escaliers de Camoin jeune .
    Si les parents d’élèves de St Joseph penses que leurs gentils rejetons bien propres sur eux n’ont jamais tiré sur un pétard, ils sont bien naïfs. En plus de se fournir en vaporeuses dans la boutique proche .

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  6. Tyresias Tyresias

    Merci Sophie…

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