À Aix-en-Provence, le passage Agard ne voit pas encore le bout du tunnel

Le passage Agard à Aix-en-Provence relie les places comtales et le cours Mirabeau. (Photo : ML)

À Aix-en-Provence, tout le monde passe par le passage Agard. En ce début janvier, un couple de touristes étrangers s’immortalise avec un selfie devant l’entrée, avant de poursuivre sa découverte de la ville, carte à la main. Un groupe de jeunes Aixois s’est donné rendez-vous pendant les vacances scolaires, avec comme point de rencontre cette ruelle. Une passante traverse l’allée caddie à la main. “J’habite juste à côté, alors je passe tout le temps par là, c’est une habitude”, s’exclame la riveraine d’une cinquantaine d’années. “Les Aixois passent car ils connaissent la ville, les touristes car tous les guides les font passer par là”, résume la gérante d’une des boutiques qui animent ce couloir. Tous empruntent ce même chemin voûté, emblématique du cœur de ville aixois. Longue d’une centaine de mètres qui relie le haut du cours Mirabeau aux places comtales – Verdun, Prêcheurs et Madeleine –  cette singularité architecturale, du milieu du XIXe siècle, est aussi un espace commerçant qui compte une douzaine de boutiques.

Au passage Agard, on croise tout Aix-en-Provence. Même Jean-Sébastien Grellet-Aumont, directeur général du groupe Sebban. La foncière immobilière a racheté les lieux en décembre 2020 à une SCI qui regroupait les descendants de la famille Agard, occupants originels. Depuis, plusieurs commerces ont baissé le rideau. Un projet de “halles gourmandes” est alors évoqué et les élus d’opposition font part d”inquiétudes sur la fermeture potentielle du passage, comme le relate La Provence au moment du rachat. Mais, aujourd’hui, les nouveaux propriétaires assurent publiquement avoir jeté à la poubelle ces plans et garantissent que le passage restera ouvert à tous. Un retour dans le domaine public est même évoqué par la municipalité. Mais, avant, il va falloir plus qu’un coup de peinture pour remettre en état ce joyau du patrimoine aixois.

Fissures et néons en plastique

Le groupe Sebban souligne le manque d’investissement des précédents propriétaires pour maintenir le site en bon état. Jean-Sébastien Grellet-Aumont ne cherche pas à cacher les défauts du passage Agard lors d’une visite guidée improvisée. Il nous montre volontiers les fissures sur les murs entourant l’allée, la vétusté des installations électriques, les diverses dégradations jamais réparées, les éclairages grossiers par des néons en plastique, l’absence de conservation des façades historiques. “Et c’est ça que les Américains viennent prendre en photo !, fustige le directeur général du groupe Sebban. Ça pourrait être tellement mieux.” 

Cet argument justifie également le départ des boutiques historiques, comme le studio de photographie de la famille Ely en mars 2023, selon la foncière. Dans un des restaurants de la rue, le gérant confirme le mauvaise état général du bâti. “C’est pas des fausses informations”, lance le restaurateur en montrant des problèmes d’humidité dans sa salle. Mais tous les commerçants ne partagent pas le même constat. “Ce sont des vieux bâtiments, il n’y a pas plus de problèmes qu’ailleurs”, défend, dans l’allée, la patronne d’une boutique de petits créateurs. La jeune femme dément certaines rumeurs selon lesquelles les commerçants seraient poussés vers la sortie par le nouveau propriétaire :“Nos baux iront à leurs termes. Les Sebban ont toujours été clairs sur le fait qu’à un moment on devrait partir.”

L’intérieur du passage Agard compte une douzaine de boutiques. (Photo : M.L.)

Lors du conseil municipal d’Aix-en-Provence du 13 décembre 2023, le groupe Sebban s’est exprimé sur le devenir des lieux. Les dirigeants étaient initialement venus présenter leurs plans pour les immeubles Gayaud Verdun, qui jouxtent l’allée du côté des places comtales, achetés par la foncière à la Ville il y a peu. Ils souhaitent y construire un hôtel de haut standing d’une trentaine de chambres avec un restaurant étoilé. Le permis de construire devrait être délivré en ce début 2024 avec un lancement des travaux à la fin de l’année et une ouverture en 2026. Le tout pour un budget de 15 millions d’euros.

Une servitude ou un rachat par la ville

Sur le passage Agard, Mickaël Sebban reconnaît que le projet initial était bien de le transformer en halle gourmande. “Ce projet était presque finalisé, mais il n’ira pas au bout”, annonce-t-il toutefois. “On a été en négociation avec la papeterie. Ils sont dans une situation compliquée et ont l’ambition de céder l’exploitation”, avance le propriétaire. La papeterie Michel, adresse aixoise très connue, a son entrée sur le haut du cours Mirabeau, mais ses locaux se situent en parallèle de l’allée. L’enseigne était donc stratégiquement convoitée par la foncière pour ses plans originels. Le promoteur tient toutefois à souligner qu’il a travaillé sur une solution pour installer la papeterie autre part dans le centre historique, pour éviter que le cœur de ville ne perde encore un commerce de proximité.

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Mickaël Sebban se défend cependant “d’avoir jamais voulu fermer le passage Agard”. Des solutions alternatives sont même évoquées par le propriétaire : “Nous sommes disponibles pour discuter avec l’équipe municipale d’une servitude.” L’autre option sur la table serait le rachat par la Ville du couloir uniquement, sans récupérer les bâtiments autour. “Nous laisserons un passage comme c’est le cas actuellement”, promet de toute manière le groupe immobilier. Une question demeure : la vocation commerciale de la venelle sera-t-elle préservée? Pour l’heure, interrogé sur ce point, le groupe immobilier ne dévoile pas encore ses plans.

Cette situation relance, de manière plus générale, le débat autour de la vente par la mairie de ses trésors immobiliers à des promoteurs privés. “Nous sommes opposés à la vente du patrimoine des Aixois”, assure ainsi Marc Pena, leader du groupe d’opposition divers gauche Aix en partage, lors du conseil municipal de décembre. L’élu pointe la place trop importante que prennent ainsi les promoteurs dans l’aménagement de la ville : “Le groupe Sebban a une énorme responsabilité dans ce quartier, je voudrais que cette responsabilité soit partagée.”

Lors des échanges durant les conseils municipaux, la majorité municipale défend régulièrement quant à elle cette stratégie immobilière. “La Ville peut vendre des immeubles, mais elle le fait toujours avec beaucoup de discernement, répond la maire UDI, Sophie Joissains. Nous réalisons aussi des acquisitions.” L’élue cite d’un côté la vente du couvent des Prêcheurs ou de l’hôtel de Caumont, et de l’autre l’achat des locaux de la Sacem :“Il y a des va-et-vient dans le patrimoine”. Il y a quelques mois, lors d’un précédent conseil, où Marc Pena avait déjà posé ce sujet sur la table, elle lâchait toutefois : “La Ville n’a pas les moyens pour rénover tous ses bâtiments.”  Comme d’autres sites emblématiques, le passage Agard a souffert de cette difficile équation, entre la volonté politique de conserver ou d’acquérir le patrimoine historique aixois et la nécessité de maintenir les finances de la Ville à l’équilibre.