[Marseille secret] Les « Traboules » marseillaises
Guillaume Origoni, photographe et journaliste, raconte des pans de Marseille qui ne se donnent pas à voir au premier regard. Explorateur de l'urbain, il aime se glisser dans les lieux abandonnés, cachés voire oubliés. Dans Marseille secret, il partage ses excursions les plus marquantes. Dans ce dixième épisode, il explore les ruelles du Roucas, entre habitations luxueuses cachées et chemins trop étroits pour les véhicules.
(Photo : Guillaume Origoni)
Certains d’entre vous se sont vraisemblablement déjà promenés dans ces rues, ces impasses, ces chemins oubliés. Accroché à la Colline du Roucas, ce quartier, à la fois désert et chic, offre aux flâneurs un ensemble disparate prenant la forme d’un petit monde à l’abri des regards et des tumultes du reste de la ville.
Peu, ou plus fréquentées depuis longtemps, ces traboules marseillaises sont rendues à la végétation sauvage qui y prospère. C’est précisément ce qui leur attribue leur charme et cette sensation de déambuler dans un Marseille à la fois suranné et délicieusement caché. Ce dédale qui serpente entre les propriétés immenses en surplomb de la mer est aussi le résultat d’une ville qui a connu un apogée industriel lié à l’histoire coloniale. Je connais quelques heureux propriétaires qui habitent dans ce paradis marseillais. Ils m’expliquent souvent que la plupart des villas qui peuplent ce territoire sont d’anciennes folies marseillaises. Autrement dit, des habitations anciennement dédiées aux vacances et aux villégiatures de l’aristocratie, puis de la bourgeoisie.
Un dédale sans Minotaure
Certaines de ces rues, sont de dimensions si réduites qu’elles ne permettent pas à deux piétons de se croiser de front. D’autres semblent être des impasses, alors qu’il existe toujours la possibilité de s’en extirper par l’attention que l’on porte aux détails.
Il arrive qu’une porte qui semble être l’accès à un jardin privé, soit en réalité un passage entre une rue et une autre. Il arrive aussi qu’une traverse condamnée ne soit pas totalement une voie sans issue. Il faut parfois s’y enfoncer un peu plus avant pour découvrir des escaliers biscornus et extrêmement raides qui débouchent plus haut et vous remettent dans le circuit entrelacé du réseau.
On y croise peu de monde, surtout en cette saison, ce qui tranche nettement avec le brouhaha incessant des voitures et des deux roues qui passent plus bas, et souvent équipés d’échappement qui résonnent dans ces boyaux où, entre deux hurlements de moteurs, on entend les oiseaux. Même si, contrairement à l’égo démesuré des conducteurs complexés, ces minuscules volatiles ne sont pas forts en gueule.
La lutte des classes de basse intensité
Les murs qui délimitent cet écosystème social à forte valeur ajoutée sont constellés d’entrées désaffectées qui trônent au milieu de séries d’escaliers passablement défoncés. De temps à autre, on y voit les incontournables tags qui rappellent aux privilégiés qui siègent en ces lieux que la lutte des classes n’est pas terminée. Une façon polie de décrire, les incontournables « viés » dessinés à la hâte et qui sont toujours graphiquement codifiés selon les représentations enfantines, ou encore des fulgurances post-marxiste très en vogue du type : « FDP de riches ». Ces violences symboliques, de mauvais goût mais bon enfant, ne parviennent pas à créer une ambiance anxiogène.
Ces traboules marseillaises, inaccessibles à tous types d’engins motorisés, ont figé le temps et transmettent un sentiment de quiétude à celles et ceux qui les arpentent. Une façon de se dire que “finalement tout ne va pas si mal à Marseille”. Même s’il serait plus juste d’affirmer que “ce n’est pas partout que tout va mal à Marseille”. Vous me suivez ?
Quoi qu’il en soit, souhaitons aux habitants de ce quartier de continuer à profiter de cette beauté singulière, à condition qu’ils ne leur viennent pas à l’idée de privatiser ces rues, ce qui est une tendance forte dans notre ville. Mais c’est une autre histoire et un autre débat.
En attendant, allez vous y perdre. Soyez curieux, respectueux et gardez la possibilité de vous émerveiller des petites choses.
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