À Fuveau, 20 ans de bataille juridique entre le propriétaire du golf et la commune

Décryptage
le 22 Déc 2023
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La commune de Fuveau et la SCA Château de l'Arc se retrouvent à nouveau devant le tribunal administratif de Marseille ce vendredi. Le promoteur immobilier demande 16 millions d'euros à la commune, qui s'oppose à la construction de 132 villas de luxe. Le nouvel épisode d'un feuilleton lancé il y a déjà bien longtemps.

Le golf de Fuveau avec en toile de fond la Sainte-Victoire. (Photo : ML)
Le golf de Fuveau avec en toile de fond la Sainte-Victoire. (Photo : ML)

Le golf de Fuveau avec en toile de fond la Sainte-Victoire. (Photo : ML)

Cela ressemble à un parcours de golf beaucoup trop long. La bataille judiciaire opposant la commune de Fuveau à Philippe Laurent, promoteur immobilier, propriétaire du green local et des terrains attenants, s’étire depuis le début des années 2000. Les non-initiés à ce sport de précision ou aux procédures juridiques ne peuvent pas être blâmés de se perdre entre tous les rebondissements. Ce vendredi 22 décembre, les deux protagonistes se retrouvent encore une fois sur les bancs du tribunal administratif de Marseille. Celui-ci doit examiner une demande d’indemnités pour plus de 16 millions d’euros (sans les intérêts) formulée par le promoteur, après le refus d’un permis en 2019.

Ce contentieux prend racine dans les années 80, comme l’a déjà rappelé La Provence. La SCA Château de l’Arc, entreprise qui porte le projet immobilier de Philippe Laurent, obtient l’autorisation d’aménager une centaine d’hectares de la part de la Ville de Fuveau, située à quelques kilomètres au sud d’Aix-en-Provence. Un parcours de golf, ainsi que toutes les infrastructures qui vont avec, ainsi qu’une école privée sortent de terre. Mais, en 2012, la municipalité, dirigée alors par Jean Bonfillon, décide de bloquer le dernier chantier prévu au programme, la construction de 132 villas de luxe. Elle met fin à la convention d’aménagement qui l’unit à la SCA Château de l’Arc.

Un projet “hors du temps”

“On parle d’un dossier qui date du début des années 2000, tout a été instruit selon des bases du siècle passé, justifie auprès de Marsactu la maire actuelle de Fuveau (divers-droite), Béatrice Bonfillon Chiavassa. Cela aurait été fait maintenant, on n’aurait jamais imaginé couper autant d’arbres face à la Sainte-Victoire. C’est un projet hors du temps.” Depuis les beaux jours des années 70 où le promoteur était vu comme le bâtisseur de Fuveau, les relations n’ont pas cessé de se détériorer. “La complexité est qu’il n’a jamais voulu revoir son projet, poursuit l’élue. Le maire de Fuveau à l’époque a souhaité se mettre autour de la table, mais cela n’a pas marché. Il reste sur sa volonté de construire son lotissement.”

Le promoteur attaque la commune pour cette rupture unilatérale. Une procédure qui ne cesse de rebondir depuis. Dans un premier temps, la cour d’administrative d’appel condamne Fuveau à verser deux millions d’euros à Philippe Laurent pour le préjudice. La juridiction enjoint également la Ville à prendre un nouveau permis de lotir en 2015. La municipalité décide néanmoins d’abroger ce permis en 2016 et poursuit l’affaire devant le Conseil d’État. Elle obtient gain de cause en 2019 et la SCA Château de l’Arc rembourse les deux millions d’euros initialement versés. Mais le promoteur n’en démord pas, relance la procédure judiciaire et demande une nouvelle indemnité de 16,35 millions d’euros cette fois-ci. “On craint cette sanction tant que la décision n’est pas rendue”, confie la maire en attendant l’audience de ce vendredi.

Un “éternel dossier”

“On nous demande une indemnité pour préjudice sur un arrêté de lotir qui a été déclaré illégal par le conseil d’État, argumente Olivier Burtez, le conseil de la commune de Fuveau. Mais on a l’habitude de la démesure avec cette société.” Lors de l’audience du jour, le rapporteur public va demander le rejet de la demande du promoteur. Ce qui suggère, en règle générale, le sens de la décision à venir du tribunal. L’avocat avertit cependant : “Quelle que soit la décision rendue par le tribunal administratif, il y aura un nouveau recours, c’est une affaire que je suis depuis une vingtaine d’années, ce n’est qu’une étape d’un éternel dossier.” Contactés par Marsactu, Philippe Laurent et son avocat n’ont pas souhaité s’exprimer avant l’audience.

D’autres parties de cette bataille judiciaire se jouent encore en parallèle. Les différents acteurs attendent les résultats d’une étude environnementale diligentée par l’État sur les impacts potentiels des travaux sur des espèces protégées présentes sur le terrain visé. La commune attaque également le porteur du projet en exigeant une enquête de circulation concernant l’accès au lotissement depuis la départementale. Sur cette base, la municipalité a pris un arrêté pour empêcher les travaux en avril 2023. Cette décision a toutefois été suspendue en référé par le tribunal administratif sur demande du promoteur. Un arrêt du Conseil d’État est attendu pour les prochains mois.

Si tous ces barrages juridiques sont franchis et que le promoteur avance finalement sur le terrain, un autre obstacle risque de s’opposer au bon déroulé de son projet. “Il a seulement dans ses mains un permis d’aménagement, une fois qu’il a toutes les autorisations, il faudra demander les permis de construire”, prévient la maire de Fuveau. Ces permis doivent être demandés individuellement par chaque propriétaire, ou par le promoteur pour chaque habitation, et sont soumis à l’avis de la commune. “On appliquera la loi et les prérogatives d’urbanisme comme pour chaque administré”, prévient Béatrice Bonfillon Chiavassa. Ce qui n’exclut pas de nouvelles procédures devant les tribunaux.

Une bataille qui se joue également sur le terrain militant
L’aménagement du lotissement de haut standing rencontre également une opposition de la part des associations de riverains et des défenseurs de l’environnement. Ensemble, ils se sont ainsi mobilisés ces derniers mois contre ce projet, au point de laisser craindre la création d’une Zone à défendre (ZAD) cet été pour bloquer le début des travaux. “Ça a choqué et je comprend, commente la maire. Autant d’urbanisation alors qu’on parle de climat et de résilience.” Les camions de chantiers avaient fini par quitter le site suite aux protestations. Mais, selon des photographies récupérées par Marsactu, de nouveaux transformateurs électriques ont été livrés ces derniers jours sur l’ancien lieu de blocage.
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Commentaires

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  1. petitvelo petitvelo

    Comment le projet prend en compte l objectif de Zéro Artificialisation Nette ?

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  2. Regard Neutre Regard Neutre

    La toute petite commune de Fuveau s’est apparemment lancée, à l’époque, dans un projet de ZAC démesuré pour en contenir tous les effets ultérieurs et surtout l’appétit de l’aménageur qu’elle côtoyait.
    Aussi, les collectivités territoriales avant de passer un contrat de concession d’aménagement se doivent de veiller aux points de vigilance qui stipulent l’ensemble des clauses requises et en particulier, de définir précisément les modalités de contrôle de la personne publique, celles d’évolution du contrat et les conséquences de son expiration.
    En pratique, pour résilier un contrat de concession d’aménagement de manière unilatérale, elles devront se conformer aux dispositions légales et contractuelles en vigueur. Les motifs de résiliation doivent être conformes aux clauses prévues dans le contrat et respecter la législation applicable.
    Dans le cas de raisons politiques ou environnementales, la collectivité territoriale devra généralement justifier sa décision en se basant sur des éléments légitimes et en respectant les procédures spécifiées dans le contrat. Si des litiges surviennent, cela peut également impliquer des négociations ou des recours juridiques, en fonction des termes du contrat et de la législation applicable à la signature de l’acte fondateur et des actes l’ayant modifié.
    L’ancien Maire de la ville devait être certainement rompu aux opérations d’aménagement pour lancer sa petite commune dans un tel programme.
    Aujourd’hui souhaitons, dans ce conflit, bonne chance à la ville et à ses administrés…

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  3. petitvelo petitvelo

    Trop de pouvoir laissé aux maires ?

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