Avantages en nature et obscure société émiratie, le fiasco de l’Athlético Marseille décrypté

Décryptage
le 14 Déc 2023
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La chambre régionale des comptes revient  sur la gestion de l'Athlético Marseille, ex-GS Consolat, dont la liquidation a été prononcée durant l'été 2022. Elle y décrit de nombreuses irrégularités et certains financements douteux.

Stade de l
Stade de l'Athletico Marseille de La Martine. (Source : Malost via Wikimédia, CC)

Stade de l'Athletico Marseille de La Martine. (Source : Malost via Wikimédia, CC)

Au stade de la Martine (15ᵉ arrondissement), on pourrait presque croire que le GS Consolat existe toujours. Sur le maillot de l’équipe qui joue à domicile, le logo est légèrement différent, mais l’inscription “Septème Consolat” rappelle que le club qui foule la pelouse n’est plus tout à fait celui qui se rêvait en concurrent de l’Olympique de Marseille il y a six ans. Une ambition folle alors portée par l’ancien agent de joueurs Karim Aklil qui plonge finalement l’association fondée en 1964 – et devenue un temps Athlético Marseille- vers la liquidation à l’été 2022.

Comme souvent dans le foot, nous nous sommes retrouvés face à des personnes pleines de projets, mais sans argent”, nous racontait alors Richard Miron, adjoint (LR) aux sports à la Ville à l’époque. Et avec une tendance à présenter des comptes dont la traçabilité laisse à désirer. C’est en tout cas ce que confirme un rapport de la chambre régionale des comptes (CRC) réalisé un peu plus d’un an après la fin officielle de l’histoire. Un document d’une soixantaine de pages, consulté par Marsactu, qui en dit plus sur les dérives financières et la mauvaise gestion qui ont conduit à ce fiasco.

1.

Des avantages en nature accordés de “manière irrégulière” dès 2015

Le travail d’auscultation des documents administratifs et comptables du GS Consolat démarre à partir de 2015, soit deux ans avant la passation à la tête du club. Les magistrats financiers notent déjà des anomalies. À commencer par la location de “nombreux véhicules” entre 2015 et 2018 pour un total de 33 500 euros. Sur la même période, s’ajoute le règlement de vingt-quatre contraventions pour un total de 2 900 euros, dont la moitié pour une seule amende en 2017, car l’association “n’a pas transmis l’identité du conducteur du véhicule ayant commis l’infraction“.

Le rapport de la CRC pointe également des “mouvements financiers non justifiés” comme un “virement de 5 000 euros sur le compte bancaire personnel du président” et “la prise en charge de frais de transport ou de voyage pour des personnes extérieures au club ne possédant aucun mandat (y compris l’ancien président de l’association en 2018) pour près de 12 000 euros, la vente de deux véhicules avec prise en charge des taxes normalement payées par l’acheteur et sans trace de l’encaissement du produit des ventes dans les comptes de l’association”.

Tous ces “avantages en nature” automobiles ne sont jamais passés par la case assemblée générale, ce qui signifie qu’ils sont accordés “de manière irrégulière“, écrivent les magistrats. Interrogé par Marsactu, le président historique, Jean-Luc Mingallon, qui est resté au sein du club jusqu’à l’été 2018, pointe la responsabilité de Karim Aklil. Et renvoie ces pratiques à la charge de l’ancien agent de joueurs qui gère les affaires de l’association à partir de novembre 2017. “J’avais un véhicule, une carte bleue et un téléphone, j’ai toujours roulé et consommé pour Consolat”, nous indique-t-il, assurant que c’est avec l’arrivée de Karim Aklil que les locations se sont étendues. Marsactu n’a pas réussi à joindre l’intéressé et le rapport de la CRC ne précise pas les dates des locations.

2.

Un rachat pour 500 000 euros

Les magistrats relatent par ailleurs un évènement méconnu. En se préparant à prendre la tête du club, Karim Aklil amène un investisseur étranger. Le GS Consolat vient de rater la montée en deuxième division d’un rien par deux fois, l’ambition est donc d’enfin réussir à accéder à l’étage supérieur. Ce nouveau financeur s’engage à investir 1,5 million d’euros chaque année pendant cinq saisons dans l’association. Une reprise qui s’accompagne d’un contrat de consultant pour Jean-Luc Mingallon. Passé en mai 2017, il prévoit une rémunération de 500 000 euros étalés sur 25 mois.

Il me rachetait le club”, résume Jean-Luc Mingallon qui précise que cette mission extrêmement bien rémunérée ne se restreignait pas qu’au football : “Il avait aussi des projets immobiliers sur Marseille, je devais l’aider à trouver des terrains et à s’implanter“. Le contrat ne sera finalement pas honoré, car le fameux investisseur se désengage durant l’été, ce que confirme la CRC. Le rapport estime que “le changement de l’équipe dirigeante et la réorientation du projet qui a lieu en novembre 2017 est assimilable à une cession contre paiement, pour laquelle aucune somme n’a finalement été versée“.

J’ai été victime d’une arnaque“, tacle Jean-Luc Mingallon qui assure avoir porté plainte avant de se retirer estimant que la procédure n’aboutirait pas. Après cet épisode, il est remplacé en tant que président en novembre, de façon irrégulière, car l’existence même de la réunion n’est pas prouvée, mais continue à œuvrer dans le club jusqu’en août 2018 “par responsabilité pour les gamins” nous assure-t-il.

3.

Le curieux sponsoring d’une société émiratie

Pour jouer les premiers rôles sur le terrain, le projet de Karim Aklil, qui ne sera officiellement président qu’en 2019, s’appuie sur la recherche d’investisseurs pour faire grossir son budget. Un pari en partie réussi comme le souligne la CRC : “Le mécénat et les sponsors ont ainsi représenté des ressources importantes (jusqu’à environ 60 % des ressources en 2018-2019 et 2019-2020), notamment en raison de la mobilisation d’investisseurs de renom“.

À l’époque, les noms de Soulemayne Diawara et de Cyril Hanouna font rapidement le tour des médias. Le premier, ancien joueur de l’Olympique de Marseille qui était représenté par Karim Aklil, verse plus de 500 000 euros en trois ans et s’implique devant les différentes instances pour défendre le club. L’animateur télé apporte, lui, 750 000 euros en trois ans via sa société Flahapping – également détenue par Stéphane Hasbanian – qui abandonnera finalement ses créances face à l’insolvabilité de l’association.

Parmi les soutiens financiers de ce qui est alors devenu l’Athlético Marseille se trouve également une mystérieuse société basée aux Émirats arabes unis dont le nom n’est pas dévoilé. Sur la saison 2019-2020, elle investit 600 000 euros “en contrepartie d’un flocage sur le maillot des joueurs, d’espaces publicitaires au bord du terrain, d’actions de communication et de places pour les matchs“. Le rapport ne précise pas si la contrepartie a bien été effectuée, mais Marsactu n’a trouvé aucune trace d’un quelconque flocage ou de publicités, ni de cet accord.

La CRC remet par ailleurs une couche sur un projet, baptisé “socios”, qu’elle qualifie “d’opaque”. Il s’agirait de 165 supporters qui auraient payé 1000 euros chacun pour soutenir le club en échange d’avantages, ce qui avait fait tiquer les instances de contrôle du monde du ballon rond. On apprend désormais que les sommes ont été versées principalement en liquide, ce qui empêche toute traçabilité. Seule indication connue : le dispositif a permis de payer des salaires et défraiement pour 82 875 euros, “ce qui est irrégulier“.

4.

Une organisation qui fait fuir les collectivités

Ce sont d’ailleurs les doutes sur les comptes du club qui conduisent les instances à le rétrograder administrativement. À travers son rapport, la CRC montre à plusieurs reprises les défauts de gestion de l’association. De la “désignation irrégulière” en 2017 du nouveau président, aux quatre changements de statuts en deux ans et demi ou encore avec une gestion administrative “approximative, notamment pour l’archivage de documents“. Un audit est même commandé et payé sans qu’il ne puisse aboutir, faute de documents suffisants.

Les derniers soutiens financiers de l’association que sont les collectivités vont lâcher le projet après l’épisode, révélé par L’Équipe, de la “fausse lettre de Renaud Muselier”. Il s’agit d’un faux document signé par le président de région et daté de juillet 2019 qui s’engage à apporter une subvention de 230 000 euros. Malgré cette absence de soutien, le club garde un effectif pléthorique sur ses trois dernières saisons : a minima, quatre fois plus de joueurs rémunérés via des contrats que dans les autres équipes de la même division. En juin 2021, le déficit cumulé dépasse les 600 000 euros.

Le dernier espoir de la direction de l’époque se trouve à Aix-en-Provence où l’adjoint aux sports Francis Taulan montre un intérêt de voir déménager le club et le soutenir non pas par des subventions, mais via l’occupation de certains terrains. L’association prend d’ailleurs le nom d’Athlético Aix-Marseille-Provence, mais le projet n’ira guère plus loin puisque la maire s’y oppose par courrier en août 2021. Un an avant la liquidation du club.

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Commentaires

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  1. Zumbi Zumbi

    Encore faut-il ajouter que l'”agent” se prévalait d’un titre qu’il n’avait pas https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/L-ex-agent-karim-aklil-condamne-a-six-mois-de-prison-avec-sursis/1395779
    Un leurre de plus dans ce bizness exploitant des gamins éblouis par les flots de thune annoncés, la frime des grosses bagnoles (de location)…
    et ô surprise Hanouna rôdait dans les parages… Bizness 1, sport 0.

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    • Patafanari Patafanari

      Et Vassal qui a donné son nom au Stade.

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  2. chouze chouze

    Un beau gachis .

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  3. Gabriel Gabriel

    Au final, environ 2 millions d’€ envolés (500 + 750 + 600 + 165) ?
    Dont rien mis par le repreneur ?

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    • Patafanari Patafanari

      Les voiles.

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