Projet de chaufferie à Arkema Saint-Menet : solution miracle ou greenwashing ?
L'usine de plastique Arkema, dans le 11ᵉ arrondissement de Marseille, prévoit d'installer une chaufferie non pas alimentée en gaz mais en déchets. Quel est donc ce procédé d'un nouveau genre ? Quelles garanties environnementales présente-t-il ? Marsactu vous explique en huit questions.
Le site Arkema à Saint-Menet. (Photo : Flickr/marcovdz)
Depuis quelques semaines, les inquiétudes des habitants de Saint-Menet (11ᵉ) sont régulièrement chroniquées dans la presse locale. L’annonce du dernier projet en date porté par l’usine Arkema, classée Seveso pour la dangerosité des substances qui s’y trouvent, passe mal. Le producteur de plastiques installé dans cette zone mi-résidentielle, mi-industrielle compte en effet se doter d’une nouvelle chaufferie productrice d’énergie. Celle-ci devrait lui permettre de réduire sa dépendance au gaz et de faire quelques économies.
La concertation publique du projet, qui s’est tenue après l’été, n’a pas suffi à apaiser la colère du voisinage. Au contraire. S’il semble plus écologique que les chaudières au gaz utilisées actuellement, associations et riverains dénoncent un projet aux relents de greenwashing, c’est-à-dire d’écologie de façade. “Sur le plan environnemental, je ne vois pas l’intérêt”, s’interroge carrément auprès de Marsactu Stéphane Coppey, de l’association France Nature environnement des Bouches-du-Rhône (FNE13).
La chaufferie en question, que Dalkia, filiale d’EDF, prévoit de construire en 2025 pour une mise en service fin 2026, doit pourtant utiliser un procédé largement soutenu par l’État. Notamment grâce à une législation de plus en plus permissive sur les composants des combustibles. De quoi s’agit-il précisément ? Quels sont les enjeux de ce type d’installation ? Après avoir épluché les documents de présentation de ce système de chaufferie et échangé avec les opposants et les porteurs de projet, Marsactu fait le point sur ce projet controversé.
Une chaufferie CSR, qu’ès aco ?
Appelée incinérateur ou unité de valorisation selon que l’on dénonce ou soutienne le projet, la chaufferie CSR (pour combustibles solides de récupération) est une installation qui a pour but de produire de l’énergie en brûlant des granulés fabriqués à partir de matériaux, en théorie, issus de nos déchets. À ce jour, en France, les chaufferies CSR fonctionnelles se comptent sur les doigts de la main et se trouvent en général corrélées à une installation industrielle. Mais l’État pousse fortement pour leur création. “La recherche de voies d’approvisionnement énergétique plus économiques que les énergies fossiles et moins émettrices de gaz à effet de serre est observée chez les industriels gros consommateurs d’énergie. Les énergies renouvelables, mais également les déchets, peuvent constituer ces nouvelles sources d’approvisionnement”, peut-on lire sur le site de l’agence de la transition écologique rattachée à l’État (Ademe), qui dédie une page entière à la promotion des CSR.
Cependant, la liste des matériaux acceptés pour fabriquer du “CSR” fait débat. Il s’agit, selon l’Ademe, de “déchets non dangereux solides” et ne pouvant pas être recyclés ou plus précisément, “ne pouvant être recyclés dans les conditions économiques et techniques du moment”. Selon les services de l’État, les CSR représenteraient donc une formidable alternative à l’enfouissement de déchets. Un argumentaire qui ne convainc pas les associations de protection de l’environnement. “Derrière les CSR se cachent beaucoup de chose qui peuvent être valorisées, comme le bois”, estime pour sa part le représentant de FNE13.
Concrètement, qu’est-ce qu’on y brûle ?
Les CSR peuvent en effet être confectionnés avec du bois mais aussi des huiles usagées, pneus usés, farines animales, solvants usagés, déchets de viscose, boues d’épuration… Il n’existe pas de liste exhaustive pour les CSR, le tout étant d’obtenir un mélange homogène qui réponde à un indice calorifique particulier et ne dépasse pas un certain taux de substances pouvant être nocives.
Et à Saint-Menet ?
Questionné par le collectif anti-nuisance (CAN), les porteurs de projet de la chaufferie d’Arkema ont précisé dans une réponse par mail – consultée par Marsactu – les déchets qu’ils prévoient d’utiliser et leur répartition. Dalkia évoque ainsi 30 % de bois, 45 % de papier et carton, 15 % de plastique et 10 % de textile. Des déchets qui pourraient être recyclés plutôt que brûlés ? Questionné par Marsactu, l’industriel assure que 100 % de ces matériaux proviendront “d’une filière de déchets non recyclables”. Mais interrogé sur la présence potentielle d’autres matériaux, Dalkia élude : “La composition du CSR doit répondre aux normes de l’arrêté 2016”. Or, l’arrêté du 23 mai 2016, relatif à la préparation des CSR, pose la possibilité qu’ils ne soient pas composés que de déchets.
Dans un “plaidoyer pour l’arrêt du projet”, le collectif Marseille sans CSR, monté par des riverains, craint un combustible qui serait fait à base de “bois peints, traités, vernis ; de papiers, cartons souillés ; de plastiques ; de tissus souillés ; de mousses ; de divers résidus industriels dont des élastomères (pneus…)”. L’arrêté cité plus haut autorise en effet la présence de mercure, un métal lourd, ou de chlore ainsi que d’autres halogènes, des substances très nocives pour la santé et l’environnement, tolérées en quantités limités. “Les concentrations de ces substances sont encadrées par cet arrêté, qui vise à les limiter. Le traitement des fumées permettra de capter ces substances afin de répondre aux normes de rejet”, se défend l’industriel sur ce point.
De quelles quantités parle-t-on ?
La totalité des matériaux destinés à être brûlés sur le site d’Arkema représentera, selon la déclaration d’intérêt des porteurs de projets, 45 000 tonnes par an. L’objectif pour l’industriel est d’obtenir une chaudière avec une puissance de 19,9 MW, qui fournira 22,5 tonnes par heure de vapeur. Dans le domaine industriel, il ne s’agit pas là d’une grosse installation, on parle de chaudières “locales”. À titre d’exemple, la chaufferie CSR installée au sud de Lyon devra consommer 200 000 tonnes annuelles de granulés pour une production de 85 MW.
Une réduction des émissions de CO2 ?
Selon l’Ademe, le facteur d’émission du dioxyde de carbone des CSR est “de 20% à 30% inférieur à celui du gaz.” Dalkia estime de son côté que son installation permettra à Arkema de réduire de 10 % ses émissions de CO2.
Pour les associations, cette réduction ne concerne que le CO2 “taxable”. Car les émissions de CO2 à partir d’une chaufferie CSR ne sont pas comptabilisées si les combustibles sont réalisés à partir de 50 % de biomasse, c’est-à-dire de matière organique, comme le bois. Mais “l’atmosphère ne fait pas le tri !”, s’indigne Stéphane Coppey.
Et pour les autres émissions ?
Dans un compte-rendu de la concertation consulté par Marsactu, Stéphane Rabia, directeur commercial chez Dalkia, affirme que l’installation “ne va pas générer plus d’émissions qu’actuellement, mais […] permettra au contraire de les réduire d’un tiers.” Une phrase “ambigüe”, notent le CAN et FNE13 qui réalisent le compte-rendu. “Un tiers d’émission en moins, est-ce un tiers de pollution en moins ?”, se questionnent ainsi les associations. Outre le CO2, de quelles émissions parle-t-on ?
Dans un document de demande d’autorisation d’exploitation, Suez, qui détient une chaufferie CSR dans les Hauts-de-France, mentionne des rejets atmosphériques de vapeur d’eau, de dioxyde, de chlorure d’hydrogène, de monoxyde de carbone, mais aussi de substances plus dangereuses, comme le souffre, l’oxyde d’azote (les fameux Nox), le mercure, le dioxine ou encore les furanes. Toujours lors de la concertation, Stéphane Rabia a assuré “qu’en cas d’écart, un arrêt de l’installation” aurait lieu.
Quelles garanties pour les riverains et l’environnement ?
Pour le moment, aucune étude sur la santé ne serait prévue. Mais “des campagnes de mesure de référence de l’air et des sols ont été réalisées par une société agréée. Le dossier est instruit dans un cadre règlementaire qui associe l’ARS (Agence régionale de santé)”, tente de rassurer la filiale d’EDF. Aussi, ajoute l’énergéticien, “des analyses sur les fumées seront réalisées en continu sur l’installation” et les résultats seront transmis aux services de l’État. Par ailleurs, il précise que “ces contrôles seront également partagés dans le cadre du Comité de suivi de site d’Arkema Marseille” et enfin, que “dans le cadre de ses missions, Atmosud aura donc la possibilité de suivre l’environnement de l’installation.”
Contactée par Marsactu, l’association agréée par l’État pour contrôler la qualité de l’air indique avoir échangé avec des associations de protection de l’environnement. “Mais nous n’avons reçu aucune sollicitation officielle, ni des pouvoirs publics, ni d’Arkema, qui est par ailleurs membre de la structure”, fait remarquer Dominique Robin, directeur d’Atmosud, qui admet par ailleurs ne pas connaître les détails du projet.
Quel est l’intérêt de cette chaufferie pour Arkema ?
L’avantage pour l’industriel est avant tout financier. L’installation d’une chaufferie CSR sur son emprise va lui permettre d’alimenter l’une de ses deux chaudières, au gaz celle-ci, “à son minimum technique”, précise Dalkia dans sa déclaration d’intention. Ainsi, Arkema réduit sa dépendance au gaz, au coût instable et sous tension dans le contexte géopolitique actuel.
Pour ce projet, l’industriel va devoir investir. Mais il va aussi bénéficier d’une aide conséquente des pouvoirs publics, au premier rang desquels l’État, via l’Ademe, qui devrait assurer entre 30 et 40 % de l’investissement total estimé entre 40 et 50 millions d’euros. Plus précisément, il s’agira d’une enveloppe à 14,9 millions d’euros, “dans le cadre de l’appel à projets CSR 2021”, confirme le service communication de Dalkia à Marsactu. Enfin, la réduction de ces émissions de CO2 taxables permettront aussi d’importantes économies. D’ici à 2030, la tonne de CO2 devrait en effet couter 100 euros à son producteur. Une donnée qu’a forcément en tête Arkema qui, en 2022, en a produit 20 250 tonnes.
Commentaires
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Bref l’état, l’adéme, et les industriels Dalkia et EDF pensent que ce sont des solutions a promouvoir et de l’autre des associations font peur a des riverains. L’argument est que bruler du bois au lieu de bruler des produits pétrolier, c’est mal ? Bref que du renouvelable (bois) c’est moins bien que du gas ??? Laissons vivre notre industrie.
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Il y a déjà quelques unités de ce genre dont l’une que je connais un peu au sud de Nancy.
On peut lire : https://atee.fr/system/files/2020-02/2018.06_Rapport_ANCRE_CSR.pdf
ou rechercher “CSR meurthe et moselle”
Selon moi, il est préférable de bruler dans de bonnes conditions (avec les filtres appropriés) tout ces meubles de cuisine en aggloméré, l’huile de vidange, etc … plutôt que de ne pas les recycler et même, souvent, de les recycler.
En effet, le recyclage des composites et des mélanges est une opération difficile voire quasi impossible. Alors soit on les interdit à la vente soit on les brûle en fin de vie.
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Je suppose que les métaux toxiques dans les fumées, même si une certaine partie sera éliminé par filtre, vont retomber dans les alentours. Apres ce qu’on a vu dans la région Lyonnaise ou les toxines se trouve dans les légumes, je trouve ça totalement incompatible avec le discours de promouvoir le circuit court et injuste pour les producteurs de la région d’Aubagne.
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Moi aussi je trouve cela incompatible avec une vie saine dans nos ville mais le problème c’est que ces déchets sont là … et que le plus souvent je les vois s’étaler sur les trottoirs des quartiers nord de Marseille.
Ils sont là, qu’est-ce qu’on fait ? On les enterre ? Les composés chimiques nocifs percoleront doucement dans les sols et la bombe explosera plus tard.
Personnellement, je pense utile d’en tarir la source.
Mais cela aura un coût à court terme que nous ne sommes pas forcément prêt à payer : la majorité des consommateurs (dont je fais partie) les utilisent car c’est d’un bon rapport utilisation/prix malgré le fait qu’on finisse par les jeter car ce n’est pas si durable que ça et, aussi, que ce serait pire pour l’écologie de les bruler dans sa cheminée ou en plein air, ce qui se fait malheureusement trop souvent.
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Pour cerner l’impact global d’une chaufferie CSR sur l’environnement local, il est essentiel d’évaluer plusieurs aspects :
Émissions atmosphériques : Analysez les émissions de gaz à effet de serre, de particules fines et d’autres polluants atmosphériques pour évaluer l’impact sur la qualité de l’air local.
Gestion des déchets : Étudiez comment la chaufferie contribue à la gestion des déchets locaux, en favorisant le recyclage énergétique plutôt que l’enfouissement, ce qui peut réduire la pression sur les sites d’enfouissement.
Bruit : Évaluez les niveaux sonores générés par la chaufferie, car le bruit peut avoir des implications directes sur la qualité de vie des résidents locaux.
Consommation d’eau : Si la chaufferie utilise de l’eau dans ses processus, examinez l’impact sur les ressources en eau locales, en particulier dans les régions où la disponibilité de l’eau est une préoccupation.
Effets visuels : Considérez l’impact esthétique de la chaufferie sur le paysage local, ce qui peut influencer la perception communautaire.
Emplois et économie locale : Évaluez la création d’emplois locaux et les retombées économiques positives liées à la construction et à l’exploitation de la chaufferie.
L’analyse de ces aspects devrait permettre une évaluation plus complète de l’impact global de la chaufferie CSR sur son environnement local.
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Est ce que ce projet n’est pas plus neutre ou même positif en terme d impact sur l environnement que celui de la centrale de gardanne qui pour fonctionner nécessite du bois prélevé au Brésil et dans d’autres forêts primaires .
Au regard du contexte du site le projet de chaufferie n’aura pas d’impact paysager car dans le site d arkema idem pour le bruit.
Faut il rappeler que le site d arkema St menet existe depuis plus de 60 ans et que les riverains continuent à en découvrir l existence !
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Un site classé Seveso est une installation industrielle présentant des risques importants en raison de la manipulation et du stockage de substances dangereuses. Les effets sur les habitants directement impactés peuvent inclure des préoccupations liées à la sécurité, la santé et l’environnement. Cela peut engendrer des mesures de protection renforcées, des plans d’urgence, et parfois des restrictions d’urbanisme dans les zones proches du site pour minimiser les risques potentiels.Les habitants peuvent ressentir un stress accru lié à la perception des risques, et il est essentiel que les autorités communiquent de manière transparente pour assurer la sécurité et rassurer la population. De plus, des mesures de suivi médical et environnemental peuvent être mises en place pour évaluer et atténuer les impacts potentiels sur la santé et l’écosystème local.
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