Pierre-Olivier Costa : “Nous voulons changer la sociologie du public du Mucem”

Interview
le 13 Oct 2023
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Fréquentation, ouverture sur la ville, contenu des expositions... le nouveau président du musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée, évoque ses ambitions futures pour le lieu. En cette année de 10e anniversaire, Pierre-Olivier Costa entend attirer de nouveaux publics et replacer la collection du musée au cœur de sa démarche.

Pierre-Olivier Costa, président du Mucem depuis début 2023. (Photo : Agnès Mellon / Mucem)
Pierre-Olivier Costa, président du Mucem depuis début 2023. (Photo : Agnès Mellon / Mucem)

Pierre-Olivier Costa, président du Mucem depuis début 2023. (Photo : Agnès Mellon / Mucem)

Dix ans. Sous son iconique résille de béton anthracite, le musée des civilisations de l’Europe et de Méditerranée fête cette année sa décennie. L’occasion d’un entretien avec Pierre-Olivier Costa, nouveau président de l’établissement entré en fonction au printemps dernier. Il y a pris la suite de Jean-François Chougnet, 8 ans à ce poste. Ce week-end se tiennent au Mucem les journées nationales de l’architecture. Deux jours durant, l’établissement culturel y affichera sa volonté à travers ateliers, conférences et tables rondes de réfléchir à sa place “de musée dans la ville“.

Quelle est-elle, cette place ? En une décennie, le musée est devenu un site emblématique dont nombre de Marseillais et visiteurs s’approprient volontiers les espaces extérieurs. Mais poussent plus rarement les portes des expositions. Comme le montrait notamment la série d’été de Marsactu consacrée au lieu. Le nouveau président de ce musée national – financé presque exclusivement par le ministère de la Culture via une enveloppe annuelle de 19 millions d’euros – dit en avoir conscience et vouloir attirer de nouveaux publics.

Parmi les leviers qu’il promet d’actionner: la mise en valeur à partir de la mi-décembre de la collection unique de ce musée de société. Ce rendez-vous permettra peut-être en partie de compenser l’annulation de l’exposition phare annoncée pour février. Exit le dialogue prévu, de février à septembre 2024, entre les œuvres mi pop mi punk de l’artiste contemporain britannique Damien Hirst et les objets tirés de la collection. L’artiste voulait exposer plus d’œuvres, les budgets n’ont pas suivi. Si les équipes “travaillent” à des propositions de remplacement, rien n’est acté pour l’heure. Le président veut voir plus loin. Et l’affirme, désormais, “s’il y a une star à chercher dans les expos à venir, ce sera notre collection !”

Vous l’avez dit lors de la conférence de presse présentant “Un musée dans la ville”, temps fort de ce week-end, les Marseillais se sont appropriés le Mucem. Comment vous analysez-vous cet attachement ?

Pour le Mucem, c’est une fierté. C’est une fierté d’avoir rendu aux Marseillais des espaces qui étaient inutilisés. Cette partie de la ville était désertée. Le Mucem a permis de retrouver des espaces de vie communs. Évidemment, pour un espace qui est un musée de société et un lieu de dialogue, avoir créé des espaces de retrouvailles en plein cœur de cette ville, c’est un vrai symbole de ce qu’il est et devrait être encore plus dans les années qui viennent.

En juin dans les colonnes de La Marseillaise, l’architecte des lieux, Rudy Ricciotti – que vous invitez durant ces journées  – ne mâchait pas ses mots à l’égard de la direction du musée. Il dit que le bâti est “maltraité”. C’est le cas ?

Le Mucem n’a pas de problème avec le bâtiment. Mais nous tentons d’entretenir un bâtiment – et c’est tout ce qui fait sa force – qui est unique et n’a pas de mode d’emploi ! Nous l’écrivons au fur et à mesure que l’on regarde le bâti vieillir, se confronter à la mer, au vent… Le public aussi profite de ce bâtiment et se confronte à lui. 1,2 million de visiteurs par an ce n’est pas rien ! Et je sais que Rudy a fait ce bâtiment pour ça.

On a parlé du contenant mais il charge aussi sur le contenu des expositions. Il parle de “folklore international”, de “soumission à l’impérialisme anglo-saxon”. Une critique recevable ?

J’écoute ce que dit Rudy Ricciotti comme j’écouterais ce que dit n’importe quel visiteur. Nous sommes sûrement le plus grand musée de société d’Europe et même si on n’est pas toujours bien considérés chez nous, nous sommes très observés à l’extérieur. Nous sommes aussi un lieu de confrontation entre nos collections et des artistes qui ne sont pas que franco-français. On a réalisé ce dialogue avec Jeff Koons. Et on le fera bientôt avec Hervé Di Rosa et Macha Makeïeff.

Ce choix de grands noms, comme Jeff Koons ou Picasso, vous a été parfois reproché. Est-ce le rôle d’un musée de société de les exposer ?

Au cœur du projet pour les dix prochaines années, il y a la collection. On était le seul musée national sans collection permanente visible. Elle est mal connue, mal considérée parfois, et pas toujours vue. Puisque précédemment 60% des expositions se faisaient sans objets de la collection. Donc l’idée c’est que s’il y a une star à chercher dans les expos à venir, ce sera notre collection ! C’est le sens de l’ouverture, le 13 décembre, de notre exposition permanente intitulée “Populaire ?”.  C’est dans cette direction-là que nous irons à l’avenir. Je n’irai pas solliciter tel ou tel artiste. On sera toujours à l’écoute de ceux qui veulent venir nous voir, mais il faut qu’ils considèrent que notre collection a un rôle de développement d’émotions à jouer.

Par le passé, on ne les a pas assez exposées, ces collections?

Dans ce “on” il y a nous tous. On a tous une conception du musée des beaux-arts avec des peintures et des cadres dorés, des vitrines et des choses de grande valeur. Nous on a des collections d’objets du quotidien. On se moque parfois de ce musée qui peut présenter des armoires normandes. Le Mucem porte toute une tradition patrimoniale. La preuve : il y a cinq ou six ans, on avait 400 demandes de prêts de nos objets par an de la part de musées des beaux-arts, maintenant c’est plus du double. Ça montre que les visiteurs ont envie d’expositions où l’émotion submerge un peu la connaissance.

Plus globalement quel bilan dressez-vous des dix premières années du Mucem ?

C’est un énorme succès. En peu d’années, le musée est devenu un totem de cette ville, mais aussi un acteur économique, en termes d’attractivité touristique. On dialogue avec tout ce qui nous entoure et nous sommes devenus quasiment indispensables à cet environnement. Et nous avons, dans notre domaine, une aura internationale très forte.

Et en termes de fréquentation?

1,2 million de personnes par an sur le site, cela nous place parmi les 10 meilleurs musées nationaux en France. Et le seul de cette taille en province. Cela nous permet d’envisager de surfer sur cette réussite pour aller chercher d’autres publics. Mais nous ne pouvons pas nous contenter du public que nous avons. Dans les années qui viennent, nous voulons changer la sociologie de ce public. Ce public qui s’est peut-être dit un jour ‘le Mucem n’est pas pour moi”, on va essayer de le persuader du contraire et lui dire “vous nous manquez”.

Ce désir d’une culture pour tous est un peu la tarte à la crème de tous les établissements culturels… Comment arrive-t-on à attirer des gens qui pourtant vivent tout près ? Dans vos bilans, on voit bien, que sur les 1,2 million de visiteurs des lieux, seul un tiers pousse la porte des expos. Et sur les Marseillais seuls 9% viennent des quartiers Est, 11% du Nord contre 53 % habitant le centre-ville, 27 % les quartiers Sud…

Il y a une pluralité de choses à tenter. Avoir des publics populaires on en parle, comme vous le dites depuis des années, mais on voit bien qu’un musée reste sociologiquement un lieu pour personnes habituées à la culture. Nous sommes le seul musée national sur ce territoire et aussi le seul musée qui n’a pas une collection de beaux-arts, mais une collection qui peut jouer sur la proximité et l’émotion. Donc nous allons mettre ça en avant. Et on va aussi utiliser tout un tas de messages que ce soit la signalétique, la communication, l’affichage, les titres des expositions… Pour libérer un accès qui est parfois compliqué. Parce ce que rentrer dans un musée ce n’est jamais très simple.

Quelles initiatives envisagez-vous ?

Nous avons d’abord créé un conseil des publics. Se confronter à des personnes qui vous expliquent pourquoi ils ne viennent pas, pourquoi ça ne les touche pas, c’est forcément intéressant pour nous. Ce conseil s’est réuni pour la première fois le 25 septembre pendant toute une journée.

Est-ce que ça ne sera pas un… machin, un gadget ?

(Il rit) On a tout fait pour que ça ne soit pas un machin ! L’avenir nous le dira. Sur l’intention notre sincérité s’est vue. Et les 17 personnes sollicitées sont venues. Ce sont des personnalités qui œuvrent auprès de publics pas forcément présents chez nous. Des habitants des secteurs Nord, Est, Sud de la ville car, vous l’avez souligné, on a une surreprésentation du centre-ville dans notre fréquentation. Ce sont des gens avec qui on travaillaient déjà. Notamment sur l’initiative du bus Destination Mucem, qui va chercher des habitants dans les quartiers Nord, Est et Sud, ou dans des opérations avec les centre sociaux. Ce conseil réunit aussi des représentants du Protis club, des supporters de l’OM, quelqu’un de l’AP-HM, un membre de l’aide sociale à l’enfance, un pédopsychiatre, un représentant du monde judiciaire…

Sur quoi ont porté vos premières discussions?

On a présenté les deux expositions permanentes des six prochains mois. Ludovic Yken [le nouveau directeur de la communication, ndlr] a présenté des affiches de futures expositions. On a expliqué les outils de communication, de médiation. On a réfléchi au nom des expositions. Il y a des choix d’adresse au public qui font que parfois, sans le savoir, on en exclut une partie. Si je prends comme exemple une exposition passée, un titre comme “Alexandrie futurs antérieurs” je ne le comprends pas et personne à l’interne ne peut m’expliquer ce que ça veut dire ! Or les gens, à l’extérieur ils pensent qu’on comprend. Ça creuse un fossé! Si on l’avait appelée “Alexandrie Alexandra” (il rit), c’était un autre choix, on envoyait un autre message, d’autres références.

Il faut aussi réfléchir à amener le Mucem ailleurs. Le chemin doit se faire dans les deux sens. Il est important que les gens nous voient et ne nous voient pas juste les attendre. Avec ce conseil, on a envie de dire aux publics : “Trouvons ensemble des solutions puisqu’on est prêts à tout changer !”

Dans la feuille de route du Mucem il y a bien sûr cette idée de “faire société”. Le concept est beau. Mais comment le rend-on concret dans une ville comme la nôtre, une ville compliquée, avec de grands tiraillements sociaux ?

Vous avez raison. Il ne faut pas répondre à cette question par des concepts. Quand je parle du conseil des publics, c’est concret. Il y a deux jours j’ai rencontré une dame qui a créé une association après les émeutes et vise à ce que l’on se ressoude les uns les autres. Elle me dit qu’elle cherche un lieu pour sa conférence de presse, je lui dis : “Venez chez nous”. Elle me répond : “Ben non, je pense que c’est trop élitiste.” C’est exactement le genre de réponse que je ne veux plus entendre!

Pour les dix ans, on a fait des fêtes, on a pu jouer à la pétanque, on a organisé des concerts. On avait envie d’adresser un message à tout notre environnement. Avec ce geste architectural, Marseille a changé, ce quartier a changé. Ce musée qu’on croit fait pour quelques uns a un impact sur tout et tous !

Marsactu en a rendu compte : des personnels de prestataires qui travaillent au Mucem expriment une forme de mal-être. Est-ce qu’il n’y a pas là un paradoxe quand on est un musée qui porte des valeurs d’éthique, d’égalité, d’inclusivité ?

Quand ces personnels revendiquent des choses qui dépendent de leur patron, ils le font ici, comme si on l’était alors qu’on ne l’est pas. On est très démunis. On peut mettre dans les contrats que l’on passe avec nos prestataires des clauses spécifiques mais nous ne pouvons pas leur accorder, nous, une augmentation à la place de leur patron… On a beaucoup discuté avec eux. Je les ai reçus et je continuerai à les recevoir. Ce sont parfois des personnes qui travaillent ici depuis 10 ans. Ils ont un lien très familier avec ce musée et ont l’impression que ce musée le leur rend mal. Donc il faut que l’on rééquilibre cela. Après, on a un plafond de dépenses et on gère tout ça au quotidien.

Cela pose la question récurrente de l’externalisation de certaines missions de service public. Ces personnels ne pourraient-ils pas être des agents du Mucem?

Je leur ai expliqué qu’aujourd’hui le ministère de la Culture n’allait pas intégrer dans son personnel 200 ou 250 personnes de prestataires du Mucem. Parce que si on le fait pour le Mucem, on devra le faire pour tous les autres musées nationaux. On n’est pas dans l’augmentation du nombre de fonctionnaires du ministère de la Culture. Et d’aucun d’ailleurs.

Idéalement, comment voyez-vous le Mucem dans dix ans ?

Idéalement, dans 10 ans, je vois une collection au cœur de tout, qui est plus vue, apporte plus d’émotions. Dans 10 ans, je vois un conseil des publics – qui aujourd’hui se réunit dans une petite salle – ne plus pouvoir entrer dans cette petite salle ! Je vois aussi le Mucem comme un lieu de réconfort, de santé, de loisir, d’amusement. J’aimerais que dans 10 ans il y ait encore plus de vie qu’aujourd’hui autour du Mucem, je trouve cette esplanade parfois un peu vide.

Le mot émotion est revenu souvent durant cet entretien. Ce sera le fil rouge de votre mandat de président ?

Oui. Les œuvres d’art ont parfois souffert de leur beauté froide. Il fallait les aimer parce qu’on nous avait dit que tel tableau était un chef d’œuvre. Je pense qu’il était temps que la collection du Mucem sorte et s’exprime. Il y a 25 ans, à la Réunion des musée nationaux [où il a été en poste durant plusieurs années, ndlr] quand on allait voir les acquisitions des musée des arts et traditions populaires, les gens se marraient et trouvaient ridicule qu’on intègre une marionnette ou une couscoussière. Aujourd’hui, si on nous demande autant de prêts, c’est bien parce que cette marionnette et cette couscoussière ont à dire des choses très émotionnelles.

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Commentaires

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  1. Forza Forza

    Très belle interview (enfin ! 😁) Y’a plus qu’à… Enfin évitons quand même de transformer l’esplanade du J4 en champ de foire permanent façon Champ de Mars parisien : ce qui fait l’attrait de cette esplanade, c’est son ouverture sur la mer – la suivante de ce côté là est à… L’Estaque !

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  2. Alceste. Alceste.

    “On croit que les rêves, c’est fait pour se réaliser. C’est ça, le problème des rêves : c’est que c’est fait pour être rêvé.”
    Coluche

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  3. Patafanari Patafanari

    Ce n’est pas très gentil pour ceux qui se dévouent pour y aller.

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  4. Franck Franck

    Le bâtiment est moche. C’est un cube noir qui défigure l’entrée du port. Le contenu des expositions n’intéresse que les bobos, il n’y a jamais rien eu de notable en terme qualitatif.

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    • julijo julijo

      des exemples ? des arguments ?

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  5. MalMass MalMass

    Cher Franck, un bâtiment moche dans un coin de ville moche, çà peut donner un ensemble très beau, surtout face à la mer. Et il ne faut pas venir souvent pour penser qu’il n’y a que des “bobos” qui viennent.

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  6. Patafanari Patafanari

    Les architectes contemporains n’ont pas été inspirés par les bords de mer. L’opéra de Syndney qui ressemble à des bols mis en vrac dans l’égouttoir,le Louvre d’Abu Dhabi à un soufflé au fromage.

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    • Patafanari Patafanari

      Et à Marseille on a le casier à homards.

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  7. pas glop pas glop

    « Quand ces personnels revendiquent des choses qui dépendent de leur patron, ils le font ici, comme si on l’était alors qu’on ne l’est pas. »
    Certes mais c’est le Mucem qui choisit quelle entreprise prendre parmi celles qui répondent aux appels d’offre. Et le principal critère de choix est économique… C’est aussi le Mucem qui plutôt que de procéder à des embauches utilise des micro-entrepreneurs.
    Sans oublier qu’avec le musée du Quai d’Orsay, le Mucem est à l’avant-garde de la privation des musées nationaux : restauration, vestiaire, médiation en salle, sécurité, vestiaire, billetterie, librairie, médiation en salle, fluides, nettoyage, visites guidées, programmation estivale, etc.

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  8. pas glop pas glop

    Où est passé le 2e M du Mucem ? La Méditerranée semble être la grande oublié de la politique culturelle et de la programmation des prochaines années…

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  9. kukulkan kukulkan

    Alexandrie Alexandra ? mais lol c pas une expo sur Claude François… Franchement avec cette réflexion je sens que le niveau peut baisser malheureusement …

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