Hausse de loyers, pénurie d’offres… les vraies raisons de la crise de l’immobilier

Décryptage
le 29 Sep 2023
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Entre les prix de l’immobilier qui augmentent, les offres de locations qui se raréfient et des demandes dans le parc social de plus en plus nombreuses, le secteur du logement est complètement bloqué à Marseille. Marsactu décrypte la situation.

Vue sur les toits de Marseille. Image : RB.
Vue sur les toits de Marseille. Image : RB.

Vue sur les toits de Marseille. Image : RB.

Des prix au plus haut, une offre locative qui se raréfie, des taux d’emprunt en flambée constante… “Tous les voyants sont au rouge”, s’alarme Danielle Dubrac, la présidente de l’Union des syndicats immobiliers (Unis) lors du congrès des professionnels du secteur à Marseille, mi-septembre. Depuis plusieurs mois maintenant, la crise du logement et de l’immobilier fait parler d’elle.

Un constat unanimement partagé par tous les acteurs dans ce domaine, du ministre aux  associations en passant par les élus et syndicats. Une crispation nationale, à laquelle Marseille n’échappe pas, bien au contraire. Marsactu s’est penché sur le sujet. Décryptage en six questions.

C’est quoi une crise du logement ?

Crise ou bulle qui éclate, qu’importe le terme choisi, le secteur du logement va mal. “Il y a en réalité de multiples crises, celles structurelles comme le mal-logement ou le ralentissement de la mobilité résidentielle, et celles plus récentes avec la hausse des taux d’intérêt et la chute de la construction neuve“, explique Pierre Madec, économiste à l’observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et auteur du livre Les crises des logements.

Un effet cocktail qui bloque le “parcours résidentiel” entre différents types de logements. “Le principe est un peu celui d’un escalier ou en allant sur une marche on libère la sienne”, illustre Pierre Madec. Sur le papier donc, un locataire du parc social ou privé, accède à la propriété et libère sa place, puis opte pour un logement plus grand laissant ainsi le sien, etc. Une mécanique bien huilée en théorie qui se grippe aujourd’hui.

Est-ce pire à Marseille ?

La crise est peut-être encore plus forte ici qu’ailleurs“, jugeait Patrick Amico, l’adjoint en charge du logement de la Ville, lors du congrès de l’Unis. Pourquoi ? “Parce que le taux de pauvreté atteint 26 %, c’est deux fois plus que la moyenne nationale et ces personnes sont en difficulté car elles ne trouvent rien“, détaille-t-il auprès de Marsactu. Résultat, “il y a plus de 50 000 demandes de logements sociaux contre 30 900 mi-2020“. Avant l’été, la Ville s’est fait épingler par le préfet pour sa carence de construction, un sujet sur lequel elle pointe la responsabilité de la métropole. Une escarmouche politique sur des compétences territoriales qui ne répond pas à la situation à l’instant T compte tenu des délais de construction.

Le blocage de la “mobilité résidentielle” décrite plus haut des locataires commence dans le parc social. Et déborde inexorablement dans le privé. À Marseille, cette mobilité est très faible. Elle est symbolisée par le taux de rotation – le changement d’occupant d’un logement – qui se situe à 17 % dans le parc privé.

Ce chiffre historiquement bas est le plus faible de la métropole selon l’Agence départementale pour l’information sur le logement (Adil). “Ce faible taux de rotation est révélateur des difficultés que peuvent rencontrer certains ménages marseillais à se loger au vu de leurs ressources“, écrit-elle dans son dernier rapport.

Marseille est-elle trop chère?

L’une des premières raisons avancées du blocage du parcours résidentiel est l’augmentation du prix du mètre carré qui empêche l’accès à la propriété. “Les prix étaient bas et la demande est de plus en plus forte”, avance Patrick Amico pour expliquer cette hausse des prix des biens. “C’est la métropole la moins chère de France”, abonde François-Xavier Guis, président de la FNAIM Aix-Marseille, la fédération des agents immobiliers, qui voit dans ce critère un argument d’attractivité immobilière.

L’évolution exacte est difficile à chiffrer, les données étant souvent datées ou incomplètes, notamment à l’échelle locale. L’Insee indique toutefois que les tarifs des appartements anciens sont aujourd’hui plus élevés de 36,4 % par rapport à fin 2015. Sauf qu’en parallèle, le pouvoir d’achat lui augmente moins vite.

Le revenu médian, c’est-à-dire le niveau de revenu où la moitié de la population gagne moins et l’autre plus, ne progresse que d’environ 10 % sur la période 2015-2020, date à laquelle s’arrêtent les données de l’Insee dans ce domaine. Une augmentation équivalente à celui du prix du m2 en deux ans paraît improbable, d’autant plus que l’année 2020 marque le début d’une forte inflation de l’immobilier marseillais.

"Il ne faut pas généraliser", tempère François-Xavier Guis. Selon lui, "l’augmentation des prix ne concerne que certains biens avec un extérieur ou un bon emplacement, à la Belle-de-Mai (3e) vous ne vendez rien". Une vision qui ne se traduit pas vraiment dans les chiffres. Pour fournir une évaluation détaillée, Marsactu a analysé les données du ministère des Finances publiques, qui compile toutes les ventes depuis 2018. Une base de travail qu’utilise aussi François-Xavier Guis pour "réaliser des évaluations".

Après un travail d’affinage pour retirer les anomalies statistiques et locaux commerciaux, nous constatons une hausse de 14,5 % du prix au m2 des appartements anciens entre 2020 et 2022 sur la ville. Une moyenne qui varie évidemment selon les arrondissements. Sur le podium des progressions les plus importantes depuis deux ans se trouvent le 7e, le 1er et... le 3e. Y compris donc aux alentours de la Belle-de-Mai. À noter toutefois que ces données ne prennent pas en compte des éléments sur la qualité de l’appartement ou les prestations particulières comme une terrasse, un parking, une jolie vue, etc.

Les Loyers augmentent-ils ?

En plus de ne pas pouvoir accéder à la propriété, les locataires ont aussi plus de mal à changer d’appartement. Pour en obtenir un plus grand, ils doivent payer le coût d’une pièce supplémentaire, plus l’impact de la hausse générale des loyers. Une augmentation trop forte. Pourtant cette inflation des loyers dans le parc privé n’existe presque pas selon l’Adil.

Dans son dernier rapport, l’organisme indique que le loyer médian n’a augmenté que de 8 % en huit ans à l’échelle de la ville. Soit seulement un point de plus que l’indice de référence des loyers (IRL) qui plafonne les augmentations d’un bail à un autre. "La hausse des loyers, c’est un marronnier alors qu’ils n’augmentent pas depuis quatre ans car ils sont encadrés par l’IRL", assure François-Xavier Guis en s’appuyant sur les chiffres de l’Adil.

D’après l’organisme, le loyer médian est donc de 12,5 euros le mètre carré à Marseille en 2022. En revanche, il indique ne pas avoir de données par arrondissement, ni l’évolution par quartier. "Le loyer moyen c’est comme le français moyen, tout le monde en parle mais personne ne l’a vu", ironise pour sa part Patrick Amico. "Notre étude prend en compte l’ensemble des logements, il y a ceux proposés sur le marché et ceux où les locataires sont présents depuis longtemps avec un loyer qui n’a pas bougé", explique pour justifier ce tarif Camille Febvre, responsable de l’observatoire des loyers pour l’Adil. La durée d’occupation moyenne à Marseille est en effet de 9,5 ans alors qu’un quart des locataires vivent dans leur logement depuis au moins 20 ans.

Lecture : Dans la zone Marseille 1, en bleu marine, le loyer médian est de 13,2 euros le mètre carré pour des logements similaires. Source : Observatoire Local des Loyers du parc privé 2022 / Adil

Loyer de relocation, celui affiché sur les annonces lors de leur diffusion ne subirait lui non plus pas de frénésie inflationniste. Il ne présente qu’une hausse de 9,5 %, autrement dit à peine supérieur à la moyenne générale sur la même période, précise l’Adil. Ce qui peut paraître faible. Le site Se Loger, l’un des leaders dans le domaine des annonces immobilières, indique qu’en 2022 la hausse de loyer était de 2,5 % sur un an et que pour l’année en cours elle est de 4,9 %.

De son côté, l’Adil fait tout de même remarquer une accélération depuis 2020 : "L’analyse des niveaux de loyers sur l’ensemble du parc fait apparaître une augmentation des prix plus importante sur la période 2020 / 2022 que sur la période 2014 / 2020. La croissance annuelle moyenne des niveaux de loyer est en effet de 1,2 % sur la première période contre 0,9 % pour la seconde".

Face à cette situation, la Ville veut mettre en place un encadrement des loyers sur certaines zones. Une volonté qui va devoir attendre qu’un cadre législatif adapté soit mis en place par le gouvernement. Du côté de la municipalité, il faut également entamer le travail d’analyse des prix et de leurs évolutions par quartier. Une étude qui doit être réalisée avec l’Adil et devrait s'étaler tout au long de l'année prochaine.

Y a-t-il de moins en moins d'annonces ?

"Le problème c’est la raréfaction de l’offre", pointe pour sa part François-Xavier Guis. Au printemps, le président de l'Unis Nicolas Rastit affirmait que l’offre locative avait chuté de près de 90 % en un an d’après une étude de l’Observatoire immobilier de Provence, un organisme créé par les promoteurs. Interrogé à ce propos, il détaille qu’il s’agissait d’une statistique basée sur les remontées de 80 % des agences qui gèrent "environ 40 % des logements à Marseille". L’échantillon se base donc à peu près sur un tiers des logements.

Le site Se Loger enregistre lui également une baisse mais bien moins drastique avec 16 % d’annonces en moins sur son site sur un an pour toute la ville. Autre grand acteur du marché, leboncoin note depuis 2014 une chute moyenne de 25 % et fournit, lui, le volume par arrondissement.

En parallèle, un phénomène qui n’est pas quantifié mais qui s’observe au gré des recherches d’annonces est celui du bail mobilité. Destiné aux étudiants ou aux travailleurs ponctuels, il permet de limiter l’occupation à neuf mois. De quoi permettre une location continue de septembre à mai, puis de passer durant l’été à une location touristique. Une belle opération pour le propriétaire, moins pour le marché du logement.

Quel impact des Airbnb ?

Face à la baisse des annonces, le profil du coupable est tout trouvé : la location meublée de courte durée dite Airbnb. Là encore, les chiffres officiels manquent et les chercheurs universitaires peinent à mesurer son impact. Il y aurait selon la Ville environ 11 000 à 11 500 annonces qui serait proposées au moins une fois dans l’année sur la plateforme.

Mais c'est la location de type professionnel qui pèse le plus sur le marché, et peut aussi se retrouver sur Aibnb. En 2021, un rapport d'équipes de recherche de plusieurs universités pour le conseil régional concluait à une part de 25 % des logements loués plus de 120 jours par an, c'est-à-dire qu'un quart des annonces sont exploitées par des professionnels. Cette tendance se retrouve dans l’évolution des résidences secondaires, qui comprennent les locations touristiques professionnelles. Dans le 2e arrondissement par exemple, où se situe le quartier du Panier très apprécié des touristes, il est passé de 4,6 % à 12,7 % entre 2014 et 2020 selon l’Insee. Soit 1000 logements supplémentaires. C'est plus que le nombre de nouveaux logements toutes catégories confondues (principaux, secondaires et vacants).

Le 1er arrondissement a également un ratio négatif alors que le 6e est tout juste positif. Des chiffres qui s’arrêtent en 2020, soit avant le pic touristique connu lors de l’été 2021 à Marseille ou plus récemment avec le mondial de rugby.

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Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    Merci pour cette étude précise et approfondie d’une réalité complexe, même si certaines réponses amènent à de nouvelles questions. On y voit un peu plus clair.

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    • Marc13016 Marc13016

      Hum, personnellement, je n’y vois pas vraiment plus clair … J’avoue avoir du mal à trouver du sens dans toutes ces données chiffrées.
      Doit-on comprendre par exemple que 25 % des logements de Marseille sont sous exploitation d’un professionnel qui les loue pour du tourisme, ceci pendant plus de 120 jours par an ? j’espère que non, mais je croie lire cela …
      De même, le “il est passé de 4,6 % à 12,7 % “, c’est qui exactement le “il” ? Un “ratio” qui serait négatif dans le 1er et deviendrait négatif dans le 6ème … Oui, mais un ration entre quoi et quoi, pardon ? Ce “data-journalisme” me dépasse un peu, pour être franc. Il manquerait peut être un chaînon explicatif entre “data” et “journalisme” ? Sans vouloir offenser quiconque !

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  2. Marc13016 Marc13016

    … et deviendrait positif dans le 6ème, pardon … je m’emmêle les datas moi aussi !

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    • catherine catherine

      Je suis d’accord avec vous: j’ai pas tout compris! La réalité n’en demeure pas moins qu’il y a un taux de pauvreté explosif dans notre ville, que le parc locatif social est à l’arrêt et que le parc privé s’est renchérit. Il devient très compliqué pour des étudiants, des jeunes, des vieux de se loger. Il y a quelques années, mon époux et moi-même avions deux CDI et des revenus de cadres plus que corrects, et il a fallu qu’on monte un dossier invraisemblable pour prétendre louer un appartement dans le 5ème du côté de Chave. J’ai du demander à mon père de se porter garant. J’avais 45 ans…..

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  3. Neomarseillais Neomarseillais

    Idem, j’ai abandonné la lecture…

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  4. kukulkan kukulkan

    l’état doit interdire le classement en meublés de tourisme dans tous les centre-villes des métropoles. Egalement l’Etat doit baisser à 60 jours par an la durée max de location saisonnière car 120 jours c’est beaucoup trop et toujours plus rentable qu’une location classique à l’année pour les propriétaires.. Tant que l’Etat ne sera pas volontariste sur ce volet il n’y aura pas d’amélioration notable, une honte ce gouvernement qui fait toujours si peu.

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