LA GUERRE DE L’EMPRISE
C’est aussi cela, l’emprise : le trafic des stupéfiants est à l’origine de guerres et d’actes de violence : guerre entre rivaux pour le contrôle des marchés de la ville, guerre entre les trafiquants et la police, guerre entre les stupéfiants et la vie de la ville
La violence de l’emprise
Le 7 avril dernier, un jeune de 19 ans a été présenté à un juge d’instruction de Marseille. Selon Luc Leroux, dans « Le Monde » du 17 août, « il est suspecté d’avoir commis dans la nuit du dimanche 2 au lundi 3 avril au moins un assassinat et deux tentatives d’assassinat contre trois adolescents âgés de 13, 15 et 16 ans. Le plus « vieux » des trois est mort à 0 h 40 le 3 avril, rue Vincent-Leblanc, dans le quartier de la Joliette, immédiatement après avoir été visé par les tirs ».Les événements qui se produisent ces jours-ci, les morts d’adolescents pris dans la guerre entre les bandes rivales pour le contrôle du trafic marseillais des stupéfiants, nous rappellent, une fois de plus, que « l’emprise », dont parlait Marsactu récemment, a deux significations : il y a l’emprise des personnes soumises à leur addiction et à leur consommation de stupéfiants, qui perdent la conscience de la vie sociale dont ils font partie, et il y a l’emprise des bandes et des acteurs des marchés de stupéfiants pour avoir le pouvoir sur le trafic. La violence de l’emprise se déploie dans ces deux dimensions. Elle remplace ainsi, peu à peu, la régulation de l’espace urbain en dégradant la sécurité de la vie urbaine. La violence de l’emprise ne porte pas seulement sur la dimension collective de la vie urbaine, elle ne porte pas seulement sur les institutions ou les bandes qui en sont à la fois les auteures et les victimes : elle porte aussi sur le simple fait d’habiter la ville. La violence va se trouver bientôt comme une caractéristique ordinaire de la vie à Marseille.
La guerre, la violence, les morts
Le trafic de stupéfiants a toujours donné lieu à des actions violentes et à des situations de guerre. Mais soyons clairs : le déploiement de forces de police armées ne fait que répondre à la violence par une autre violence, il ne fait que prolonger l’état de guerre dans lequel vit la ville. Sans compter que cette violence des trafics et cette violence policière, menacent, comme le font toujours les confrontations dans les situations de guerre de faire des victimes « par hasard » qui n’ont rien à voir avec les trafics, qui se trouvaient seulement là au mouvais moment. Pour en finir avec la guerre, la violence, les morts, il faut concevoir une autre politique, car celle qui a été mise en œuvre toutes ces années se solde par un échec. La politique engagée par la police à Marseille – si tant est, d’ailleurs, qu’il s’agisse d’une politique – ne sert à rien : elle ne fait qu’accroître la violence, à la fois en suscitant la violence policière et en parant les auteurs des violences du trafic d’une sorte d’aura, presque de triomphe, dans les milieux du trafic qui les considèrent comme des héros, à la manière de ce qui se produit dans toutes les guerres.
Le destruction de la société urbaine de Marseille
« Ville-monde », Marseille a toujours été une société plurielle, née de la culture du mélange entre les populations, qui vit de cette diversité. Mais, désormais, elle est soumise à la violence des trafics : c’est la ville elle-même qui se retrouve aussi piégée par l’emprise. Si nous n’y prenons pas garde, les trafics et les réseaux sont en train de détruire la ville, son histoire, ses habitants, sa culture. Si ne sont pas prises les mesures politiques destinées à en finir avec cet état de guerre, il ne sera bientôt plus possible d’habiter la ville, d’y circuler, de s’y promener, de vivre avec les autres sans craindre les menaces et les dangers. Ce ne sont pas seulement les acteurs du trafic qui sont les victimes de ces règlements de comptes et de cette recherche d’hégémonie : c’est la ville toute entière qui en vient à perdre le fil social qui réunit ses habitants. C’est la société urbaine elle-même qui se détruit peu à peu sans, peut-être, que nous nous en rendions vraiment compte. Nous avons passé un cap : il ne s’agit plus seulement du trafic des stupéfiants, mais la ville toute entière commence à être prisonnière de l’emprise. La vie urbaine de Marseille s’est aussi claquemurée – mais c’est le cas de toutes les villes – dans des réseaux de nouveaux médias numériques qui n’ont fait, finalement, que renforcer ce que l’on peut appeler la « culture du réseau », ou peut-être plus encore « l’inculture du réseau ». La société urbaine de Marseille, déjà affaiblie par des années d’absence de politique de la ville nettement affirmée, se retrouve remplacée peu à peu par des fantasmes de société comme les réseaux : au lieu de regarder les autres, au lieu de leur parler, nous avons l’œil rivé sur notre smartphone ou sur notre téléphone mobile et nos doigts sur les touches.
Pourquoi Marseille ?
Finalement, l’accroissement du trafic de stupéfiants à Marseille ne fait que suivre l’évolution de la ville déjà divisée, fragmentée, morcelée par la division, elle aussi violente, entre les quartiers populaires et les quartiers plus aisés : pour simplifier entre le Nord et le Sud. La guerre des trafics est une manière pour l’espace des quartiers défavorisés de se retrouver encore davantage en-dehors de la ville, de la politique urbaine, de la culture. La « solidarité » des réseaux de trafic et de violence remplace la solidarité entre les habitants de la ville. La guerre de l’emprise ne fait qu’aggraver des tendances déjà anciennes de la ville. Rappelons-nous la vie de la Marseille des années trente, des « années Sabiani » : nous avons l’impression de la retrouver aujourd’hui. Mais il faut aller plus loin. Si Marseille se trouve en proie à la menace de l’emprise et à la culture de la peur qu’elle génère, c’est aussi parce que la ville ne connaît plus de croissance depuis des années, parce que, depuis toutes ces années, le chômage a fait son travail de destruction de la société, c’est parce que la ville n’a plus de projet à proposer à celles et à ceux qui, faute de pouvoir y vivre, en viennent à s’y tuer. Le rôle d’une municipalité comme celle du Printemps marseillais est bien de prendre sa place dans la guerre contre l’automne et l’hiver marseillais. Son rôle est, en concevant une politique urbaine déterminée, de prendre clairement sa place dans la lutte contre les trafics, dans la guerre contre la mort.
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