[Aux portes du Mucem] Dans l’écrin méconnu des réserves du musée

Série
le 16 Août 2023
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D'une passerelle à l'autre, du fort Saint-Jean à l'esplanade du J4, les gens déambulent, profitent de la vue mais peu finissent par pousser les portes des expositions. Pour les 10 ans du Mucem, Marsactu explore ses multiples usages. Pour ce troisième épisode, direction la Belle-de-Mai à la découverte du centre de conservation du musée.

Visite du centre de conservation et de ressources du Mucem, le mardi 1 août 2023. (Photo : Rémi Baldy)
Visite du centre de conservation et de ressources du Mucem, le mardi 1 août 2023. (Photo : Rémi Baldy)

Visite du centre de conservation et de ressources du Mucem, le mardi 1 août 2023. (Photo : Rémi Baldy)

À quoi peuvent bien servir des sabots dont la pointe remonte sur une trentaine de centimètres, en partie décorés de clous ? La question de Mireille Jacotin, conservatrice du patrimoine au Mucem, intrigue son public. En ce premier mardi du mois d’août, la visite mensuelle et gratuite de la réserve du musée national attire treize personnes. Leurs profils se ressemblent, cheveux grisonnants pour beaucoup et habitués des visites culturelles pour tous. “Il s’agit de sabots de Bethmale qu’un garçon offre pour déclarer sa flamme”, dans la vallée de l’Ariège du même nom, révèle celle qui anime la visite face au mutisme attentionné de son auditoire.

L’objet est l’un des 250 000 qu’abrite le centre de conservation et de ressources (CCR) du musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Et mieux vaut être un être bien renseigné pour s’y rendre, car le CRR ne se situe pas dans les entrailles de béton de l’iconique musée à l’entrée du Vieux Port, mais dans le quartier de la Belle-de-Mai (3e). À l’angle des rues Guibal et Clovis-Hugues, en face des voies ferrées, le désormais bien connu acronyme Mucem se lit en gros sur le mur. Pourtant, l’endroit ne donne pas l’impression d’être ouvert au public. La barrière à l’entrée et la timide signalétique n’invitent pas à rentrer. Avec le J4 et le fort Saint-Jean, il s’agit pourtant bien d’un des sites du musée qui fête ses dix ans, cette année.

Espace peu connu

Nous ne sommes pas un lieu très connu“, reconnaît Hélène Taam, en charge des relations avec les publics, au moment d’accueillir les inscrits à la découverte de la réserve. Un euphémisme. Le centre a accueilli exactement 6499 personnes l’année dernière dans ses différents espaces entre les visites guidées, la bibliothèque, l’espace exposition ou encore la salle de consultation d’œuvres. Les visites guidées et la bibliothèque représentent la très grande majorité des visiteurs. “Comme il n’y a pas de bibliothèque dans ce quartier de Marseille nous l’avons ouverte au public avec un aménagement pour les enfants“, détaille Hélène Taam. Une initiative louable, qui avec une faible amplitude horaire, de 14 à 17h du lundi au vendredi, ne suffit pas pour attirer les habitants de la Belle-de-Mai. “Nous avons inscrit 109 nouveaux lecteurs cette année, sur lesquels 19 sont du quartier“, nous précise par email Marie-Charlotte Calafat, conservatrice du patrimoine et responsable du département des collections et des ressources documentaires du Mucem.

Livré comme le Mucem en 2013, le centre de conservation a été conçu par l’architecte Corinne Vezzoni. (Photo : Rémi Baldy)

Du côté des expositions, hors visite des réserves, le succès n’est pas au rendez-vous. Il faut dire qu’en plus d’être un lieu méconnu, le centre souffre d’une communication peu claire. Dernier exemple en date : l’exposition Savoir-faire textiles en Méditerranée, qui vient de se terminer et dont l’affiche est toujours présente à l’entrée, indiquait “Mucem CCR”. Difficile de comprendre qu’il ne faut pas se rendre au J4. Pour découvrir la réserve, le public d’initiés semble plus à même d’aller chercher les informations. “J’ai trouvé en regardant sur le site du Mucem“, raconte Ivana, 71 ans, yeux vifs derrière des lunettes colorées et toujours au premier rang durant la visite. Amatrice de musées, habituée des centres de conservation, elle explique avec son conjoint “avoir fait celui à Milan”, mais affirme que “celui-ci est mieux“.

Le seul créneau possible c’est le premier mardi après-midi de chaque mois à 14 heures ce qui n’est pas vraiment pratique.

Une visiteuse

Les avis des présents ce jour-là sont unanimes : tous sont ravis de leur venue. “Cela fait trois ans que j’essaie de venir“, signale Coralie, 47 ans, tenace. “Le seul créneau possible c’est le premier mardi après-midi de chaque mois à 14 heures ce qui n’est pas vraiment pratique”, regrette-t-elle. L’absence de disponibilité est la seule critique émise par les participants. Une remarque partagée par une professeure coréenne, venue nourrir l’écriture d’un article sur les musées qui proposent une visite de leurs réserves. “Une mode qui se développe en Europe et aux États-Unis“, certifie-t-elle.

Moules à beurre, cannes, scooter

Le Mucem est l’un des premiers musées à offrir une visite aussi immersive, d’autres se contentent seulement de montrer leurs réserves derrière des vitres. Là, les œuvres sont à portée de main, sans qu’il soit toutefois autorisé de les toucher. Assiettes, portes en bois du Maroc, moules à beurre, cannes, scooter recouvert de stickers, planches de skateboard, marmites, des brocs d’eau, jouet en plastique à l’effigie de Batman ou sonnaille composent ce qui ressemble à un inventaire à la Prévert. Au total, 20 000 objets en tout genre, aussi originaux que curieux, sont visibles. Une variété qui rythme la visite. “Je devrais tout savoir, mais je ne suis pas experte en agriculture“, sourit Mireille Jacotin, face à un objet dont elle n’est pas certaine de l’usage.

Au total, 20 000 objets en tout genre, aussi originaux que curieux, sont visibles dans les réserves. (Photo : Rémi Baldy)

La visite se déroule comme une balade improvisée. Avec quelques pauses spontanées pour deviner la matière d’une sculpture de diable – faite avec du pain – par-ci ou débattre sur une malle kabyle par-là. Les questions concernent surtout les méthodes de conservations ou les fonctions des œuvres. À l’image de cet “ancêtre de YouTube” – un Scopitone, sorte de jukebox mêlant son et image, datant des années 50-60 – qui provoque des échanges nourris de souvenirs.

Un air de bunker

Nous sommes l’écrin et le J4 est la vitrine”, formule Mireille Jacotin. Livré comme le Mucem en 2013, le bâtiment de 13 000 m², dont 8000 pour les réserves, a été conçu par l’architecte Corinne Vezzoni dans ce but. On y trouve deux parties distinctes. L’une très aérée avec des grandes vitrines apportant de la lumière, où peut se rendre le public. L’autre beaucoup plus austère, où dorment les collections. La couleur grise, omniprésente, lui donne un air de bunker.

Nous avons 17 salles, mais une seule – appelée appartement témoin, avec un mélange de tous les objets que nous conservons – est visitable.

Mireille Jacotin, conservatrice du patrimoine

Ce sentiment n’est pas si éloigné de la réalité tant la protection des œuvres est essentielle. “Nous avons 17 salles, mais une seule – appelée appartement témoin, avec un mélange de tous les objets que nous conservons – est visitable“, décrit Mireille Jacotin. Les autres salles respectent des conditions d’obscurité, de température et d’humidité spécifiques à la conservation. Dans “l’appartement témoin”, l’aménagement ne ressemble en rien à celui d’une exposition classique. Il s’agit d’une salle de 950 m2 avec un sol gris et des murs blancs que meublent de grandes rangées d’étagères métalliques, où chaque rangée et objet ont leur numéro. On se croirait dans des archives. Seule singularité : ces spots de lumière verte destinés à piéger les insectes, pires ennemis des conservateurs.

Les réserves du Mucem abritent plus de 250 000 objets, hérités en partie de l’ancien musée national des arts et traditions populaires et de la collection Europe du musée de l’Homme. (Photo : Rémi Baldy)

La réserve s’appuie sur une diversité aussi vaste que déroutante, héritée de l’ancien musée national des arts et traditions populaires et de la collection Europe du musée de l’Homme. Les objets proviennent donc en grande partie de la rive nord de la Méditerranée. “À la fin des années 90, l’objectif a été de concevoir un musée de société puis est venue la volonté de l’élargir à la Méditerranée”, rappelle Hélène Taam aux visiteurs. “Depuis 2013, près de 70% des acquisitions faites chaque année sont de provenance méditerranéenne“, complète par écrit Marie-Charlotte Calafat.

Un lien distendu avec le Mucem

Un virage qui a donné naissance au Mucem et donc, en amont, aux collections du CCR, ouvert un peu plus tôt pour stocker les œuvres. Mais l’écrin alimente finalement assez peu sa vitrine. L’année dernière, seuls 456 objets sur les 250 000 du fonds ont contribué à des expositions “tous sites confondus“. Un nombre qui tombe à 99 si l’on retire ceux des salles du fort Saint-Jean et du centre de conservation. Ces chiffres varient d’une année sur l’autre. L’actuelle exposition au Mucem, Fashion Folklore, réunit à elle seule 204 objets issus des réserves. Les prêts à d’autres musées sont, quant à eux, bien plus fréquents avec 438 objets envoyés auprès de 32 institutions en 2022.

Le nouveau président du Mucem, Pierre-Olivier Costa, dit vouloir renforcer ce lien aujourd’hui distendu entre les réserves et la maison mère, en s’appuyant sur ces nombreux trésors méconnus. En septembre prochain, une exposition va d’ailleurs démarrer au sein du centre de conservation. La vie secrète des collections à la Belle de Mai, promet son titre explicite.

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Les coulisses de Marsactu
Cette série aurait pu s'appeler "à la porte du Mucem". Pour marquer les 10 ans du lieu, Marsactu avait imaginé une série d’articles. Hélas, la direction du musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée n’a pas souhaité communiquer pour l’instant. Pas grave, on a l'habitude. En guise de plan B, la rédaction a décidé de tourner autour du cube pour explorer les à-côtés d’un des fleurons de la culture à Marseille. Mais la demande d'interview du président tient toujours...
Rémi Baldy

Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    Tout cela est assez mystérieux, et paraît de faible intérêt pour des néophytes.

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