[Marseille 1983 : retour vers le Futé] Radio Ga Ga
Installés ici depuis peu, Sophie Bourlet et Timothée Vinchon le savent : ils sont ce que beaucoup appellent "des néos". Bien décidés à se défaire de ce statut, mais à leur façon, ils ont mis la main sur un guide local du Petit Futé vieux de quarante ans. Tout au long de l'été, ils embarquent Marsactu dans leur exploration du Marseille des années 80.
Le guide de 1983 évoque la disparue "Radio Provisoire", devenue Radio Galère. (Illustration : Sophie Bourlet)
“Vous pensez bien connaître votre ville ?… En fait, il y a tout un côté que vous méconnaissez peut-être. Le plus drôle, le plus tendre, le plus intéressant : le côté futé. C’est tout cet aspect que le Petit Futé vous propose de découvrir à travers des adresses et des renseignements. Vous doutez ? Tiens, savez-vous où trouver les meilleurs croissants à 4 heures du matin ?”
En tombant sur une édition du Petit Futé Marseille de 1983-1984 sur l’étagère d’une grand-mère du pays, on a eu une idée de génie. Armés de notre téléphone et de notre plus grande ténacité, on a retrouvé quelques-uns de ceux qui faisaient vivre la ville, encore là et prêts à témoigner. On pensait que les années 1980, “la grande époque” de Marseille, c’était les Zampa et autres Francis le Belge. Mais finalement, on a plutôt refait la journée type d’un ou d’une Marseillaise : du réveil au son d’une radio tout juste sortie de la piraterie jusqu’au bout de la nuit autour d’un sandwich aux boulettes dans le quartier de l’Opéra, en passant par une séance d’aérobic, une lecture féministe et une soirée K7. Le tout accompagné de la playlist d’alors, pour une ambiance Marseille 80, totalement subjective.
Épisode 1 – Radio Ga Ga
En feuilletant les pages de notre Petit Futé 1983, on découvre les contacts de tous les journalistes locaux, histoire de pouvoir avertir quelqu’un en cas de scoop. On imagine une ambiance à la Paco, journaliste qui traîne ses godasses dans tous les milieux fin 1970, comme dans les romans noirs de Maurice Attia. Quelques pages plus loin, il y a un chapitre sur les radios libres. Fin 1981, Mitterrand avait mis fin au monopole d’État sur la bande FM et permis l’éclosion de centaines de radios associatives ou commerciales. Marseille ne fait pas exception et a eu sa propre bande-son.
Écoute conseillée pendant la lecture : Maxime Le Forestier – Parachutiste (1972) & IAM – Red Black Green (1989)
“Radio Provisoire” 101 Mhz : “Une radio (association loi 1901) affiliée à la Fédération Nationale des Radios Libres. Radio « dure » qui se déclare « libre ». Émet de 9h à 24h le vendredi, samedi, dimanche et lundi, bien au-delà de minuit”. Entre Radio Grenouille, Fréquence Sud ou Radio Star, notre dévolu se porte sur cette radio si durement taclée par la journaliste du Petit Futé. Nos recherches nous mènent de fil en aiguille à Étienne Bastide, témoin de l’époque et initiateur avec d’autres des fameuses ondes pirates. Il nous propose un rendez-vous à la Friche de la Belle de mai. Car Radio Provisoire a traversé le temps et est aujourd’hui connue sous le nom de Radio Galère. Si elle s’est installée, on ne peut pas dire qu’elle se soit casée. Quarante ans plus tard, elle semble n’avoir rien perdu de ses valeurs et de sa farouche volonté d’être “libre” et foutraque.
Étienne nous accueille, clope qui semble éternelle à la main, dans le local sombre recouvert d’affiches des soirées, des grilles de 40 ans de programmation ou de prises de positions de la radio. Il a sa routine. Armé de ses lunettes de lecture, l’ancien feuillette et annote religieusement La Provence et La Marseillaise pour préparer son émission de midi, Infos Magazine. Sa voix rauque résonne sur les ondes depuis le début.
Ondes pirates devenues libres
En nous montrant la salle des émetteurs, il remonte à l’origine de Radio Provisoire. Au départ, c’était une radio pirate, Radio Béton. “Le béton est armé, pourquoi pas vous ?”, lance Étienne en mode jingle. À vingt-quatre ans, son arme à lui, c’était déjà les mots. “C’était l’époque de Solidarnosc, c’était le bazar à gauche. Il y avait des anti-communistes de gauche, des militants anti-racistes. On voulait briser le monopole de l’État, donner la parole à d’autres voix”.
L’employé de l’ORTF qui était censé nous brouiller n’était pas pressé de le faire, il attendait souvent la fin de l’émission avant de nous couper !
Avec une poignée de militants et militantes de tous horizons, ils bidouillent des petits émetteurs et fabriquent des micros avec des tubes PVC. Réunis chez les uns et les autres, dans un nuage de fumée, ils se mettent à diffuser le vendredi. Certaines chansons de Brassens, Renaud, ou Léo Ferré, lourdes de sens, ne passent pas sur l’ORTF. “C’est pas exprès qu’ t’étais fasciste, Parachutiste“, entonne Étienne en hommage à Maxime Leforestier. “L’employé de l’ORTF qui était censé nous brouiller n’était pas pressé de le faire, il attendait souvent la fin de l’émission avant de nous couper !”
En 1981, l’État libéralise les radios. “Ils ont surtout laissé aller le bordel sur les ondes !“, s’esclaffe Étienne. Avec sa clique, il s’installe boulevard des Dames, aux côtés de l’association la Cimade, de Radio Gazelle, mais aussi d’ateliers textiles clandestins. La radio cartonne : “Soixante personnes venaient à l’AG de la radio tous les lundis.“ Fritz Kuhn, un ingénieur allemand et enseignant à la faculté des sciences de Marseille fait des miracles côté technique. “On avait du matos que n’avaient pas des radios qui avaient du fric”, se vante Étienne. Ambiance festive et engagée pour la radio devenue G.A.L.E.R.E. – pour Groupement associatif pour la liberté d’expression radiophonique. On organise des fêtes dans les quartiers, avec IAM et Massilia Sound System, à l’époque encore des gamins ou des soirées raï à l’occasion du ramadan. “Un curé à La Viste nous avait une fois prêté une salle. C’était un sacré curé, un vieux en marcel, les burnes à l’air et avec une copine et tout…” Un pluralisme qui fait tiquer les militants et militantes d’extrême-droite, déjà particulièrement actifs à l’époque. “Ils nous envoyaient des rats morts dans des cartons, ils coupaient les fils de nos transmetteurs“, se souvient le doyen.
La marche pour l’égalité, le sida et les Baumettes
Si une chose n’a pas bougé à Galère, c’est la ligne éditoriale “antiraciste, antifasciste, antisexiste“ qui fait la fierté du bonhomme. “C’est inscrit dans notre charte depuis 1985. Et ça a été repris presque mot pour mot par le Syndicat des Radios Libres”. La lutte contre “les fachos“ fait partie de l’ADN de la radio. Le 15 octobre 1983, dans un contexte de racisme ambiant et de violences policières, la marche pour l’égalité et contre le racisme démarre du quartier de la Cayolle à Marseille. Étienne, resté “puni” à l’antenne, se souvient d’avoir trépigné en attendant les appels de la correspondante de Galère : “C’est sur nos ondes que vous pouviez avoir la meilleure couverture des évènements. Christine a suivi toute la marche. Elle nous appelait dès qu’elle trouvait une cabine téléphonique”.
Tous les combats qu’on a menés, on les a perdus.
Ces années-là, c’est aussi l’épidémie de SIDA qui fait rage. La maladie emportera plusieurs des membres de la radio et “pas mal de copains”. C’est aussi l’époque où sont enregistrées les premières émissions sur les Baumettes, à l’initiative de la mère d’un des détenus. Les familles de prisonniers qui aideront à couvrir la révolte de 1987 où les détenus étaient sortis par le toit de la prison pour protester contre les conditions indignes de détention, dix ans à peine après avoir vu s’éteindre le dernier condamné à mort français, Hamida Djandoubi.
Quarante ans plus tard, le temps file mais les combats se ressemblent. Étienne raconte qu’à peine âgé de 15 ans, il avait passé six jours à l’hôpital après s’être fait casser la gueule par des “voltigeurs” lors d’une manif contre les voitures à Paris. Il a l’impression que l’histoire se répète. “Tous les combats qu’on a menés, on les a perdus”, se désole-t-il. Mais ce samedi à Radio Galère, il est bientôt onze heures, et la porte du studio ne cesse de s’ouvrir.
Les salariées et salariés préparent un plateau depuis les Halles Puget en centre-ville, et Lamine, l’un des 200 bénévoles de la radio est venu préparer son émission sur la politique sénégalaise. Un débat aussi houleux qu’absurde commence. La situation au Sénégal est compliquée, et Étienne accuse l’animateur de changer de bord politique comme de chemise. Dans l’équipe, tout le monde n’est pas toujours d’accord. En ce moment, au sein de l’association, des débats font rage autour de la vision du féminisme ou des prises de positions autour de la prostitution. Un choc générationnel ? À chaque époque ses combats.
1983-1986 : La grande année des “radios libres”. Pour ma part, à l’école de journalisme de Marseille, qu’on appelait alors le CTMC, au Pharo, un de mes étudiants m’avait fait rencontrer Henry Richert, qui avait fondé Radio-Utopie, et qui l’animait. Son siège se situait rue Hoche, à la Belle-de-Mai. Et, après, tous les samedis, je proposais, avec Henry, une sorte de journal comenté de l’information et des événements qui se déroulaient à Marseille et ailleurs. C’était une période où informer, c’était aussi militer – pour le droit à une information libre et engagée, pour une information débarrassée des contraintes des grands groupes.
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1983-1986 : La grande année des “radios libres”. Pour ma part, à l’école de journalisme de Marseille, qu’on appelait alors le CTMC, au Pharo, un de mes étudiants m’avait fait rencontrer Henry Richert, qui avait fondé Radio-Utopie, et qui l’animait. Son siège se situait rue Hoche, à la Belle-de-Mai. Et, après, tous les samedis, je proposais, avec Henry, une sorte de journal commenté de l’information et des événements qui se déroulaient à Marseille et ailleurs. C’était une période où informer, c’était aussi militer – pour le droit à une information libre et engagée, pour une information débarrassée des contraintes des grands groupes.
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