Le rapport qui accuse ArcelorMittal de mettre en danger ses salariés
L'inspection du travail a ordonné au numéro 2 mondial de la sidérurgie la mise à l'arrêt temporaire de son aciérie à Fos-sur-Mer. En cause, des niveaux excessifs de polluants et des mesures de protection des travailleurs jugées insuffisantes.
L'usine ArcelorMittal de Fos-sur-Mer a annoncé une réduction de ses effectifs. (Photo : SL)
Le 23 juin, la direction d’ArcelorMittal annonce, dans un communiqué, “la préparation de la mise à l’arrêt de l’aciérie et des installations du site” de Fos-sur-mer. Il s’agit de la deuxième plus grande usine du leader de la sidérurgie en France, après Dunkerque. Trois jours plus tard, le 26 juin, l’usine tourne toujours. “À plein régime“, selon le délégué CGT, Jean-Luc Ruffin, “ils ont même accéléré les cadences ce week-end pour faire sortir le maximum d’acier avant la fermeture“. Contacté par Marsactu, le service communication de l’industriel assure que la date d’arrêt n’est pas fixée en “raison des contraintes techniques et de sécurité“. Selon La Provence, les hauts fourneaux et l’aciérie s’arrêteront finalement de tourner le 28 juin. Même si ArcelorMittal juge la décision de l’inspection du travail des Bouches-du-Rhône “infondée et disproportionnée“, l’industriel est contraint de s’y plier. Un refus exposerait l’employeur à une peine d’un an d’emprisonnement et à une amende allant jusqu’à 10 000 euros par travailleur concerné, rappelle l’inspection du travail.
C’est la première fois qu’un service de l’État prend une telle sanction contre ce poids lourd de l’industrie nationale, employeur de près de 4000 salariés, intérimaires et sous-traitants dans le département. En pleine visite d’Emmanuel Macron à Marseille, la sanction tombe au plus mal. D’autant qu’ArcelorMittal se présente comme un des fers de lance du plan de “décarbonation de l’industrie”, comprendre de réduction des émissions de CO2, promu par le président français. En 2019, Marsactu révélait que l’inspection du travail avait déjà menacé de fermeture le site de Fos après avoir constaté des niveaux anormalement élevés en monoxyde de carbone à la cokerie, un autre pan de l’usine où est fabriqué le combustible nécessaire à la fabrication de l’acier. L’industriel avait écopé in fine d’un simple rappel à l’ordre.
Situation dangereuse pour les salariés
“Cette fois, l’inspectrice du Travail a voulu appliquer le droit du travail à la lettre, afin de garantir la santé et sécurité des travailleurs, analyse Nordine Laimeche, délégué syndical de la CFDT. La direction minore le problème et ignore nos alertes répétées depuis plusieurs mois”.
Le 25 avril 2023, quatre représentants de l’inspection du travail, accompagnés de deux employés de la Caisse d’assurance retraite et de santé au travail (Carsat), ressortent des hangars de l’aciérie avec leurs carnets de notes, lunettes et masques “couverts de poussières“, écrivent-ils dans le courrier de sept pages envoyé à la direction locale d’ArcelorMittal. Des tas de composants volatils font “plusieurs centimètres d’épaisseur” et s’infiltrent “dans les salles attenantes”, comme la salle de pause et la salle de contrôle. En permanence, les 480 employés et intérimaires de cette unité sont exposés à des nuages chargés de silice cristalline (un minéral), de benzo(a)pyrène et de fibres céramiques réfractaires – c’est-à-dire des “agents classés cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction“. De l’ouvrier fondeur au responsable d’exploitation, salarié comme intérimaire, personne n’est épargné, souligne le rapport.
CFDT et CGT, les deux syndicats minoritaires dans les instances de représentation, abondent. “Par mesure d’économies, les dirigeants ont choisi de diminuer le budget consacré au nettoyage, assure Nordine Laimeche, toutes les installations, les planchers et le chemin de roulement sont recouverts de poussières”. Le système de filtre est “défaillant” et la ventilation des locaux “absente“, concluent les inspecteurs.
Deux plans d’action jugés “insuffisants”
Face à cette situation qu’elle juge “dangereuse pour les salariés“, l’inspection du travail réclame un plan d’action et de protection d’urgence, à mettre en place dès le mois de mai. Le premier plan, qu’elle réceptionne le 26 mai, est retoqué. “Insuffisant“, tout comme le deuxième présenté par ArcelorMittal, deux semaines plus tard, le 12 juin. Les mesures “ne répondent toujours pas aux obligations du Code du travail afin de préserver la santé et la sécurité des travailleurs“. Visiblement agacés, les inspecteurs décident de laisser “une fois de plus” la possibilité à la direction d’ArcelorMittal de revoir sa copie et d’amender son plan d’action.
Mais l’industriel grille sa dernière cartouche. La version présentée le 15 juin n’est toujours pas satisfaisante. Le plan a beau être adopté en comité social d’entreprise, le 19 juin, contre l’avis de la CGT mais avec le soutien de FO et du syndicat des cadres CFE-CGC, le couperet de l’administration tombe le même jour. Après deux mois d’échanges épistolaires et plusieurs entretiens sur place, l’inspectrice en charge du dossier n’a visiblement pas apprécié que sa recommandation la plus urgente de renforcer l’étanchéité des locaux soit la dernière envisagée par ArcelorMittal. Le sidérurgiste promet “une simple réflexion sur la mise en œuvre d’un système clos le 20 avril 2024“, soit un an après la visite de l’inspection du travail, écrit-elle dans son rapport, jugeant ces “délais manifestement déraisonnables“.
Manque de masques
La mauvaise volonté d’ArcelorMittal s’illustre également dans son incapacité à fournir des masques adaptés au niveau de pollution. Lors de l’inspection du 25 avril dernier, dix-huit salariés sur trente portaient des masques FFP3 jetables en forme de bec de canard, popularisés lors de l’épidémie de Covid. Depuis, les cadres les obligent à porter ces masques alors qu’ils ne protègent pas suffisamment des poussières toxiques et aggravent même “les difficultés respiratoires et [provoquent] une élévation de la fréquence cardiaque”, s’agace l’inspection du travail. À cause de la chaleur souvent étouffante de l’aciérie, respirer avec ce type de masque sur le nez s’avère très pénible, confirment des salariés.
La solution serait d’acheter des masques équipés d’un système de ventilation et d’une assistance électrique, pour soulager les poumons. À ce jour, seuls une cinquantaine de protections de ce type seraient disponibles pour les plus de 400 travailleurs qui se relaient à l’aciérie. “Une quantité anecdotique et la direction se donne jusqu’à la fin de l’année pour compléter son stock alors que c’est l’élément le plus facile à obtenir“, s’insurge Jean-Luc Ruffin de la CGT. Interrogé sur ses mesures de protection des travailleurs présentées à l’inspection du travail, la chargée de communication d’ArcelorMittal Méditerranée a refusé de répondre à Marsactu.
Une chose est sûre : si la mise à l’arrêt de l’usine de Fos-sur-Mer est temporaire, elle ne pourra être levée que sur ordre de l’inspection du travail. Pour pouvoir relancer son activité, charge à l’industriel de mettre en place “des équipements de protection individuels adaptés” et de revoir en profondeur son plan d’action pour “réduire les risques au niveau le plus bas qu’il est techniquement possible“, rappelle l’inspection du travail dans son courrier.
Commentaires
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
Bravo aux services de l État pour le sens du timing en cette période de courbettes .C ‘est très courageux . J’espère que Marsactu suivra ce sujet il serait intéressant de savoir comment Arcelormittal va mettre en œuvre ses obligations d’employeur en terme de sécurité de ses salariés ou il réussira par lobby à y échapper . si l inspection du travail peut tenir ses positions ce sera un formidable pied de nez aux petits arrangements sous couvert d emplois et signal auprès des grosses boîtes qui se permettent tout et souvent rien .
Se connecter pour écrire un commentaire.
Il sera intéressant de suivre l’évolution de cette décision où l’on voit une courageuse inspectrice du travail faire son boulot et prendre une décision face à l’ogre mondial de la sidérurgie. Nul doute que le lobby des industriels va s’activer auprès des services de l’état pour diminuer au maximum cette sentence, faire accepter un plan frileux de protection des salariés au moindre prix, et faire rapidement lever la sanction ( d’autant que certains syndicats ont voté les propositions de l’industriel au CSE)
Lutte du pot de terre contre le pot de fer ( si j’ose dire)?
J’espère que Marsactu nous tiendra au courant de cette évolution et du devenir de cette inspectrice
PC ( médecin)
Se connecter pour écrire un commentaire.
Oui bien sûr, on va faire notre possible pour suivre ce qui se passe. Merci pour vos messages et encouragements ! Ariane Lavrilleux (journaliste)
Se connecter pour écrire un commentaire.
Ca va etre intéréssant de monitorer la qualité de l’air a Fos cet été. At-il des résidents sur ce fil? Il me semblait que d’apres les articles sur Marsactu dans le passé, des systemes de filtres pour reduire les emission de particules fines éxiste mais ca coute cher et Arcelor préfère garder ses [400 ou 800 millions d’euros (?) ] de bénéfices annuels du site de Fos pour le proprios de la boite.
Se connecter pour écrire un commentaire.
Tristement intéressant, effectivement beaucoup de courage de l inspectrice, tellement lamentable d’en être là en 2023 ! Du suivi comme pour le reste…
Se connecter pour écrire un commentaire.
Très intéressant en effet ! Souhaitons que Arcelor-Mital n’échappe pas à ses obligations par un artifice ou un autre.
Un suivi journalistique sur ce dossier serait effectivement très appréciable. D’ailleurs, d’une manière générale, le journalisme de longue haleine, c’est très appréciable dans ce monde du tweet. Continuez Marsactu, on lit, on lit !
Se connecter pour écrire un commentaire.