[Entre les lignes] De barres de rires en flots de larmes
Auteur, slameur, Mbaé Tahamida Soly est l'un des fondateurs de la sound musical school B Vice à la Savine. Voyageur sans permis, il utilise au quotidien les transports publics. Ils lui offrent la matière de portraits de voyageur, écrits comme des saynètes et postés sur les réseaux sociaux. Pour Marsactu, il en fait une chronique à lire entre les lignes.
Illustration Ben8
À l’étroit dans le T1 🚊à la station de métro Noailles,Ⓜ️ je stresse un peu car je ne suis pas en avance sur mon rendez-vous avec Momo. Et je ne peux hélas prévenir qui que ce soit de mon retard. 📱 Car comme tout le monde sait, Marseille est la seule ville de France où le réseau téléphonique ne passe pas en sous-sol. 🚇📳
Notre tram démarre au bout de quelques minutes et sort du tunnel pour offrir quelques barres à mon réseau 📶 et me permettre d’envoyer un texto à une amie également invitée à la cérémonie.
Station Eugène-Pierre, des passagers montent dans la rame tandis que d’autres en descendent. Un type ; veste grise, jean et baskets ; choisit, lui, de rester debout sur le quai. Une barbe assez fournie et un bonnet noir cachent les traits de son visage. Il tient dans une main un skateboard usagé 🛹 et le bout d’une cigarette dans l’autre. 🚬 Les portes se referment et l’homme appuie sur le bouton d’ouverture mais ne monte pas. Il tire de grosses taffes de sa sucette à cancer. L’alarme 🔔 de fermeture des portes retentit une seconde fois mais le quidam appuie de nouveau sur le bouton pour les ouvrir tout en tirant goulûment sur sa clope. 😤 Visiblement, monsieur a décidé de n’en laisser aucune bouffée. Son manège dure près d’une quarantaine de secondes qui me paraissent une heure avant qu’il ne se décide à pénétrer dans la rame après avoir jeté son mégot par terre et se met dans un coin près de la porte.🤬
– “Ça va, on ne vous dérange pas trop, dites ? lance une dame particulièrement remontée. 🙎♀️ La cinquantaine, elle est assise près de la sortie, un panier où débordent des fleurs à ses pieds.💐 Le gars ne bronche pas. Il baisse la tête et regarde ses chaussures, son skateboard entre les jambes.
– Vous ne voulez pas une autre cigarette dès fois ? continue la passagère courroucée. Parce qu’on n’a que ça à faire, voyez-vous. Les gens sont d’une impolitesse ma parole !”😠
Devant notre mutisme et le silence de l’intéressé, elle essaie de nous prendre à témoin :
– “Vous avez vu ça ? Comme si on n’avait que ça à faire. Pfff !😠
– Tu pourrais répondre à la dame ducon ! Lance un homme d’une quarantaine d’années accompagné de deux amis qui se marrent de l’agression verbale de leur chef de bande.😹 Toujours pas de réaction de notre skateur qui fixe ses baskets élimées.👟
– Hé tête de con, je te parle ! Fais pas semblant de pas entendre. Tes morts !
– C’est à moi que vous parlez monsieur ? finit par lui répondre notre fumeur compulsif
– Bien sûr que c’est à toi. À qui d’autre ? Figure de poulpe. Une nouvelle pique qui rend hilares les trois compères.🤣
– Pas la peine d’insulter.😐
– Pour qui tu te prends ? Tu crois c’est le tramway à ton père ou quoi ? 🤣
– C’est bon j’ai fait le con, désolé. Mes excuses. 🙇
– Tu veux fumer, tu fumes et tu attends le prochain. Tu bloques pas les gens. Il y en a qui vont travailler. (Et d’autres qui ont un rendez-vous.)
– Tout à fait. Non mais quel culot ! Les gens sont d’une impolitesse, je vous jure, ajoute la dame vénère.
– Je prie tout le monde de m’excuser. J’étais ailleurs. C’est bon là ?”
Pour ma part, il a présenté ses excuses donc l’affaire est close. Ce qui n’est pas du tout le cas de tout le monde à bord. Le pauvre skateur continue de subir les remarques de la dame ainsi que les quolibets et les rires moqueurs des trois asticots.🪰 Nous avalons donc les stations dans cette ambiance malaisante. J’ai même peur que ça parte en cacahuète à tout moment tellement les attaques sont méchantes et gratuites. Je n’ai pas du tout envie que notre tram soit bloqué à cause d’une bagarre. Je veux présenter mes respects à Momo. Je lui dois au moins ça pour tout le soutien qu’elle et son mari ; ainsi que leurs copains de la LDH (Ligue des droits de l’Homme), m’ont apporté après l’assassinat d’Ibrahim Ali en 1995 par des colleurs d’affiches du FN.
À partir de Sainte-Thérèse, le quadragénaire reçoit même le renfort de ses deux collègues qui portent leurs piques sur le physique de leur tête de Turc. Ce dernier prend son skate sous son bras et je devine que son calvaire va bientôt s’arrêter.
À la station Saint-Pierre, je descends le premier, soulagé. Je fais à peine cinq pas quand j’entends derrière moi un “Paff !” suivi d’un “ça, c’est pour ma mère !” avant que les portes ne se referment complètement. Je me retourne et là je vois notre gaillard de dos. En face de lui, la dame qui le houspillait tantôt le fixe avec de gros yeux. 👀 Dans le tramway qui s’éloigne, le balourd avec ses acolytes qui agitent les bras et les poings tout en proférant des paroles inaudibles. C’est bien le bruit d’une grosse gifle, infligée par le skateur, que j’ai entendu. Je suis contre la violence, mais il l’a bien mérité ce stronzo.
– Vous voulez de l’aide madame ? propose notre skateur à son harceleuse qui reste bouche bée.
Il monte ensuite sur sa planche à roulettes et file comme l’éclair vers l’entrée principale du cimetière Saint Pierre.
Je presse le pas, car la cérémonie civile pour rendre un dernier hommage à Momo va bientôt commencer. Normalement, mon retard va me permettre d’arriver après la fermeture de son cercueil. Je veux garder d’elle l’image de la femme battante, de la grande militante des droits humains qu’elle a été.
Arrivé au niveau de la boutique de fleurs et d’articles funéraires située entre l’entrée du cimetière et celle qui mène à l’accueil des familles endeuillées, j’aperçois skateman. Il échange un billet contre un petit bouquet de fleurs colorées avec la vendeuse. Il monte ensuite sur son skateboard et s’éloigne vers l’entrée principale du cimetière dans un frottement de pied et de roulettes sur l’asphalte. Il se rend sans doute sur la tombe de sa mère partie récemment. Comme Momo qui, elle, a choisi de tirer sa révérence le jour de son anniversaire. Dieu merci, beaucoup de personnes sont venues lui rendre hommage et témoigner de leur gratitude.
Ciao Bella Monique. Force et courage à toute ta famille, en particulier à Philippe ton binôme et complice qui a eu le bonheur de partager ta vie et tes combats durant 63 ans.
Mes condoléances attristées à toi aussi Skateman. (Pardon de t’avoir insulté dans ma tête). Et à la prochaine les amis. Prenez soin de vous et de vos proches.
Oui, il y a des jours où les lignes de la RTM mènent du rire aux larmes.
À Monique Verso épouse Dieudonné
Commentaires
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scènes de la vie quotidienne en tc.
je me surprend depuis mon plaisir à lire ces chroniques, à regarder autour de moi avec plus d’attention dans le métro, le tram…..à capter les attitudes, les moues, les regards, les gens. merci M.T.Soly !
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