Demandeurs d’asile : la Ville envisage deux nouveaux projets d’hébergement autogérés

Actualité
le 27 Avr 2023
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Après la fermeture du centre d'accueil conventionné, occupé et géré pendant 9 mois par des personnes migrantes rue Saint-Bazile (1er), deux immeubles municipaux pourraient accueillir des initiatives jumelles d'ici au mois de septembre.

Accompagné de l
Accompagné de l'HAS, le président de l'AUP Alieu Jalloh (au centre) s'entretient avec les habitants du centre d'accueil autogéré. (Photo D.P)

Accompagné de l'HAS, le président de l'AUP Alieu Jalloh (au centre) s'entretient avec les habitants du centre d'accueil autogéré. (Photo D.P)

“Nous avons montré que nous étions crédibles, que nous étions capables de gérer un lieu comme nous le disions. Désormais, nous voulons continuer.” Installé à l’extrémité de la longue table du local de l’association des usagers de la PADA – plateforme d’accueil des demandeurs d’asile – (AUP), Alieu Jalloh le président de la structure balance entre fierté et impatience. La satisfaction, c’est d’avoir fait la démonstration que l’expérimentation d’autogestion menée rue Saint-Bazile (1er arrondissement) a été bien conduite. Pendant neuf mois, de juillet 2022 à mars 2023, des personnes migrantes ont géré et occupé, avec l’aval des autorités, cet espace d’une vingtaine de chambres, un squat non légal à l’origine. Quant à l’impatience mâtinée de déception d’Alieu Jalloh, elle tient au fait que l’expérience ne trouve pas une suite immédiate après que les occupants ont quitté le lieu à la date prévue, le 31 mars dernier.

“Nous savions que cela allait prendre fin. Nous sommes partis comme nous nous y étions engagés, mais cet endroit nous manque”, glisse dans un sourire désolé Bailor Bah, originaire de Sierra Leone. Lui a vécu à Saint-Bazile durant plusieurs mois. À ses côtés, Mohamed Senessie, le vice-président de l’AUP, abonde : “C’était plus qu’un simple logement pour nous. Il y avait des gens de pays différents et on partageait, on s’entraidait, on avait une vie sociale tous ensemble. On pouvait aussi parler de nos problèmes, oublier un peu notre stress.” Sans compter, les cours de français, d’informatique ou l’accompagnement à l’accès aux droits que tous, autour de la longue table, regrettent.

Aucun résident à la rue

À la fermeture du squat conventionné, dont la vie quotidienne était gérée par l’AUP, avec le soutien des associations Just, Habitat alternatif social (HAS) et de la fondation Abbé-Pierre, les 38 résidents qui y vivaient encore – sur les 90 qui y sont passés en 9 mois – ont donc dû trouver une autre solution de logement. Certains sont hébergés par HAS. “Nous avons poussé les murs afin d’accueillir deux familles avec enfants”, confirme la directrice générale. Les autres habitants, dont les dossiers de demande de droit d’asile sont étudiés ou réexaminés, sont hébergés en hôtels via un appel au 115.

La Ville ne souhaite pas que l’initiative s’arrête. Nous étudions comment accompagner une suite en mobilisant de la vacance de foncier municipal.

Audrey Garino, adjointe aux affaires sociales

À Marseille, le parcours d’hébergement d’urgence est saturé. Alors que c’est la loi et que cette compétence incombe à l’État, la moitié des 6000 demandeurs d’asile recensés n’a pas accès à une mise à l’abri. “Ce qui favorise le sans-abrisme, les bidonvilles et le recours aux marchands de sommeil”, déplore Audrey Garino, l’adjointe au maire de Marseille chargée des affaires sociales. Toutefois, “personne de ceux qui vivaient à Saint-Bazile n’est à la rue pour l’instant”, souligne Alieu Jalloh.

Deux pistes privilégiées

Audrey Garino s’en félicite et tire un “bilan positif” de l’opération, “à commencer par le fait que la démarche est partie des premiers bénéficiaires eux-mêmes. Ce qui est une vraie valeur ajoutée.” Elle l’assure, “la suite est là” : “La Ville ne souhaite pas que l’initiative s’arrête. Nous désirons continuer à participer à cette dynamique collective. Nous étudions comment accompagner une suite en mobilisant de la vacance de foncier municipal.”

Deux pistes sont privilégiées dans des bâtis propriété de la Ville. Ces deux projets, l’un dans le 4e, l’autre dans le 3e arrondissement, pourraient accueillir leurs résidents à partir de septembre prochain. Pour le premier, la commune réalise des études afin de s’assurer de la conformité bâtimentaire d’un ancien établissement social. Ses 850 m² devraient à terme permettre de loger une trentaine de personnes, de mettre sur pied un accompagnement social, mais aussi d’offrir d’autres activités telle que de la restauration. “Comme à Saint-Bazile, il ne s’agit pas de penser un seul site d’hébergement, mais d’en faire un lieu ouvert sur les riverains et le voisinage, notamment pour éviter les stigmates de la peur”, précise Jean-Régis Rooijakers coordinateur au sein de l’association Justice et union pour la transformation sociale (Just).

Mixité des usages

La seconde initiative est imaginée dans un immeuble du 3e arrondissement actuellement partiellement occupé pour en assurer la sécurisation. Dans un étage resté inoccupé, une quinzaine de chambres pourraient être aménagées. Il s’agit là d’élaborer un projet hybride, axé “sur la mixité des publics et des usages, à l’image de l’Auberge marseillaise, avec une attention particulière portée aux femmes et aux mères avec enfants”, glisse encore le porte-parole de Just. Les deux projets s’inscrivent clairement dans la continuité du “Cada (centre d’accueil de demandeurs d’asile) autogéré” du 1er arrondissement.

Loger 40 personnes pendant neuf mois a coûté moins de 5 euros par personne et par nuit. C’est 5 fois moins qu’un hébergement classique.

Jean-Régis Rooijakers, collectif Just

Jean-Régis Rooijakers se satisfait que l’expérimentation menée rue Saint-Bazile fasse ainsi des petits et ait mis en lumière l’occupation d’espaces de manière “intercalaire pour en faire des lieux de rebond.” Surtout, insiste-t-il, “nous avons fait là-bas une démonstration économique : loger 40 personnes pendant neuf mois dans de l’intercalaire a coûté moins de 5 euros par personne et par nuit. C’est cinq fois moins qu’un hébergement classique. Et c’est une alternative évidente à des placements d’urgence en hôtel où les gens sont parfois accueillis dans des conditions indignes.”

Écosystème de partenaires

Acteurs associatifs et institutionnels pointent, dans une inhabituelle unanimité, la nécessité d’une coopération des acteurs pour l’élaboration, le financement puis la gestion de ces sites. “Nous avons tous notre rôle à jouer dans cet écosystème. L’expérience Saint-Bazile a permis que nous restions tous en lien et ça va avancer”, jauge Cécile Suffren de HAS. De leur côté, les services de l’État qui ont à plusieurs reprises manifesté leur souhait de voir l’opération d’autogestion modélisée et dupliquée, ne ferment pas la porte à une suite. Mais sans l’ouvrir toute grande non plus : “Les partenaires du projet initial sont en réflexion et doivent se réunir au cours du mois de mai. Un point d’étape pourra être effectué après ces échéances pour envisager d’autres pistes et perspectives”, répondent par écrit les services préfectoraux à une sollicitation de Marsactu.

La Fondation Abbé Pierre, qui a financé 27 000 euros soit la moitié des sommes engagées pour ouvrir l’immeuble autogéré de Saint-Bazile, promet, par la voix de son directeur régional Francis Vernède, de s’inscrire dans la “logique de suivi” engagée par cette “dynamique partenariale qui a du sens”. Mais sans angélisme. “L’hébergement intercalaire, c’est une très bonne idée, mais cela ne peut être la seule réponse publique. C’est très bien de voir les pouvoirs publics, notamment l’État, s’engager là. Mais il ne faut pas oublier les centaines de personnes dont des mères et des enfants qui vont dormir ce soir à la rue”, pique Francis Vernède. Manière de rappeler aux autorités que la crise de l’hébergement profonde que traversent Marseille et le reste du territoire appellent, outre ce type d’innovation, une action massive et des moyens en conséquence.

Un projet d’accueil pour les mineurs en recours
“Nous avons engagé une réflexion avec les services de l’État pour mener une expérimentation sur une mise à l’abri des mineurs étrangers non accompagnés, le temps de leur recours”, indique Audrey Garino, l’adjointe aux affaires sociales. Lorsqu’ils arrivent dans les Bouches-du-Rhône, ces mineurs font l’objet d’une évaluation de la part des services du département, qui a la responsabilité de l’aide sociale à l’enfance. Lorsqu’ils sont évalués “négativement”, que la collectivité les considère comme majeurs, beaucoup déposent un recours. Or, le temps de l’examen de celui-ci, ces jeunes – soit une centaine d’adolescents environ actuellement- ne sont plus pris en charge. “Pendant six ou neuf mois, ils se trouvent dans une zone grise, un entre-deux où ils ne sont ni mineurs, ni majeurs. Du point de vue de l’hébergement, cela génère des situations douloureuses”, précise l’élue. Une expérimentation est donc en cours d’élaboration pour l’ouverture d’un lieu dédié à ces mineurs le temps de leur recours, en fin d’année, dans le 1er arrondissement marseillais.
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Commentaires

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  1. zaza zaza

    “Pendant neuf mois, de juillet 2022 à octobre 2023, des personnes migrantes ont géré et occupé…..” il n’y a pas un pb de date là ?

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    • Lisa Castelly Lisa Castelly

      Bien vu, il fallait lire “à mars 2023”, c’est corrigé, merci !

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  2. kukulkan kukulkan

    il faut que ces initiatives se multiplient, laisser les gens dans la rue n’a que des inconvénients et ne peut que provoquer des drames ! la région, le département et la métropole devraient s’y mettre, si seulement ils étaient humanistes…

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  3. Monique GUINEBAULT Monique GUINEBAULT

    Et voilà, encore le 3ème… ajouter de la misère à la misère… serait-il enfin envisageable de repartir les charges un peu plus équitablement ? Cesser de protéger les intouchables “beaux quartiers” ? Pourquoi pas la construction d’un mur tant que l’on y est ? (au milieu de la Canebière par ex.) Nous sommes TOUS marseillais ! Eeeet oui !

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  4. LN LN

    Totalement d’accord. J’habite dans le 9eme et il y a un grand bâtiment vide depuis des années et gardé pour éviter (?) les dégradations. C’est l’ancien commissariat bd Haïfa. Il pourrait largement remplir la fonction. Et puis on a plus Moraine, ça pourrait donc être envisagé

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    • PromeneurIndigné PromeneurIndigné

      L’emplacement est intéressant, il doit y avoir des promoteurs sur le coup

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    • Malleus Maleficarum Malleus Maleficarum

      Dans le 9ème il y a bien pire que Moraine : il y a Royer-Perrault. Enfin, Anne-Marie d’Estienne-d’Orves, mais tout le monde sait qu’elle ne sert que de façade au défroqué député néo-macronisto-opportuniste.

      Du coup, aucune chance d’y voir être créé un site pour les demandeurs d’asile.

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    • LN LN

      Le commissariat se trouve dans le 8eme en fait. Peut être qu’O. Fortin y sera plus sensible.
      Mais c’est vrai que la population alentour risque d’être réfractaire d’où cet abandon depuis au moins 8ans…

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